Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 11 juin 2013 à 22h30
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, je vais sans doute répéter des propos qui ont déjà été tenus, mais le sujet, même à cette heure tardive, le mérite.

Je souhaiterais, en premier lieu, remercier le président de la commission d’enquête, Alain Milon, ainsi que son rapporteur, Jacques Mézard, qui ont su, durant ces mois de travaux, fédérer nos sensibilités diverses et permettre la publication de ce rapport important pour la protection de nos concitoyens. Évidemment, j’associerai à ces remerciements les personnels du Sénat qui nous ont été adjoints et qui se sont impliqués corps et âme, oserai-je dire, dans ce dossier sensible.

À l’origine, ma connaissance des sectes était limitée. C’est le fait d’aborder les dérives sectaires par le biais de la santé qui a capté mon intérêt.

Je dois le dire, au fil des auditions et échanges, il est apparu comme une évidence que, au-delà des influences sectaires, il était nécessaire de se préoccuper des dérives thérapeutiques. Le titre final du rapport complète à juste raison l’intitulé initial de notre commission : Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger. C’est bien là le fruit de notre réflexion et de nos propositions.

Il nous revient, au-delà de la liberté individuelle de pensée, d’apporter à nos concitoyens toutes les protections nécessaires pour que leur santé mentale ou physique ne soit pas obérée par des pratiques douteuses.

Comme nombre d’entre nous, je garde un souvenir très fort des auditions, et ce à plusieurs égards.

J’évoquerai d’abord les auditions des victimes ou de représentants d’associations de victimes. Tant de détresse, de souffrance chez les victimes ou leur entourage ! Comment des personnes a priori non déficientes intellectuellement peuvent-elles basculer, individuellement ou collectivement, dans un monde de soumission totale, psychique ou financière ? Pourquoi autant de crédulité ? Pourquoi avoir mis autant de temps à se libérer d’une telle emprise ? Pourquoi tant de difficultés pour l’entourage à pouvoir alerter les autorités compétentes ? Les familles se sentent souvent impuissantes.

On le sait, et les auditions nous l’ont confirmé, l’emprise peut briser des familles, conduire au divorce ou à la spirale du surendettement, et même au suicide. Les situations de carence de sommeil, de carences alimentaires, d’abus sexuels ou de faux souvenirs induits, décrites par les témoins, nous ont particulièrement émus. Les propositions relatives à l’action publique, à l’attention à porter aux témoignages des proches en matière judiciaire et à l’écoute des victimes par les représentants de l’État découlent de ce constat.

Nous avons aussi auditionné des professionnels, pseudo-praticiens qui, sous un discours, ou plutôt un verbiage scientifique et médical, prônent certaines pratiques non conventionnelles, à l’inefficacité totale sur le plan de la guérison et relevant d’un charlatanisme avéré.Il est vrai que nous avons eu droit à des moments un peu surréalistes ! Alain Milon a cité tout à l’heure quelques exemples.

Il existe ainsi une multiplication de pseudo-thérapeutes qui promettent des remèdes miracles, forcément très chers, sans oublier les offres d’ouvrages, de stages, de retraites… jamais bon marché ! Ces « dérapeutes », comme les appelle le Conseil de l’Ordre, sont d’ailleurs parfois médecins de formation et de pratique et n’hésitent pas à se faire radier de l’ordre pour pouvoir « exercer » sans risquer de sanctions ordinales ! D’où notre première proposition : interdire alors de pouvoir faire état de son titre universitaire de docteur.

Il apparaît donc qu’il convient d’exercer une vigilance accrue sur différents axes : contrôle des titres et formations dont se targuent certains ; contrôle des appareils à finalité médicale ou pseudo-médicale qui fleurissent sur Internet, dans les salons ou les magasins de bien-être ; renforcement de la sécurité sur Internet, vecteur « idéal » pour les gourous et autres... Nombreuses sont les propositions du rapport sur ces différents points.

J’en viens aux auditions de représentants des médecins, des professions de santé, des directeurs d’établissement et d’enseignants de faculté.

La mise en place, à côté de la médecine traditionnelle, de pratiques complémentaires peut répondre à un besoin. Le patient souhaite de plus en plus être considéré dans son ensemble, et non plus au regard de sa seule pathologie.

La technicité accrue, la bascule d’une médecine d’écoute et d’examen physique vers une médecine de plus en plus pointue en termes d’examens complémentaires de diagnostic et de traitements renforcent, chez les malades, un désir de « réhumanisation » des soins. Il ne se passe pas une semaine sans que des magazines s’emparent du sujet et vantent les médecines dites « douces ». Cela traduit l’importance du phénomène.

Un tel besoin d’une médecine peut-être différente s’entend. Mais, dans cette volonté d’introduire des pratiques nouvelles, notamment dans les établissements hospitaliers, il convient de prendre l’assurance qu’il n’y aura pas dérive d’une pratique complémentaire vers une pratique de substitution, avec les risques de perte de chance de guérison pour les patients. En effet, on l’a constaté, les malades du cancer, qui font face à des douleurs rebelles ou à des effets secondaires, constituent une cible de choix. Il n’est pas admissible de les couper des moyens traditionnels apportés par une équipe de professionnels compétents.

Au cours des auditions, j’ai ressenti chez certains médecins ou administratifs une forme de « naïveté » ou un manque de prudence – j’ose penser que cela ne va pas au-delà – vis-à-vis des risques de dérive sectaire.

En outre, même s’il nous a été signalé qu’il n’existerait pas une « appétence » particulière des étudiants de début de cycle de médecine, une grande attention doit être portée au contenu des programmes et, plus tard, aux diplômes universitaires.

Nos propositions relatives aux protocoles de soins, aux protocoles de recherche et à l’enseignement universitaire sont majeures à cet égard.

Les auditions des mouvements sectaires ont été autant de moments forts puisqu’elles nous ont mis face à des personnes rodées à défendre leur mouvement, rompus aux procédures judiciaires et prompts à évacuer les questions pièges. On comprend mieux que certains, ayant cédé à une approche séduisante, puissent éprouver du mal à s’en affranchir.

Depuis sa création en 2002, la MIVILUDES a réalisé un travail important. Selon un sondage Ipsos de fin 2010, 25 % des Français disent avoir été personnellement contactés par une secte et 20 % connaissent dans leur entourage des personnes victimes de sectes. Il convient de s’assurer que la mission pourra poursuivre et renforcer ses actions d’information des citoyens, de formation des agents publics et de coordination des pouvoirs publics. En effet, à côté des grands mouvements sectaires, ont émergé des groupuscules multiples.

Enfin, nous avons auditionné des représentants des administrations concernées.

Nous avons pu mesurer combien il était important que, en matière d’offres d’emploi et de formation professionnelle, les services concernés soient en alerte ! Je pense, entre autres, à Pôle Emploi et aux acheteurs de formations.

La gendarmerie nous a démontré sa motivation à lutter avec les moyens dont elle dispose contre les phénomènes sectaires et sa capacité à exercer une veille serrée, notamment sur Internet. Il convient que le Gouvernement prenne la mesure de l’enjeu et dote en conséquence les forces de gendarmerie, mais aussi, bien entendu, de police. Un effort doit porter sur la formation de leurs personnels dans l’écoute des personnes qui se présentent, à l’instar de ce qui a été fait, par exemple, pour les victimes de violences ou d’abus sexuels.

En matière judiciaire, Muguette Dini l’a dit, nous avons constaté la difficulté de qualifier l’emprise mentale et donc d’avoir une vision statistique fiable des affaires traitées. Plusieurs de nos propositions apportent des solutions, mais il conviendra d’aller plus loin en matière de qualification de l’emprise mentale, sans méconnaître toutefois la difficulté de l’entreprise. La notion d’emprise mentale fait l’objet de nombreux débats, parfois contradictoires, entre juristes, psychologues ou psychiatres. Il est, certes, difficile de les traduire en avancées législatives, mais la question mérite d’être posée.

L’obligation faite aux préfets de réunir annuellement les groupes spécifiques de travail au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance doit être respectée. Ce doit être l’occasion d’un état des lieux dans chaque département et d’un travail en réseau avec tous les intervenants. Il importe que nous, parlementaires, y soyons étroitement associés. Une sensibilisation des élus locaux, notamment des maires, doit être engagée, tant leurs fonctions les placent en première ligne.

S’agissant de l’éducation, un regard particulier doit être porté sur la scolarisation à domicile ou dans certains établissements, sans oublier les programmes de l’enseignement en collège et lycée.

Il resterait beaucoup à dire mais, au terme de nos travaux, j’ai le sentiment que notre commission d’enquête a produit un travail sérieux et indispensable. Nos collègues députés se sont à plusieurs reprises penchés sur le dossier des sectes. Un arsenal juridique en est résulté, mais l’œuvre n’est pas achevée. Nous devons poursuivre ce travail, en formulant des propositions à l’occasion de l’examen de textes législatifs, quand le sujet s’y prêtera. La veille constante que nous préconisons pour d’autres doit s’appliquer à notre travail de parlementaires. Une action à l’échelle de l’Europe serait également la bienvenue.

Madame la ministre, nous souhaitons que le Gouvernement ne laisse pas ce rapport devenir lettre morte. Nous comptons sur vous, et vous pouvez être assurée de notre vigilance pour rappeler à l’État les engagements que vous allez, je l’espère, prendre dans quelques instants. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion