Intervention de Didier Marteau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 juin 2013 : 2ème réunion
Les normes comptables au service de l'économie — Audition conjointe de Mm. Jean-Luc deCornoy président du directoire de kpmg france jérôme haas président de l'autorité des normes comptables didier marteau professeur à l'escp europe philippe messager président de l'association française des trésoriers d'entreprise et michel prada président de la fondation ifrs

Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe :

Je vais vous donner un exemple, tiré de crise financière, qui illustrera vos propos.

Seul le portefeuille de trading est évalué à la fair value et pas les portefeuilles de prêts. Les banques américaines qui avaient accordé énormément de prêts immobilier et, notamment, les fameux subprimes, se trouvaient avec, dans leur bilan, des actifs dont la valeur ne variaient pas, sauf provisions. Cela ne les intéressaient pas de conserver ce portefeuille qu'ils ne pouvaient pas valoriser en fair value.

Des banques d'investissement américaines ont alors titrisé à 80 % les subprimes pour les vendre à des special purpose vehicules qui, pour financer leurs achats, émettaient des titres obligataires eux-mêmes en partie rachetés par les banques, qui récupéraient donc les risques liés au portefeuille de prêts cédé. Mais à partir du moment où il s'agissait de titres, ils devaient être valorisés en mark-to-model niveau 2 ou 3.

Soyons concrets, le prix d'un portefeuille de prêts dépend de trois paramètres : la probabilité de défaut de chaque émetteur mais qui est totalement inobservable, la corrélation des éléments de défaut, également inobservable, et la valeur de recouvrement en cas de défaut qui peut se calculer. Tout cela n'est pas évaluable. Mais parce qu'elles avaient transformés leurs prêts, dont les normes ne permettaient pas de faire varier la valeur dans les comptes, en ces fameux CDO, ces produits titrisés de crédits, qui entrent pour partie dans le mark-to-model niveau 2 et pour partie dans le mark-to-model niveau 3, alors les banques ont eu la possibilité d'enregistrer des plus-values latentes qui amélioraient leur résultat, en fonction d'hypothèses qu'elles posaient elles-mêmes sur le taux de défaut, sur la corrélation des défauts, sur le marché de l'immobilier... Ainsi, ce qui valait au départ 100, vaut ensuite 110 puis 120 puis 130, jusqu'à ce que la représentation comptable rencontre la réalité économique. Alors ce qui était censé valoir 110, 120, 130 ou 150 n'en vaut plus que 20. Malheureusement, les résultats que vous avez distribués, notamment sous forme de bonus, ne sont pas restituables et c'est l'État qui est alors mis à contribution.

La qualité de la certification est un faux débat car il est impossible de certifier des valeurs calculées à partir d'éléments non observables. Il faut être lucide. Or c'est ce qui est écrit dans la norme IFRS 13. Même le meilleur scientifique ne pourra produire d'évaluation.

Prenons, pour finir avec un sourire, un autre exemple de produits évalués en mark-to-model de niveau 3. Ce sont les produits dérivés climatiques, émis par des banques d'investissement. Pour un brasseur, le risque c'est qu'un été frais fasse baisser ses ventes. Un degré Celsius de moins l'été entraîne une baisse des ventes de bières de 7,5 %. Un brasseur peut donc vouloir se couvrir sur les cinq prochaines années contre le risque de baisse de la température au mois d'août dans le sud de l'Europe, en payant 10 millions de dollars pour chaque degré au-dessus de 22 °C et en recevant la même somme pour chaque degré en-dessous de 22 °C. Si ce produit dérivé est proposé et valorisé par une banque d'investissement, nous sommes dans un mark-to model de troisième niveau. Même avec les meilleurs spécialistes, qui est capable de valoriser un produit qui donne dix millions de dollars par variation de degré Celsius à Madrid pendant cinq ans au mois d'août ? L'employé de la banque, chargé des weather derivatives, valorise ce produit de manière non scientifique car aucun scientifique n'est capable de calculer la valeur de ce produit. Et on accepterait que la variation de la valeur fixée par la banque elle-même soit répercutée dans son résultat ?

L'IASB produit une norme IFRS 13 autorisant ce mark-to-model de niveau 3. L'EFRAG a édité un document qui dit que cette norme est bonne parce qu'elle répond à quatre critères relevance, reliability, understandability et comparabilité. Il y a de quoi se poser des questions. C'est un vrai sujet, qui n'est pas celui de la compétence des commissaires aux comptes mais de la norme comptable.

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