Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’initiative du groupe RDSE de constituer une commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé et les dérives thérapeutiques apparaît au groupe CRC comme une démarche utile.
Force est de constater que notre société est de plus en plus soumise à des sollicitations collectives et/ou individuelles censées répondre à de nombreux maux non résolus par la médecine traditionnelle. J’y vois l’effet de miroir d’une certaine fébrilité de nos concitoyens, inquiets de leur avenir et soupçonneux à l’égard de pratiques médicales connues et installées.
Les récents scandales sanitaires, l’existence de conflits d’intérêts dans le secteur de la santé, la commercialisation de médicaments non conformes à leur utilisation ou présentant des risques connus mais dissimulés, l’aspiration légitime de nos concitoyens au bonheur et à l’équilibre psychique, conjugués à une crise économique génératrice d’angoisses, concourent à l’émergence d’un terreau propice à des solutions faussement alternatives.
En réalité ces solutions, loin d’être innovantes, sont éculées. En effet, la plupart de ces approches dites « modernes » reposent sur le même fondement : la soumission de l’individu à une sorte de gourou, c’est-à-dire à celui qui se présente comme le « sachant ».
Qu’il s’agisse de l’approche dite « nutritionnelle », qui consiste à guérir la maladie par le jeûne, et qui conduit les participants à obéir mécaniquement aux ordres dans la mesure où l’affaiblissement psychique lié au jeûne rend les participants « inaptes à contester », ainsi que le souligne le docteur Jean-Michel Cohen, ou de l’approche « psycho-spirituelle », qui se propose de soigner simultanément l’âme et le psychisme d’une personne, les mécanismes sont identiques : profiter des peurs pour substituer à la rationalité une croyance sans limite dans les propos avancés, les actions ou thérapies proposées.
Ces pratiques peuvent exposer les personnes les plus vulnérables, dont la détresse est grande et chez qui la faculté de pénétration de ces discours – pourtant insensés – est particulièrement forte, à des risques majeurs, pouvant même conduire certaines d’entre elles à la mort. Je pense notamment aux patients qui écoutent ceux qui prétendent pouvoir guérir le sida ou le cancer avec de simples plantes.
Face à de telles situations, face à de tels risques, le législateur et les pouvoirs publics dans leur ensemble ne peuvent renoncer à agir sous prétexte que le libre choix des personnes et la liberté de conscience les en empêcheraient, selon l’argument avancé par certains. Cette liberté, derrière laquelle se développent les pratiques sectaires, repose sur le choix par le patient de sa méthode de soins et sur la possibilité, laissée à tous, d’opter pour une croyance ou une spiritualité.
Contrairement à ce que d’aucuns prétendent – en ce sens, le rapport et les comptes rendus d’auditions sont précieux –, cette liberté est totale.
Je tiens à le souligner, l’esprit dans lequel la commission d’enquête a travaillé n’avait rien, à l’inverse de ce que j’ai pu lire sur certains sites Internet, d’inquisitorial. Très équilibré, le rapport ne jette pas l’opprobre pas sur les médecines douces, non allopathiques ou non conventionnelles, dès lors que celles-ci prétendent non pas se substituer aux soins, mais les compléter.
Au Canada, par exemple, comme le rappelle l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu, l’hôpital reste ouvert aux thérapies parallèles dès lors que les équipes médicales en sont informées et que les patients ne renoncent pas aux soins classiques.
La proposition n° 28 du rapport est, de ce point de vue, très équilibrée. Elle vise à intégrer un suivi des pratiques libérales des intervenants usant de techniques non conventionnelles à l’hôpital, par l’intermédiaire d’entretiens avec les patients, sous le contrôle du médecin chef de service ou du chef de pôle.
La proposition n° 22, que nous soutenons aussi, vise à mettre en place une accréditation des praticiens exerçant des thérapies non conventionnelles à l’hôpital par la Haute Autorité de santé.
Une autre proposition du rapport consiste à identifier les formations aux pratiques non conventionnelles destinées aux personnels médicaux au moyen du recensement des diplômes universitaires par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et à prévoir le suivi du contenu de ces enseignements.
De telles mesures d’accompagnement et de contrôle s’inscriraient dans une logique d’information loyale des patients, que nous approuvons.
Dans les faits et en droit, en effet, les seules restrictions autorisées relèvent des cas où il y va de l’intérêt de la société dans son ensemble. Je pense naturellement à la vaccination : celle-ci est obligatoire dans certains cas puisque son but est de protéger non seulement la personne vaccinée, mais aussi la société, afin d’éviter un risque pandémique.
Là encore, les groupes qui prônent la suppression de toutes les politiques de vaccination et des obligations vaccinales s’appuient sur le doute que suscitent certains médicaments ou vaccins. Les conditions dans lesquelles la politique vaccinale contre la grippe H1N1 a été décidée, avec la présence de représentants de l’industrie pharmaceutique dans le comité de lutte contre la grippe, ont jeté la suspicion sur l’ensemble des vaccinations contre la grippe. De la même manière, l’inaction sur les adjuvants et les sels d’aluminium nourrissent les discours catastrophistes et anti-vaccins. Il est vrai que, dans ce cas précis, la parole des patients n’est pas suffisamment prise en compte, je tenais à le souligner, madame la ministre.
Une politique de santé publique transparente, où la démocratie sanitaire serait renforcée et où les associations de patients ne seraient pas dépendantes des financements des groupes pharmaceutiques, nous semble être de nature à combattre cette situation.
C’est pourquoi nous souscrivons pleinement aux recommandations formulées par Jacques Mézard dans son rapport qui font de l’information des patients et de leurs proches une priorité.
Nous souscrivons également à la proposition qui consiste à rendre obligatoire, pour les professionnels de santé, la déclaration à l’agence régionale de santé de leurs pratiques non conventionnelles et la mise en place d’un suivi de ces pratiques par les ordres compétents.
Il s’agit non pas d’interdire toutes les pratiques non conventionnelles – chacun est libre ! –, mais de veiller à ce que les autorités compétentes puissent disposer de toutes les informations nécessaires pour, le cas échéant, intervenir et protéger celles et ceux dont le jugement serait altéré.
Mais il nous faut aussi répondre à des besoins nouveaux et légitimes, actuellement non satisfaits par la médecine conventionnelle. Celle-ci doit progresser. Sans doute est-il temps de passer d’une médecine hospitalière garantie à tous à une médecine pour tous, une médecine qui tienne compte, autant que possible, des singularités des patients et qui fasse du bien-être de ces derniers une priorité. J’en conviens, cela exige de rompre avec le cadre actuel, où les actes médicaux et paramédicaux sont rationalisés, du fait du manque de personnel et d’un mode de financement hospitalier qui n’est pas adapté à cette approche.
Notre pays a beaucoup progressé dans la voie de la lutte contre la douleur. Il doit encore progresser dans la notion d’approche globale du patient, afin que les mouvements sectaires ne puissent plus se prévaloir de l’argument selon lequel leurs méthodes conjugueraient le soin et le bien-être du malade.
Prise par le temps, je ne peux détailler notre position sur la question de l’encadrement des formations professionnelles ou sur la protection des publics vulnérables, notamment les mineurs.
D’une manière générale, nous espérons vivement que toutes les recommandations contenues dans ce rapport pourront être suivies d’effets, afin de dissiper l’ombre dans laquelle s’abritent les mouvements sectaires. Pour paraphraser Arthur Schopenhauer, je dirai que les sectes « sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l’obscurité ». §