Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après six mois de travaux menés par la commission d’enquête, travaux incluant notamment 72 auditions, un voyage, une visite au salon du bien-être un peu épuisante, je suis désolée de constater que je reste sur ma faim : je ne sais toujours pas ce qu’est une secte, ce qu’est une dérive et ce qui relève de l’escroquerie ou de l’abus de faiblesse classique. Mais il est vrai que je ne sais toujours pas non plus ce qu’est la santé, en dehors de la définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé.
Mon insatisfaction vient peut-être du titre de cette commission d’enquête et donc de l’orientation de notre mission : l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Car le problème n’est pas de savoir si certaines sectes utilisent le biais de la santé pour couper leurs patients du reste de la société ou de leur famille, tout en leur soutirant de l’argent, mais bien de savoir comment faire pour que l’emprise qu’exerce nécessairement celui qui sait sur celui qui ne sait pas ne dérive pas vers des pratiques contraires à la liberté et à la dignité de l’humain.
Un médecin allopathe ne dérive-t-il pas lorsqu’il n’explique pas le pourquoi des examens prescrits ou des traitements, lorsqu’il impose son savoir à celui qui lui fait confiance ? Ne dérive-t-il pas quand il ne prend pas le temps d’écouter parce qu’il n’a pas été formé à cela ou parce qu’il n’a plus le temps matériel de le faire, tant notre système de santé est en crise ? Cette réflexion vaut, bien sûr, pour l’ensemble des personnels médicaux.
Quelque 60 % des malades de cancer consulteraient un praticien de soins parallèles. Sont-ils tous embrigadés dans une secte ou tous victimes d’escroquerie ? Compromettent-ils réellement ainsi leurs maigres chances de guérison pour certains cancers ?
Il faudrait faire, enfin, une comparaison sur les derniers moments de vie, en termes de qualité, de conscience, d’absence de douleur, entre les patients allopathes et les patients « altermédicaux ».
Ma petite belle-sœur est morte d’un cancer traité classiquement. A-t-elle été victime d’une dérive médicale, d’un acharnement thérapeutique ? Et autour de nous, combien de « miraculés du cancer » qui expliquent devoir la vie ou du moins leur rémission à telle ou telle pratique ?
La question n’est donc pas celle du choix des méthodes de soins, mais celle de l’emprise que peuvent avoir certains sur des personnes, notamment en période de fragilité liée à la maladie ou au mal-être, d’autant que ces mainmises existent dans tous les domaines sociaux : notaires, avocats ou entraîneurs sportifs peuvent eux aussi dériver ! Mais cette emprise est, il est vrai, plus facile en matière de santé, car nous sommes mortels et connaissons la douleur : c’est pourquoi, comme l’a écrit André Malraux, « tout dialogue avec la mort commence à l’irrationnel ».
La liberté - notre condition humaine - exige donc que nous puissions choisir notre chemin vers la mort. Nous avons le droit de refuser certaines pratiques médicales et de préférer les bains de siège lorsque seule notre santé est en jeu...
Mais la société est-elle prête aujourd’hui à accepter ce libre choix, dans le pays de Pasteur ou de Marie Curie ? Le refus des soins certifiés « sérieux », à défaut d’être sûrs, est incompréhensible pour un esprit éclairé. Si la sécurité sociale rend les soins moins coûteux pour les patients, certains préfèrent néanmoins ne pas en bénéficier et consulter un laveur de colon ou un poseur de pierre, et dépenser ainsi leur argent au lieu de celui de la sécurité sociale.
Tout autant que de savoir si des charlatans abusent de la détresse des gens, il importe de se demander pourquoi les malades ou leur famille se laissent ainsi abuser. Qu’est-ce qui fait, dans notre société, comme dans celle d’hier, que certains, à un moment de leur vie, manquent d’esprit critique et se laissent abuser ?
Autre interrogation sans réponse : y a-t-il des thérapies non officielles qui pourtant font du bien ? Et si oui, comment les détecter et, surtout, les labelliser, afin de permettre aux citoyens et citoyennes de les utiliser tout en connaissant leurs limites, comme on connaît les limites de certains médicaments allopathiques ? Or les rares tentatives d’évaluation de pratiques non conventionnelles sont immédiatement considérées comme visant à faire entrer le loup dans la bergerie, alors même que certaines d’entre elles sont regardées de manière moins défavorable dans d’autres pays.
Plutôt qu’une chasse aux sorcières, le groupe écologiste plaide pour une démarche pragmatique : nul ne devrait pouvoir prétendre qu’une méthode – ou un appareil – allopathique, naturopathique ou autre, est utile en matière de santé si elle n’a pas fait l’objet d’une évaluation encadrée, d’un suivi effectif ou d’un enseignement connu, à défaut d’être reconnu par l’État.
Il nous apparaît aussi qu’en l’absence de définition légale de la secte, au contraire de nos voisins belges ou luxembourgeois, et donc en l’absence d’un délit spécifique, il faut appliquer les lois sur les escroqueries ou abus frauduleux de faiblesse d’autrui tout en menant une véritable politique de prévention et de détection. À cet égard, pourquoi ne pas instituer la peine accessoire de retrait du titre universitaire dont on s’est prévalu pour commettre le délit ?
En fin de compte, le sujet n’est pas épuisé mais, monsieur le président, monsieur le rapporteur, vous avez ouvert une voie en nous proposant d’entendre les condamnés a priori. Reste à évaluer sereinement, sans préjugés, les pratiques non homologuées en France. §