Monsieur le président, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en premier lieu, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
Je tiens, en son nom, à saluer la qualité du rapport. Il est le fruit d’un long travail et de nombreux échanges puisque votre commission a organisé plus de 70 auditions. Des associations, des professionnels de santé, des experts, des représentants d’autorités sanitaires et des administrations concernées ont été entendus.
Vous avez également souhaité respecter le principe du contradictoire en entendant des représentants de mouvements susceptibles de dérives sectaires ou des praticiens mis en cause, y compris par la MIVILUDES. La plupart des procès-verbaux et des vidéos des auditions ont été rendus publics. La ministre des affaires sociales et de la santé tient à saluer cette démarche inédite.
C’est seulement à l’issue de ce long processus que la commission d’enquête a formulé 41 propositions sur la question de l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.
Les dérives sectaires s’accroissent en effet : c’est le constat de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Dans ce contexte, la santé est un secteur particulièrement à risques. Ainsi, près du quart des signalements adressés à la MIVILUDES concerne la santé ou le bien-être. Selon le président de cette mission, plus de 3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire.
Parce qu’elles touchent directement au corps, à l’intime, on attend de la médecine et des thérapies qu’elles se fondent sur la science. C’est tout l’inverse avec les comportements sectaires : ceux-ci se développent en s’appuyant sur des éléments chimériques plutôt que sur une démarche rationnelle. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il s’agit « d’éliminer le savoir au profit du croire ».
La santé est donc un terrain privilégié pour ceux qui entendent exploiter les faiblesses de l’autre. En effet, les personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable sont souvent enclines à se tourner vers des médecines non conventionnelles. C’est ce que votre rapport montre bien : ces pratiques sont parfois à l’origine de déviances thérapeutiques ou sectaires.
Soyons clairs : il ne s’agit pas de condamner les médecines dites « non conventionnelles ». Le rôle du législateur est d’identifier celles qui s’avèrent dangereuses pour les personnes.
Je ne parle pas seulement de charlatanisme : à l’évidence, la dérive sectaire dans le champ de la santé a des conséquences beaucoup plus tragiques. Sous l’emprise psychique de gourous ou de prétendus « thérapeutes », les victimes peuvent aller jusqu’à subir des sévices ou, dans certains cas extrêmes, à mettre fin à leurs jours.
Les techniques utilisées pour abuser des personnes malades relèvent de la manipulation, de l’emprise d’un être humain sur un autre. Le vocabulaire scientifique et médical est ainsi largement employé pour crédibiliser les argumentaires déployés par les mouvements à caractère sectaire.
Ces dernières années, le développement de ces pratiques a été favorisé par Internet, car les informations qui y figurent font encore l’objet de peu de contrôle de la part des autorités publiques.
Les formations professionnelles sont également concernées : 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques » ont ainsi été dénombrées dans le domaine de la santé.
Alors même que l’on constate un accroissement des dérives, ce phénomène reste très difficile à encadrer.
Les dépôts de plainte sont peu fréquents ou tardifs. Selon le ministère de la justice, en 2011, seulement une centaine de procédures pénales impliquant un contexte sectaire étaient en cours d’instruction ou au stade de l’enquête préliminaire.
Les témoignages à charge sont rares, les malades et les personnes vulnérables ayant souvent adopté un comportement irrationnel.
Les enquêtes sont complexes : elles s’appuient sur un faisceau d’indices et l’établissement de la preuve reste particulièrement difficile.
Enfin, vous l’avez rappelé, il n’existe aucune définition juridique de la secte. De même, aucun texte de loi n’interdit l’appartenance à une secte.
Il n’est donc jamais aisé d’identifier les pratiques douteuses et de poursuivre leurs responsables en justice.
Pour assurer la protection de nos concitoyens à cet égard, l’ensemble du Gouvernement est mobilisé, et le ministère de la santé est en première ligne. Afin d’agir efficacement, nous avons besoin d’une mobilisation collective. Les champs d’action concernés sont l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, qui peuvent eux-mêmes connaître ce type de dérives. Nous avons également besoin du ministère de la justice, qui dispose d’un rôle de repérage, ainsi que du ministère de l’intérieur, qui a pour mission de coordonner la prévention de ces dérives sectaires au niveau départemental. Plusieurs axes de travail ont déjà été tracés.
Certaines des propositions formulées dans votre rapport concernent l’amélioration de l’information en matière de santé, s’agissant notamment des médecines non conventionnelles.
D’abord, pour bien agir, il faut le faire de façon éclairée, en évaluant scientifiquement l’efficacité des pratiques présentées comme thérapeutiques.
Un groupe d’appui technique, composé notamment des ministères de la santé, de la justice et de la MIVILUDES, placé auprès du directeur général de la santé, est en charge de travailler sur les pratiques non conventionnelles depuis plusieurs années. Il a pour mission d’évaluer ces pratiques, d’informer le public et de lutter contre celles qui sont dangereuses. Un programme d’évaluation est mis en œuvre avec l’INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale –, qui a élaboré une méthodologie adaptée sur certaines pratiques telles que la mésothérapie, l’ostéopathie, la médecine chinoise. Un dossier figure sur le site du ministère chargé de la santé. Il apporte une information globale généraliste sur ce qu’est la médecine conventionnelle et sur ce qu’elle n’est pas. Progressivement, ce dossier doit s’enrichir de fiches d’information sur les principales pratiques non conventionnelles en matière de santé.
En parallèle, une étude a été engagée pour forger d’autres outils juridiques qui permettront de lutter contre les pratiques non conventionnelles dangereuses. Ces outils pourraient s’inscrire dans la prochaine loi de santé publique.
Ensuite, il s’agit de renforcer l’information dans le champ de la santé.
Une refonte du site Internet du ministère chargé de la santé est actuellement en cours : l’objectif est de rendre les informations relatives à la santé plus accessibles au public et de faire en sorte que les données qu’il contient soient mieux référencées. Les nouvelles données, en particulier celles qui concernent les pratiques thérapeutiques non conventionnelles, font l’objet d’une attention particulière.
Par ailleurs, la Haute Autorité de santé proposera, au début de l’année 2014, un nouveau dispositif « qualité » en matière de sites dédiés à la santé, afin de donner des repères à l’internaute. Ce dispositif sera construit en concertation avec les usagers, les professionnels de santé, les pouvoirs publics et les éditeurs.
La création d’un site public d’information en santé permettra également de rendre plus lisible l’information publique en santé, aujourd’hui multiple et éparse.
Enfin, l’encadrement des formations professionnelles constitue le troisième axe d’action.
Dans votre rapport, figurent plusieurs propositions à cet égard, concernant tant le contrôle du contenu des formations et de la qualité des organismes dispensant ces formations que la sensibilisation des acteurs.
En effet, nous devons mieux sensibiliser les acteurs de la formation au risque sectaire. Des pistes seront à l’étude dans le cadre de la préparation de la prochaine réforme de la formation professionnelle, qui donnera lieu à un projet de loi d’ici à la fin de l’année.
Par ailleurs, les organismes souhaitant intervenir dans le champ du développement professionnel continu des professionnels de santé seront soumis à évaluation et contrôle.
Vous l’avez justement noté, la justice joue également un rôle clef dans la lutte contre les dérives sectaires. Le dispositif peut toutefois être encore amélioré.
Il apparaît essentiel d’inciter les procureurs à donner suite, ainsi que vous l’avez proposé, aux plaintes et aux signalements liés à des dérives sectaires ; cet objectif pourrait faire l’objet d’une circulaire du ministère de la justice.
Ensuite, il faut mieux former les référents « dérives sectaires » désignés au sein de chaque parquet général et dont vous avez noté l’importance. S’ils permettent déjà de disposer d’un relais actif et d’une meilleure circulation des informations au niveau des cours d’appel, il faut les sensibiliser davantage encore à la spécificité de ces enjeux. Un magistrat référent en charge de l’action publique est nommé au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces. Il est, à ce titre, en charge des dérives sectaires et assure le lien avec ces référents, les administrations concernées ainsi que la MIVILUDES.
Enfin, le ministère de l’intérieur joue également un rôle déterminant dans la lutte contre les dérives sectaires, vous l’avez relevé à juste titre. Son action passe par les conseils départementaux de prévention de la délinquance, dont les prochaines orientations pourraient inclure les dérives sectaires. Mais l’approche ne peut être seulement répressive.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport qui est présenté aujourd’hui nous rappelle l’absolue nécessité de rester vigilants : les dérives sectaires connaissent actuellement des mutations rapides, qui imposent une mobilisation collective.
Vous pouvez être certains que tous les services de l’État, au premier rang desquels la MIVILUDES, sont pleinement engagés pour apporter protection et information à nos concitoyens et répondre à votre volonté non seulement de défendre, mais aussi de punir quand cela est nécessaire. §