La réunion

Source

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'audition conjointe, sur le thème « les normes comptables au service de l'économie », de MM. Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables, Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise, et Michel Prada, président de la Fondation IFRS.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le choix des normes internationales, dites IFRS (International Financial Reporting Standards), par l'Union européenne remonte déjà à 2002, et leur mise en oeuvre à 2005. Beaucoup de débats ont eu lieu dans notre pays - peut-être s'en est-il fait une spécialité - sur le court-termisme de ces règles, la volatilité accrue qu'elles induisent, l'expression ainsi donnée à la financiarisation de l'économie. Par ailleurs, ce débat a souvent mis l'accent sur la légitimité des normes internationales, élaborées par des entités non-étatiques, auxquelles les États et l'Union européenne s'en remettent pour édicter la normalisation et en définir les conditions d'application. Début 2013, la Commission européenne a annoncé qu'elle allait réexaminer le règlement sur l'application des normes comptables internationales, afin d'évaluer l'impact réel de ces normes après huit années de mise en oeuvre. Dans ce cadre, un examen de la procédure d'adoption des normes a également été lancé. C'est sur ce point qu'intervient la mission confiée à une haute personnalité, Philippe Maystadt, ancien ministre des Finances belge et ancien président de la BEI (Banque européenne d'investissement).

C'est donc dans ce contexte allons entendre successivement Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables (ANC) ; Michel Prada, président du conseil d'administration de la fondation IFRS, sous l'égide de laquelle sont élaborées les normes comptables internationales ; Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe, auteur en 2010 d'un rapport sur les normes comptables et la crise financière internationale commandé par Christine Lagarde ; Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France, qui nous apportera sa vision de professionnel du secteur ; et enfin Philippe Messager, en sa qualité de président de l'Association française des trésoriers d'entreprises (AFTE), qui est également directeur des financements et de la trésorerie d'EDF et donc l'un des professionnels les plus avertis de la place de Paris.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Je voudrais partir de la question que vous nous avez adressée : comment remettre les normes comptables au service de l'économie « réelle » ? Il y a dans ce mot l'évocation d'opérations réalisées dans le passé, dont on peut rendre compte de façon certaine, et qui sont précisément celles qui sont retracées par les comptes. Probablement veut-on opposer le « réel » à l'« irréel » ou au « virtuel », c'est-à-dire l'économie réelle à l'économie financière. La métaphore de cette comptabilité de l'économie réelle, comme représentation du passé, serait plutôt celle d'un documentaire que d'une fiction - un documentaire ennuyeux, mais après tout, le mot de « comptable » est souvent associé à l'idée de quelque chose d'un peu roboratif, austère, ennuyeux. Je n'hésite donc pas à dire que de bons comptes font un documentaire ennuyeux. Le problème, c'est que nous avons aussi à faire à d'autres normalisateurs comptables, et notamment au normalisateur comptable international, qui préfèrent les oeuvres de fiction plus colorées et excitantes - mais ces oeuvres finissent par décrire la réalité comme ils la voudraient plus que comme elle est, et à créer un écart entre les comptes et l'économie.

Je prends d'emblée cet angle car, à vrai dire, la question que vous nous posez n'aurait jamais été posée ainsi à personne avant 2002, ni dans les décennies précédentes ni même dans les cinq siècles de comptabilité qui nous séparent de la Renaissance italienne. Si la question se pose ainsi aujourd'hui, c'est parce que nous avons vécu le passage des International Accounting Standards (les IAS) aux International Financial Reporting Standards (les IFRS), c'est-à-dire le passage, qui n'a rien d'anodin, de la comptabilité au « reporting financier » - il n'y a d'ailleurs pas de mot français pour le dire exactement.

Avant de partager avec vous l'état des lieux et d'évoquer les pistes d'action pour l'avenir, il faut replacer le sujet dans une perspective historique. Au départ prévalait l'idée que les normes européennes, qui avaient 500 ans, n'étaient pas satisfaisantes - ce qui est selon moi une « vraie fausse » idée. On leur reprochait deux choses.

Le premier reproche était qu'elles ne traitaient pas de la finance : ces normes dataient en effet des années 1970, et la finance des années 1980. La seconde était qu'elles comportaient trop d'options - mais vous verrez que nous y reviendrons, parce qu'il y a bien des différences dans l'économie réelle dont il faut savoir rendre compte, sans nécessairement vouloir enfermer toutes les représentations dans une forme unique. Nous avons donc adopté les normes internationales - même si ces normes n'avaient en 2002 jamais été testées ni adoptées par personne, et qu'elles étaient manifestement incomplètes. Et nous avons beaucoup appris. Ces normes étaient et sont toujours très riches, très intéressantes, et représentent un progrès dans la science, une sorte d'« état de l'art moderne » auquel je rends hommage. Des dizaines de spécialistes et d'experts ont travaillé pendant très longtemps pour produire ce jeu de normes, à tel point qu'il a paru équivalent à tous les autres jeux de normes possibles existant dans le monde.

Très vite, il est cependant apparu que ce jeu de normes comportait un certain nombre d'hypothèses non explicites. L'une est que les entreprises sont moins bien placées pour parler d'elles-mêmes que des tiers, à commencer par les marchés financiers. L'autre est que, pour bien rendre compte de l'activité de l'économie, il ne faut pas seulement parler du passé, mais aussi de l'avenir. Or en ouvrant la voie à l'introduction de l'avenir dans les comptes, on ouvrait la possibilité d'y inclure des profits non réalisés.

Puis vient la crise financière, qui est une confirmation : il y a dans les comptes en réalité l'évolution des marchés, on ne distingue plus ce que fait une banque de ce que fait le marché, la bulle se constitue, on ne la voit pas, on s'en aperçoit trop tard, et la chute est d'autant plus forte. Nous l'avons écrit, aujourd'hui beaucoup d'universitaires partagent cette vision, tout comme de nombreux documents officiels depuis cinq ans, et pas uniquement d'origine française. Les solutions proposées jusqu'à présent ne répondent pas véritablement à ce qui s'est produit. De fait, sur la question financière, nous n'avons adopté aucune norme depuis cinq ans. Le G20 a fixé des délais, d'abord en juin 2011, maintenant reportés à fin 2013. Ce retard est en partie dû à l'obligation que nous nous sommes donnée de travailler en convergence avec les États-Unis, mais ceci n'est pas une excuse. L'IASB (International Accounting Standards Board) a voulu cette convergence, de la manière la plus virulente qui soit, et force est de constater que nous avons aujourd'hui un vrai problème de fond.

Vous avez parlé, monsieur le Président, de « court-termisme ». Je voudrais ajouter qu'au-delà des questions strictement financières, nous assistons aujourd'hui à un développement de normes beaucoup plus nombreuses que ce que nous imaginions en 2005-2006, qui manifestent un approfondissement de cette tendance vers une mesure de l'économie sous forme instantanée - et c'est évidemment pour nous le principal problème.

Le second problème est lié aux questions de gouvernance, qu'il s'agisse des financements, du pouvoir ou de l'utilisation réellement faite des normes au sein de l'organisme privé qu'est l'IASB.

Troisièmement, il existe un problème de qualité des normes, que je n'évoque que d'un mot, et qui tient à leur nature conceptuelle, à leur complexité, à leur abstraction, à la quantité de problèmes quotidiens auxquels nous devons faire face pour les appliquer.

J'insiste : ce débat est un débat minoritairement français, majoritairement européen, mais aussi australien, sud-africain, canadien. Et c'est évidemment un débat qui existe aussi dans les pays où les normes ne sont pas appliquées, parce que la perception de tous ces enjeux de fond ou de mise en oeuvre sert de critère de jugement pour l'adoption des normes internationales. Les États-Unis, après quatre rapports en moins de 18 mois, n'ont pour l'instant pas pris de décision, le Japon progresse mais n'a pas non plus décidé, sans parler de tous ceux qui appliquent ces normes mais à leur choix.

Que faire ? Je citerai seulement des axes.

La première des recommandations est de respecter la sagesse du législateur européen, qui n'a demandé l'application de ces règles qu'aux comptes consolidés des grandes entreprises cotées, et de surtout ne pas soumettre à cette obligation d'autres entreprises que les très grandes entreprises, dotées de très lourds moyens, pour des marchés financiers très profonds et savants, qui savent plus ou moins - peut-on penser - démêler le bon grain de l'ivraie.

La deuxième recommandation est de continuer de travailler encore avec nos voisins aux questions de gouvernance au rythme approprié.

La troisième recommandation porte sur le travail européen : pour ma part, je travaille énormément depuis deux ans avec mes trois collègues britannique, italien et allemand, avec qui nous représentons l'essentiel des enjeux en Europe. Nous avons demandé une réforme de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), association privée qui représente le pôle d'expertise européen aujourd'hui. Nous avons fait des propositions concrètes l'an dernier, qui ont été rejetées par Pedro Solbes, ancien commissaire européen qui présidait le conseil d'administration de l'EFRAG, et c'est ce qui a débouché notamment sur les initiatives de Michel Barnier que vous avez rappelées. Nous avons demandé un débat sur l'évolution de cet organisme, et aussi à cette occasion sur l'ensemble des questions de fond et d'organisation que j'ai citées.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Nous faisons des propositions soit directement au normalisateur international qu'est l'IASB, soit avec ou à travers la Commission européenne. Je terminerai en disant qu'à l'Autorité des normes comptables, nous faisons énormément de propositions, sur le fond, sur la forme, sur l'organisation et sur les procédures ; nous allons publier un document sur les questions de « court-termisme » et sur le cadre conceptuel de l'IASB.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Tout d'abord, le Parlement européen porte une vision critique de l'adoption des normes ; quant au Parlement français, il est à mes yeux le gardien et le garant de la partie dont je n'ai pas parlé, c'est-à-dire des normes françaises...

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Qui sont la partie invisible du dispositif sans laquelle ce dispositif ne fonctionnerait pas.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Il est absolument fondamental de dire que ces normes existent, qu'elles reposent sur des lois, que ces lois sont mises en oeuvre, utilisées, que ces normes sont simples, sûres, stables, et que c'est ce qui permet de distribuer des dividendes sur des bénéfices effectivement réalisés, de payer ses impôts, de produire des statistiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Je vous ai un peu provoqué. La parole est à Monsieur Michel Prada, en sa qualité de président du board des trustees de la fondation IFRS. Qu'il veuille bien nous dire par quel paradoxe nous nous trouvons, au sein de l'Union européenne, dans un processus d'adoption de normes mondiales, alors que les Américains conservent des normes américaines. Peut-on nous dire quel est le sens d'une normalisation européenne, faite entre gens convenables et avertis, en lien avec le Parlement européen, mais sans vrai débat démocratique sur rien, et alors que la question de la réciprocité est éludée ?

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Il y a un peu plus de dix ans, les responsables des marchés financiers mondiaux, ayant constaté la montée en puissance des US GAAP (Generally Accepted Accounting Principles), adoptés par un nombre croissant d'entreprises mondiales et en particulier européennes, ont milité pour que la normalisation comptable internationale « ne se fasse pas dans le Connecticut », pour reprendre la formule de Paul Volcker. Ils se sont mis d'accord à Sydney en 2000, avec le soutien de la SEC (Securities and Exchange Commission), pour réformer le système de normalisation utilisé pour les cotations internationales, en reconnaissant un corps de trente-neuf normes, le Core Standards de l'IASC. A la suite à cette décision, le normalisateur international a été réformé en profondeur, avec la création d'une fondation, dont la présidence a été confiée à Paul Volcker, et qui devait faire en sorte que les normes délivrées soient aussi satisfaisantes que possible pour les opérations internationales. Cet objectif a été atteint. Aujourd'hui, les normes internationales sont reconnues sur tous les marchés significatifs du monde, en particulier aux Etats-Unis, qui ont en 2007 accepté les IFRS pour la cotation à New-York des entreprises étrangères. La SEC est aujourd'hui organisée pour travailler sur les IFRS, et ses comptables sont formés aux IFRS.

En 2002, un accord entre la SEC, le FASB américain (Financial Accounting Standards Board) et l'IASB a porté sur la mise en place d'un processus de convergence vers le même standard international. Ce processus a duré dix ans, il a été difficile, il est en cours d'achèvement dans l'inachèvement. Des progrès significatifs ont été accomplis des deux côtés, et il reste aujourd'hui quatre grands sujets en cours de traitement. Mais, alors que Chris Cox, le président de la SEC, avait annoncé qu'une décision interviendrait certainement fin 2011, Mary Schapiro, qui lui avait succédé, totalement submergée par les conséquences du Dodd-Frank Act, considéra qu'elle ne pouvait pas prendre de décision en raison des difficultés internes aux Etats-Unis. D'où la situation actuelle : les Etats-Unis continuent à ne reconnaître que la valeur des US GAAP sur le plan domestique, mais ont reconnu la validité des IFRS sur le plan international.

L'enjeu est aujourd'hui de négocier une solution avec les Etats-Unis, pour laquelle les autorités politiques américaines ont manifesté leur intérêt et leur soutien. Je rappelle que tous les communiqués du G20, au niveau des chefs d'Etat comme des ministres des finances, rappellent la nécessité d'aller vers « des standards uniques mondiaux de qualité » (« a global set of high quality international accounting standards »). Le processus est en cours, je suis bien sûr personnellement très déçu que nous n'ayons pas réussi à y parvenir plus vite, mais je ne désespère pas. Je vois dans les déclarations publiques - et en particulier dans les trois discours prononcés le 30 mai dernier par le président du FASB, le chief accountant de la SEC, et Ellisse Walter, commissaire de la SEC - des encouragements à l'adoption des normes internationales. Je pense donc que nous devons continuer à faire pression sur les États-Unis pour qu'ils aillent dans cette direction, tout en demeurant réalistes : c'est un très grand pays, qui représente encore aujourd'hui près de 40 % de la capitalisation boursière mondiale, doté depuis des décennies d'un standard extrêmement proche de la philosophie des IFRS, et marqué par une préférence pour ses propres dispositifs. Accepter une normalisation internationale est une évolution politique difficile pour les Américains. Je pense que nous y parviendrons.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Merci pour cette présentation très claire, qui appelle notre attention sur des éléments fondamentaux du débat. La parole est à Didier Marteau pour nous exposer les aspects économiques de la question : quel rôle ont eu les normes comptables dans l'apparition et la diffusion de la crise financière ? Les normes comptables sont-elles neutres économiquement ? Quel est le débat de fond dans la querelle entre les normes européennes et américaines ?

Debut de section - Permalien
Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe

La question de la juste valeur, ou fair value, illustre le mieux l'écart entre les normes comptables au service de l'économie et les normes comptables actuellement appliquées. Un exemple : la banque américaine Goldman Sachs possède un stock de produits dérivés de 1 000 milliards de dollars, appréciés à la juste valeur. Pour la Société générale, ce sont 400 milliards d'euros, pour des fonds propres de 50 milliards d'euros ; de même pour BNP Paribas. L'enjeu de l'évaluation de ces portefeuilles est donc colossal, d'autant plus que leurs variations, à la juste valeur, entre dans le calcul du résultat et des rémunérations des opérateurs de marché.

C'est aussi un sujet d'actualité puisqu'au mois de décembre dernier, la Commission européenne a adopté, après consultation de l'EFRAG, la norme IFRS 13 qui prévoit que, dans l'hypothèse où des transactions sont observables sur un marché, d'actions, d'obligations, de devises, la meilleure estimation de la juste valeur est le prix de marché. La norme dit aussi que si des transactions ne sont pas observables, les banques doivent remplacer le prix de marché par un prix de modèle. Il y a alors deux cas de figure : ou bien le prix de modèle est établi sur la base de paramètres observables, en fonction par exemple de volatilité observée sur des produits comparables, ou bien le prix de modèle est établi sur la base de paramètres non observables. Les banques peuvent donc valoriser une partie de leur portefeuille de dérivés au prix de modèle sur la base de paramètres non observables ! Cela doit nous réveiller.

Les traders ont d'ailleurs des expressions pour cela. La valorisation au prix du marché, ils l'appellent le mark-to-market ; la valorisation au prix de modèle sur la base de paramètres observables, de niveau 2, le mark-to-model ; et la valorisation au prix de modèle sur la base de paramètres non observables, de niveau 3, le mark-to-myself... Et les variations latentes de ce portefeuille sont enregistrées dans le résultat !

Cela pose deux questions économiques. Est-ce qu'un prix de marché, associé à un volume de transactions faible, particulièrement dans une crise de liquidité, est pertinent pour évaluer un stock d'actifs ? Vous me demandiez si les normes étaient neutres : lors de la crise, le prix des actions s'est effondré, le volume des transactions également, les banques ont dû valoriser leurs actifs à la valeur de marché, sur la base de faibles volumes de transactions, d'où des pertes comptables, donc des fonds propres en diminution et la nécessité de vendre des actifs risqués à un mauvais moment...

Ma deuxième interrogation concerne le prix de modèle de niveau 3. Est-il anecdotique dans l'évaluation du portefeuille ? Chez Goldman Sachs, 99,8 % sont évalués sur la base d'un prix de modèle ; le portefeuille évalué en niveau 3 représente 15 milliards de dollars. A la Société générale, 92 % est évalué en prix de modèle, dont 20 milliards de dollars en prix de modèle de niveau 3, sur la base de paramètres non observables.

Même si cela va être révisé dans la prochaine norme IFRS 9, vous pouvez encore aujourd'hui valoriser au prix de marché votre propre dette. Dans ce cas, si l'entreprise va mal, la valeur de sa dette diminue, ce qui permet de dégager un résultat positif ! Ainsi, en décembre 2011, sur les huit milliards d'euros de résultat de la Société générale, 1,2 milliard d'euros est lié à la dégradation de sa dette. L'ordre de grandeur est le même pour Goldman Sachs, autour d'un milliard de dollars.

En conclusion, vous voyez que les normes comptables ne sont clairement pas neutres et qu'elles ont encore du chemin avant d'être au service de l'économie.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Ce sont des sujets loin d'être neutres, mais trop sérieux pour être décidés par un Parlement, même européen... Jean-Luc Decornoy, en tant que président de KPMG France ayant la pratique professionnelle, comment avez-vous vécu cette période de transformation ? Comment vivez-vous, par ailleurs, cette dualité entre les entreprises se finançant sur le marché et qui doivent informer le marché selon les normes du marché, et les entreprises de la bonne vieille économie territoriale qui demeure dans le système comptable et juridique traditionnel ? Le débat entre normes européennes et normes mondiales est-il un vrai débat, ou est-ce joué d'avance ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Decornoy

Si c'était joué d'avance, je ne serais pas venu. Les IFRS nécessitent selon moi des améliorations. Les IFRS ont montré qu'elles servaient à quelque chose, en particulier à avoir une vision immédiate de l'entreprise et ainsi, sous les réserves rappelées par le professeur Didier Marteau, à réaliser des transactions plus rapidement.

Il y a des conséquences négatives. Par exemple, aujourd'hui, il n'y a plus d'obligation d'amortir annuellement le goodwill ; ainsi, on a constaté une augmentation de 10 à 15 % du prix d'acquisition des entreprises depuis quelques années, l'amortissement n'étant plus dans le compte de résultat. Mais le jour où il faut déprécier ce goodwill en raison d'une baisse des prévisions, la chute est plus brutale. Il y a donc de ce point de vue un caractère procyclique.

Par ailleurs, les départements financiers des entreprises ont deux façons de voir les choses : celle des normes françaises et celle des IFRS. Si j'ai une supplique à faire au Parlement, c'est de ne pas étendre les IFRS aux petites et moyennes entreprises (PME), car vous finiriez de les achever.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France

Justement ! En effet, les grandes entreprises et les PME ont des approches différentes. Pour les dirigeants de PME, structures souvent familiales, l'important n'est pas de connaître la valorisation de son entreprise mais d'apprécier sa performance économique. Or, cet aspect est complètement obéré par les normes internationales.

Les IFRS ont une approche strictement financière, ce qui est un peu dangereux aujourd'hui. En effet, sachant la valeur de l'entreprise, l'investisseur qui s'y intéresse s'attend à avoir un rendement suffisamment élevé en fonction du prix d'achat, ce qui met une pression financière, sans considération économique, sur les opérateurs.

Les normes IFRS sont issues de la volonté d'avoir un Esperanto, un langage commun entre les normes européennes et les normes anglo-saxonnes. Il faut s'adapter, mais le problème n'est pas là.

Un autre problème réside dans le fait que l'Europe et les États-Unis ont une approche différente sur un point. Les Américains sont rule based , c'est-à-dire qu'ils appliquent la règle en prévoyant tous les cas de figure possibles. Il suffit donc d'appliquer bêtement la règle prévue dans le recueil. A l'inverse, les IFRS ont pour avantage que l'on peut s'adapter. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que les cabinets d'audit européens sont de très grande qualité, sans doute meilleurs que les cabinets américains, car nous recrutons au sein des meilleures écoles, alors qu'un diplômé de Harvard n'ira pas dans un cabinet d'audit aux Etats-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous prenons note de votre supplique. Philippe Messager, vous exercez votre activité chez EDF, soit une taille d'entreprise particulière, au contact des marchés chaque jour. Vous êtes également président de l'association française des trésoriers d'entreprises : y aurait-il, comme l'indique Jean-Luc Decornoy, deux mondes différents, celui des entreprises familiales et celui des grandes entreprises se finançant sur le marché ?

Debut de section - Permalien
Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise

Je souhaite apporter mon point de vue de praticien. Dans une entreprise, il y a quatre références comptables : la comptabilité sociale, la comptabilité fiscale, les normes IFRS et les normes US GAAP pour les entreprises cotées aux États-Unis. EDF n'est pas cotée aux États-Unis, mais Veolia, où j'ai précédemment travaillé, l'était ; cela implique un corpus supplémentaire de règles.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Quelle charge supplémentaire cela représentait-t-il pour Veolia ?

Debut de section - Permalien
Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise

Plusieurs millions d'euros par an. Cela concerne des entreprises comme Alcatel, Orange, Arcelor Mittal, Total, Sanofi, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

On peut comprendre que les émetteurs soient favorables à un système global...

Debut de section - Permalien
Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise

Il y a une tentative de convergence, mais on en est encore loin. Les IFRS ont une approche conceptuelle, alors que les US GAAP se fondent sur des respects de seuils et de probabilités.

Il existe un autre corpus de normes qui a pris le dessus sur les autres : c'est celui des agences de notation. Aujourd'hui, il n'y a pas un projet chez EDF qui ne soit pas analysé sous l'angle de la méthodologie des agences. Je rappelle qu'au 31 décembre 2012 la dette nette d'EDF était de 39 milliards d'euros. Si l'on tient compte de l'appréciation de Standard & Poor's, en y ajoutant la provision pour risque nucléaire, la dette s'élève à 74 milliards d'euros ; pour Moody's, elle s'élève à 64 milliards d'euros. Sur les marchés, ce sont ces éléments qui sont pris en compte par les investisseurs et les analystes. Il y a donc des retraitements importants à faire sur les informations fournies par les documents de référence.

Debut de section - Permalien
Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise

Elles raisonnent selon leur propre méthodologie. Un exemple : l'État doit à EDF un montant de contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour 4,9 milliards d'euros au 31 décembre 2012. Après discussions avec notre actionnaire de référence, nous avons pu considérer que cette créance venait en réduction de la dette globale du groupe. Sur les deux agences, l'une, Standard & Poor's, a accepté cette déduction ; l'autre, Moody's, non !

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Pour ma part, je me réjouis de l'idée qui a conduit à organiser ce matin cette audition, car elle nous permet de mieux appréhender une réalité tout à fait inquiétante.

Quelle est la denrée principale qui s'échange aujourd'hui dans le monde ? C'est l'information, qui circule à grande vitesse. Cette information est-elle fiable, est-elle biaisée ? C'est une question que l'on peut avoir à l'esprit. Pour prendre un exemple, lorsque le présentateur du journal de vingt heures annonce que les chiffres du produit intérieur brut ne sont pas ceux que l'on attendait, les mines s'assombrissent dans les chaumières et chacun va se coucher en pensant que le bonheur intérieur brut n'est pas au rendez-vous, parce que cette information laisse entrevoir une perspective inquiétante, sombre. L'information peut être source de confiance ou d'inquiétude. L'information comptable doit-elle donner une image fiable, sincère, fidèle ? Nous en sommes tous persuadés : c'est l'objectif à atteindre. Les propos que nous venons d'entendre démontrent, s'il en était besoin, que l'on peut avoir des inquiétudes sur ce point. Il est clair que, pour des parlementaires, la question est fondamentale, parce que si l'information sur laquelle nous travaillons n'est pas satisfaisante, cela pose un vrai souci. On entend qu'une banque a dégradé sa propre dette, d'elle-même, dans son bilan, de plus d'un milliard, sans que cela soit en contradiction avec la législation en vigueur. Cela ne peut que nous interroger par rapport à la qualité de l'information dont nous disposons sur la situation des banques.

Après ce propos introductif, j'aurai trois questions.

Je m'inquiétais un peu en écoutant M. Decornoy, parce que j'avais le sentiment que si les PME françaises voulaient obtenir des capitaux internationaux, il était souhaitable qu'elles jouent le jeu de l'information comptable et financière internationale. Or vous nous dites que ce n'est peut-être pas comme cela qu'il faut raisonner, qu'il faut au contraire éviter à tout prix que nos PME s'engagent dans cette voie. Pourriez-vous me repréciser votre réflexion sur ce point ?

Je voudrais ensuite aborder la question de l'articulation des différentes normes comptables, françaises, internationales et américaines et des règles prudentielles, comme celles issues de la directive Solvabilité II. Cet enchevêtrement de normes ne conduit-il pas à une forme de stérilisation de l'action ?

Je m'interroge enfin sur les conditions de certification des comptes. On peut avoir les meilleurs normes comptables du monde, cela ne sert pas à grand-chose sans la certitude qu'elles ont été fidèlement et sincèrement appliquées. On tendrait à être rassurés en vous entendant dire que les cabinets européens sont mieux pourvus en compétences que les cabinets américains, mais l'on peut tout de même se demander si les conditions de certification des comptes des grandes entreprises cotées sont si satisfaisantes que cela ? Y a-t-il encore des améliorations à rechercher pour mieux garantir la fiabilité de l'information comptable et financière ?

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Je ne me prononcerai pas sur cette dernière question. Je n'ai pas le sentiment que les professionnels de la comptabilité américains soient inférieurs aux professionnels de la comptabilité français ou européens, même si on peut en discuter.

Sur les PME, je crois il faut se poser la question de pourquoi il y a autant de PME dynamiques dans des pays qui appliquent des normes comparables aux normes internationales. Je pense notamment aux États-Unis, mais également à un certain nombre d'autres pays car je voudrais vous rappeler qu'il y a aujourd'hui une centaine de pays qui appliquent ou autorisent les normes IFRS et que certains d'entre eux les ont étendus à l'ensemble de leur dispositif. Je pense notamment à la Corée, qui est un pays dont on ne sache pas que les entreprises se portent mal.

Je reconnais volontiers que le problème des petites PME, voire des très petites entreprises, ne se pose pas de manière centrale pour le normalisateur international. Il se pose en revanche de manière sérieuse pour les entreprises moyennes qui ont vocation à aller vers le marché. Aujourd'hui lorsque vous interrogez les spécialistes du capital-risque qui s'intéressent à des PME susceptibles un jour d'aller vers les marchés, ils vous disent qu'ils fonctionnent selon des normes IFRS. L'organisation internationale du capital-risque reconnaît tout à fait ces normes. Il y a probablement une gradation selon la nature des entreprises, selon leur exposition au marché, selon leur problématique de financement.

L'IASB s'occupe du sujet, qui est difficile. Faut-il essayer de développer de normes simplifiées pour les PME ? Faut-il des normes spécifiques ? C'est l'objet d'un débat qui n'est pas tranché à l'heure actuelle. Il existe un référentiel IFRS PME. Il avait été conçu à l'origine plutôt pour des pays émergents. Il est en train d'évoluer vers les pays développés et d'être d'ailleurs adopté par certains d'entre eux. La Grande-Bretagne a failli récemment directement passer aux normes IFRS. L'Italie l'a fait avec beaucoup de difficultés. C'est un sujet compliqué, qui n'est pas binaire. Je ne pense pas que conceptuellement il faille avoir des différences fondamentales entre les entreprises susceptibles de se financer sur le marché - et nous savons qu'avec les règles prudentielles, le marché jouera sans doute un rôle plus important dans le futur en Europe que cela n'a été le cas dans le passé.

Votre question sur l'enchevêtrement de normes prudentielles et comptables est au coeur de notre « dispute ». Il y a pour moi une différence de nature entre la norme prudentielle et la norme comptable, qui a vocation à décrire le mieux possible les opérations, les actifs et les passifs et qui n'a pas à se préoccuper de politique, de stratégie, qu'elle soit de court terme ou de long terme, cela, c'est le problème des choix et des décisions, qui appartient aux acteurs du marchés, aux chefs d'entreprises et aux pouvoirs publics, à travers leurs fonction de régulation. Très souvent, on fait porter au normalisateur comptable la responsabilité de décisions qui sont prises au niveau de la régulation prudentielle. La problématique de l'articulation entre normes comptables et prudentielles est extrêmement difficile. S'agissant de l'assurance-vie, qui pose un problème non réglé sur le plan comptable à l'heure actuelle - il y a des débats très compliqués au niveau des IFRS et des autres normalisateurs - la problématique prudentielle n'est pas en cause. En revanche, les orientations qui sont prises par le comité de Bâle pour les banques ou par les associations d'assureurs pour le secteur de l'assurance, ont des conséquences managériales et macroéconomiques tout à fait considérables. Il faut vraiment faire la distinction entre, d'une part, la recherche difficile menée par le normalisateur comptable d'une représentation aussi complète que possible de la réalité et des performances financières de l'entreprise à destination des acteurs du marché et, d'autre part, les règles prudentielles, les comportement des autorités publiques et des managers.

Le débat du court terme et du long terme est un débat extraordinairement difficile à traiter par la voie comptable. C'est comme si on disait d'un navigateur qui fait actuellement la course du Figaro, qu'il doit se préoccuper uniquement d'arriver à la fin de la course sans se préoccuper de ce qui se passe aujourd'hui, à la minute près, dans sa manière de naviguer.

Il navigue avec des appareils de mesure qui lui donnent instantanément le court terme. A partir de cela, il lui appartient de prendre des décisions qui vont affecter le long terme. Le comptable est d'une certaine manière dans cette contradiction là. On le voit aujourd'hui avec la problématique de Bâle et de la directive Solvabilité.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

S'agissant des PME, je serai très catégorique. Si vous faites appel au marché, alors il faut utiliser, pour les comptes consolidés, les normes IFRS. Cela vaut pour toutes les sociétés même petites. Nous avons introduit cette possibilité dès 2004, pour les seuls comptes consolidés. Dès lors que vous évoluez dans un environnement très international, vous avez sans doute intérêt à faire ce grand saut.

Cela ne veut pas dire que l'on ne rentre pas alors dans des problèmes que le G20, réunion après réunion, depuis qu'il existe et sans exception, cite dans ses communiqués comme des problèmes considérables pour les plus grandes entreprises du monde. Si les plus grandes sociétés ont du mal à gérer les problèmes de normes comptables, on imagine bien qu'une société de dix ou quinze personnes, qui souhaite lever des fonds et passe donc aux IFRS, est confrontée à de lourdes difficultés.

Nous avons fait des propositions très précises de simplification. C'est un domaine dans lequel nous commençons, après bien des échecs, à bien nous comprendre avec l'IASB. J'estime à dix ans le délai entre le moment où nous avons dit qu'il fallait simplifier les normes IFRS pour ces entreprises là, qui doivent parler le langage international mais n'ont pas les moyens d'un groupe comme Total, et le moment où elles ressentiront une amélioration. C'est bien parce que nous avons réussi à avoir une influence, ce n'est pas bien parce que c'est trop long.

Néanmoins ce que disait Jean-Luc Decornoy est tout à fait différent, parce qu'il parlait de l'application des normes internationales, de manière obligatoire, à toutes les PME. Sur ce point, je le suis totalement : je crois que c'est complètement inapproprié. Cela correspond à un phénomène mondial. Il n'y a pas de spécificité française. Aux États-Unis, il y a en permanence une forme de révolte des entreprises non cotées contre la vision des marchés qui s'imposent à elles. En Allemagne également. L'expérience de la Corée me laisse encore un peu songeur...

S'agissant de la norme Solvabilité II, il y a effectivement des originalités. La première d'entre elles, c'est que, normalement, on commence par définir la norme comptable et, ensuite, on construit la norme prudentielle, qui s'accroche sur la norme comptable. Dans le cas de l'assurance, comme l'IASB n'arrivait pas à produire la norme comptable, c'est-à-dire à créer un consensus suffisant, on a commencé par construire la norme prudentielle. On a calé la norme de solvabilité, en pleine période de sphère financière triomphante, sur des horizons de court terme, de manière explicite.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Qui est ce « on », Monsieur le président ? Je crois que dans beaucoup d'esprits, ce qui est en cause c'est ce « on », qui représente une conjonction de personnalités de bonne volonté et de grande expertise, mais qui n'est nulle part. « On », c'est un enchaînement anonyme et, pardonnez-moi de le dire, irresponsable, ce qui, dans l'état actuel de nos sociétés, pose problème.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Sur les normes en matières d'assurance, croyez-bien que nos positions sont très claires pour essayer d'échapper à ce risque d'irresponsabilité. En même temps, nous avons les normes françaises : nous venons de donner un avis au Gouvernement sur la question du traitement de prêts que les compagnies d'assurance pourraient faire, afin que leur comptabilisation et leur dépréciation se fassent comme pour les banques, conformément aux lois de la République. Les règles françaises sont à cet égard tout à fait satisfaisantes et, j'insiste, prudentes. Le comptable est bien confronté à la question du court et du long terme. Le commissaire Michel Barnier a sorti un livre vert, il y a quelques semaines, se demandant s'il y avait des règles contraires à l'objectif d'investissement de long terme et de croissance de nos économies. Il pose notamment la question comptable. Quelques jours plus tard, le président de l'IASB a publié un discours, que je vous invite à lire, qui dit, de la manière la plus nette : « Non, nous sommes contre cette perspective de long terme. Les gens qui veulent se placer dans une perspective de long terme, ce sont ceux qui refusent de mettre leurs moins-values dans leurs comptes ».

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Vous ne pouvez pas dire cela !

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Je suis confus, mais c'est bien ce qu'il a dit, vous pouvez le lire sur le site internet de l'IASB : « Nous sommes contre les gens qui veulent cacher la volatilité à court terme ». Il a déclaré au Parlement européen : « La volatilité dans les comptes, c'est la vie et c'est nécessaire ». Cette question du court terme et du long terme est au coeur même des choix comptables. C'est à travers une série d'options techniques et précises que l'on trouve les orientations qui conduisent à regarder le cadran soit en fonction de la valeur instantanée, soit en fonction de l'horizon qui est celui dans lequel vous produisez votre cash-flow.

Pour terminer, je dirai que l'IASB a supprimé de son cadre conceptuel le principe de prudence et le principe de fiabilité qu'évoquait le rapporteur général François Marc. Une de nos propositions concrètes est de restaurer le principe de prudence, pas seulement dans les mots mais également dans les normes, et le principe de fiabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous avons évoqué tout à l'heure la notion de marché, de marché pertinent. Se référer au marché est quelque chose de parfaitement naturel. Quand il n'y a pas de marché et qu'on y substitue des constructions intellectuelles voire personnelles, on ne peut pas faire comme si il y avait un outil de marché. Nous voyons aussi par là la place spécifique de l'entreprise financière par rapport à toutes les autres, dans l'appréciation et la diffusion des risques. Les ordres de grandeur qui ont été cités sont particulièrement parlants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Il n'est pas simple pour les politiques de s'approprier la problématique des normes comptables. Cela trouve son origine dans l'obligation faite aux gestionnaires publics de rendre compte de leur administration devant les citoyens conformément à la volonté du constituant de 1789. Avec la mondialisation, la donne change : la comptabilité devient le langage de la globalisation et les marchés attendent des informations compréhensibles. L'approche traditionnelle faite de prévisions prudentes a cédé la place à l'arrivée exubérante des marchés et des mouvements instantanés et erratiques que l'on connaît. L'IFRS signe la victoire de la tyrannie des marchés et du court terme.

Les pouvoirs publics doivent se saisir de cette problématique normative et ne pas laisser les seules institutions privées définir elles-mêmes les normes avec la tentation du window dressing. Car lorsque surviennent la crise et les risques systémiques, ce sont les Etats qui sont mis à contribution.

Les principes devraient être les mêmes pour la comptabilité publique et privée. EDF a une créance de 4,9 milliards d'euros sur l'État, mais cette dette de l'État n'est pas retracée dans les comptes de l'État. Il faut sortir de la cosmétique et du bricolage car c'est là que tout se perturbe et se dérègle. C'est dire si le rôle des auditeurs est fondamental. Ont-ils suffisamment d'indépendance ? Certifient-ils de la même manière les comptes d'une entreprise détenue par l'État et ceux d'une entreprise qui ne l'est pas ?

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Le Parlement a mis en oeuvre des normes de comptabilité étatiques modernisées et alignées, chaque fois que possible, sur le secteur privé. La France peut s'enorgueillir d'être au premier rang international au regard de la certification des comptes publics, qui est réalisée par la Cour des comptes. Je n'ai pas vérifié si la créance d'EDF s'y trouve. C'est à la Cour des comptes de le faire. Avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), nous avons fait des progrès considérables. Nous avons maintenant le corpus de normes publiques le plus sophistiqué au plan international.

Il faut rappeler que l'essentiel des normes IFRS, pour l'ensemble des entreprises, reconnait la pertinence du coût historique amorti. La problématique de la fair value s'est posée exclusivement pour les intermédiaires financiers. S'ils jouent sur les deux tableaux en faisant du trading, on retient la fair value. Si on est en trading, les résultats vont en résultat net. Mais si on est dans la catégorie intermédiaire que les Anglais appellent « available for sale », les variations de la valeur de marché ne vont pas au résultat mais au « other comprehensive income » qui est dans le bilan.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Ceci est en lien direct avec ce que nous avons voté dans la loi bancaire qui correspond à la vision comptable que vient de développer Monsieur Prada.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Nous travaillons actuellement au Sénat sur l'optimisation et l'évasion fiscale ainsi que l'abus de droit qui est une question purement juridique. Au niveau de la normalisation comptable, des alertes pourraient-elles être installées ? Comment introduire de l'éthique dans les comptes ? Il y a là une responsabilité globale.

S'agissant de l'économie réelle, à travers les restructurations d'entreprises ou des opérations du type de celle que Carrefour mène pour dissocier fonds de commerce et murs, nous assistons à une prise de contrôle des banques d'affaires. Cela supprime des emplois et ne correspond pas à notre conception de l'économie réelle. Pensez-vous que nous pourrions être mieux informés de certaines opérations qui paraissent, pour le citoyen, être déconnectées de l'économie réelle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

La période de crise est-elle un moment opportun pour aller vers la normalisation des normes ? Qu'en est-il de l'accès des PME aux marchés financiers compte tenu des rigidités de la fiscalité française ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Chacun des membres du panel est donc appelé à réagir, en particulier sur les préoccupations d'isolement de la sphère financière dans un monde artificiel, méconnu, mystérieux, auquel on prête à la fois la surpuissance et les pires pratiques, ce sentiment pouvant être nourri par le caractère incompréhensible ou paradoxal de certaines normes comptables.

Debut de section - Permalien
Didier Marteau, professeur à l'ESCP Europe

Je vais vous donner un exemple, tiré de crise financière, qui illustrera vos propos.

Seul le portefeuille de trading est évalué à la fair value et pas les portefeuilles de prêts. Les banques américaines qui avaient accordé énormément de prêts immobilier et, notamment, les fameux subprimes, se trouvaient avec, dans leur bilan, des actifs dont la valeur ne variaient pas, sauf provisions. Cela ne les intéressaient pas de conserver ce portefeuille qu'ils ne pouvaient pas valoriser en fair value.

Des banques d'investissement américaines ont alors titrisé à 80 % les subprimes pour les vendre à des special purpose vehicules qui, pour financer leurs achats, émettaient des titres obligataires eux-mêmes en partie rachetés par les banques, qui récupéraient donc les risques liés au portefeuille de prêts cédé. Mais à partir du moment où il s'agissait de titres, ils devaient être valorisés en mark-to-model niveau 2 ou 3.

Soyons concrets, le prix d'un portefeuille de prêts dépend de trois paramètres : la probabilité de défaut de chaque émetteur mais qui est totalement inobservable, la corrélation des éléments de défaut, également inobservable, et la valeur de recouvrement en cas de défaut qui peut se calculer. Tout cela n'est pas évaluable. Mais parce qu'elles avaient transformés leurs prêts, dont les normes ne permettaient pas de faire varier la valeur dans les comptes, en ces fameux CDO, ces produits titrisés de crédits, qui entrent pour partie dans le mark-to-model niveau 2 et pour partie dans le mark-to-model niveau 3, alors les banques ont eu la possibilité d'enregistrer des plus-values latentes qui amélioraient leur résultat, en fonction d'hypothèses qu'elles posaient elles-mêmes sur le taux de défaut, sur la corrélation des défauts, sur le marché de l'immobilier... Ainsi, ce qui valait au départ 100, vaut ensuite 110 puis 120 puis 130, jusqu'à ce que la représentation comptable rencontre la réalité économique. Alors ce qui était censé valoir 110, 120, 130 ou 150 n'en vaut plus que 20. Malheureusement, les résultats que vous avez distribués, notamment sous forme de bonus, ne sont pas restituables et c'est l'État qui est alors mis à contribution.

La qualité de la certification est un faux débat car il est impossible de certifier des valeurs calculées à partir d'éléments non observables. Il faut être lucide. Or c'est ce qui est écrit dans la norme IFRS 13. Même le meilleur scientifique ne pourra produire d'évaluation.

Prenons, pour finir avec un sourire, un autre exemple de produits évalués en mark-to-model de niveau 3. Ce sont les produits dérivés climatiques, émis par des banques d'investissement. Pour un brasseur, le risque c'est qu'un été frais fasse baisser ses ventes. Un degré Celsius de moins l'été entraîne une baisse des ventes de bières de 7,5 %. Un brasseur peut donc vouloir se couvrir sur les cinq prochaines années contre le risque de baisse de la température au mois d'août dans le sud de l'Europe, en payant 10 millions de dollars pour chaque degré au-dessus de 22 °C et en recevant la même somme pour chaque degré en-dessous de 22 °C. Si ce produit dérivé est proposé et valorisé par une banque d'investissement, nous sommes dans un mark-to model de troisième niveau. Même avec les meilleurs spécialistes, qui est capable de valoriser un produit qui donne dix millions de dollars par variation de degré Celsius à Madrid pendant cinq ans au mois d'août ? L'employé de la banque, chargé des weather derivatives, valorise ce produit de manière non scientifique car aucun scientifique n'est capable de calculer la valeur de ce produit. Et on accepterait que la variation de la valeur fixée par la banque elle-même soit répercutée dans son résultat ?

L'IASB produit une norme IFRS 13 autorisant ce mark-to-model de niveau 3. L'EFRAG a édité un document qui dit que cette norme est bonne parce qu'elle répond à quatre critères relevance, reliability, understandability et comparabilité. Il y a de quoi se poser des questions. C'est un vrai sujet, qui n'est pas celui de la compétence des commissaires aux comptes mais de la norme comptable.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Juste un point sur la fair value. La vision de l'IASB est que, by default, tout est en fair value, c'est-à-dire sauf exception. Toute espèce de complexité additionnelle à un produit élémentaire, y compris un simple livret d'épargne, est considérée comme n'étant pas suffisamment simple pour être traitée autrement qu'en fair value. Ce principe résulte de la confiance que l'on place dans le marché pour définir la valeur d'un produit complexe.

Ce qui nous préoccupe, s'agissant de la norme IFRS 13, c'est qu'elle n'est pas en mesure de nous permettre d'affronter la crise et qu'elle n'est pas applicable, en raison de matrices trop complexes. Elle nécessiterait des montagnes de données que personne n'est en mesure de traiter.

En réponse à Jean Arthuis, un travail monumental a été fait et le vote par le Parlement du hors bilan de l'État est un élément historique. C'est un exemple de transparence source de discipline budgétaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

La France est parvenue à un degré d'expertise et de méthodologie très élevé en Europe qu'il nous faudrait valoriser auprès de nos partenaires européens, à commencer outre-Rhin ! Mais nous devrions aussi être exemplaires en matière de convergence des finances publiques.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Nous sommes confrontés à l'hypothèse de l'adoption par l'Europe des normes IPSAS qui sont des normes IFRS pour le secteur public. Aujourd'hui, le travail fait à Bruxelles n'est pas pour nous rassurer sur la capacité que nous aurons à ne pas nous placer au niveau de l'IPSAS board comme nous avons été amenés à le faire en matière privée avec l'IAS board.

Nous avons constaté des déséquilibres dans la manière dont nous marchons vers une norme comptable mondiale. Dans nos recommandations, il y a l'enjeu des PME, mais aussi celui des pays pauvres pour lesquels les normes doivent être adaptées à leurs besoins. Le processus de mondialisation de nos règles nécessite de l'équilibre. Cela passe par la restauration du principe de prudence et de fiabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Je voudrais interroger le président Haas sur l'espoir qu'il a de voir au moins les pays de la zone Euro converger dans leurs normes de présentation des comptes publics. Il y a dans nos dettes latentes les difficultés que peuvent connaître d'autres membres de la zone euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est peut-être le président Prada qui répondra à cela. Je voudrais joindre à cette question un constat tout récent. Je suis allé lundi en Slovénie, qui a des problèmes de gestion et de maîtrise de son secteur bancaire, sachant que celui-ci a une activité très classique de crédit aux entreprises. C'est un secteur bancaire non sophistiqué qui ne s'est pas adonné aux farces et attrapes des marchés à terme et de dérivés. La question qui se pose est celle de la valeur de ces créances au bilan des banques. Selon les chiffres qui circulent, le montant total des créances douteuses détenues par ces banques pourrait atteindre sept milliard d'euros, pour un PIB slovène de 35 milliards d'euros. Cela fait apparaître le dilemme habituel entre risque bancaire et risque souverain, d'où le lien avec la valorisation des engagements financiers des États. Cela met également l'accent sur la solidarité qui existe au sein de la zone euro : la valeur des créances sur les entreprises slovènes, elle nous concerne, parce que nous paierons peut-être quelque chose, le Mécanisme européen de stabilité, dont nous sommes actionnaires et coresponsables, devrait, d'une manière ou d'une autre, à un moment ou à un autre, être mis en route.

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

La Commission européenne a pris conscience de la gravité de ce sujet, de l'absence de dispositif harmonisé s'agissant de la comptabilité générale des États de l'Union, et a donc demandé à Eurostat de faire un travail sur le sujet. Eurostat a cru dans un premier temps que la solution consistait à « acheter sur étagère », comme cela avait été fait pour les normes IFRS, un standard international autoproclamé, qui est le standard de l'IPSAS Board, organisation qui dépend de l'organisation mondiale des comptables, l'IFAC. Après avoir examiné cette affaire et reçu de la part de la France des avertissements très sérieux - j'ai moi-même écrit sur le sujet très fermement - , la Commission européenne a bien décidé de ne pas retenir les IPSAS, contrairement à ce que disait Jérôme Haas tout à l'heure, de s'en inspirer le cas échéant et de travailler sur des EPSAS (European public sector accounting standards).

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Ce sont les IPSAS qui s'appliquent sauf exception...

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Tout l'enjeu pour nous - et le Conseil de normalisation des comptes publics est particulièrement mobilisé sur ce sujet, de même que l'ensemble des directions compétentes du ministère - est que soit construit un système de normalisation européen approprié et que dans le cadre de ce système soient adoptées des normes cohérentes avec les spécificités du secteur public. Nous sommes dans ce processus actuellement. La Commission européenne a tout récemment organisé un colloque, auquel j'ai participé. Elle doit publier un rapport sur le sujet dans les prochaines semaines. Mon sentiment personnel est que, comme nous sommes, nous Français, très bien placés du point de vue de notre dispositif conceptuel, il faut que nous militions pour que nos idées soient retenues dans toute la mesure du possible. Cela ne signifie pas qu'il faut ignorer ce qui peut se faire au niveau des IPSAS ou des IFRS, mais il importe que la France soit très présente dans ce dispositif. Je ne crois pas que les IPSAS seront la référence européenne.

Il y a par ailleurs un processus de globalisation qui s'attache à la réforme du système de normalisation pour le secteur public, qui est un problème là aussi très difficile et pour lequel il est nécessaire de composer avec les différentes cultures et les différents points de vue.

Je voudrais répondre très brièvement à la question très intéressante que le sénateur Jean-Paul Emorine a posé pour savoir si une crise est un facteur de progrès. Je crois qu'hélas oui. C'est peut-être un aspect positif de la crise que de révéler un certain nombre de contradictions et de faiblesses. Je voudrais en citer quelques exemples. Les normes comptables ont eu une part de responsabilité dans la crise, comme les normes prudentielles, comme le comportement des acteurs et comme la gestion de la globalisation économique qui est à l'origine de tout cela. On est en train d'y porter remède.

Premier exemple, les normes comptables ont permis une déconsolidation, une externalisation du risque, en dehors des bilans bancaires, par la titrisation évoquée par le professeur Marteau, ce qui n'aurait pas été possible si on avait eu à l'époque une bonne approche de la notion de contrôle, les Américains ayant été leaders dans l'approche qui a malheureusement été retenue. En se fondant sur une conception très étroite de la notion de contrôle, les Américains ont autorisé le processus de déconsolidation qui a été à l'origine de la crise par l'externalisation du risque. Cela a fait que les régulateurs bancaires mondiaux ont pu écrire en avril 2007 que le système bancaire était robuste. Mais il était robuste dans la mesure où les risques avaient été externalisés, par la titrisation, dans des special purpose vehicles. Voilà un point qui a été traité.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

Cette norme a été changée par la crise, mais l'IASB a récemment émis une norme qui baisse la garde.

Debut de section - Permalien
Michel Prada, président de la Fondation IFRS

Deuxième exemple, le portefeuille de trading évoqué par le professeur Marteau à juste titre, dans lequel les banques ont réinternalisé le risque qu'elles avaient externalisé était considéré dans les règles bâloise comme un portefeuille liquide qui ne nécessitait pas de fonds propres. Cette règle a été changée et aujourd'hui le trading nécessite des fonds propres.

Troisième exemple, les règles de provisionnement étaient des règles extrêmement classiques, qui étaient des règles destinées à provisionner exclusivement quand les incidents s'étaient produits. Nous travaillons aujourd'hui à une vision plus prospective de la problématique du risque, avec un provisionnement qui devra normalement essayer de prévoir un peu plus le danger que cela n'a été le cas. Les trois exemples sont une réponse à votre question.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Ceci montre que « on » peut également se tromper.

Debut de section - Permalien
Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables

En ce qui concerne les provisionnements, ce n'est qu'à cause de la pression considérable du G20 que l'IASB, qui y avait toujours été opposé, a commencé à travailler à un dispositif un peu plus avancé.

En ce qui concerne les règles de consolidation, la norme IFRS 10 adoptée l'an dernier consiste à baisser la garde en matière de consolidation des special purpose vehicles. L'Autorité des marchés financiers a écrit l'année dernière dans son rapport annuel que cette règle IFRS 10 était une cause potentielle de risque systémique. La France s'est abstenue lors de vote de cette norme l'année dernière à Bruxelles.

En ce qui concerne les normes publiques, Michel Prada a eu la gentillesse de préciser j'étais membre du Conseil de normalisation des comptes publics qu'il préside. Nous avons au sein de ce conseil des discussions dont je suis heureux de voir qu'elles ont porté leurs fruits. Je suis d'accord avec l'idée de chercher à produire un consensus sur normes qui ressemblent aux nôtres. Ce n'est pas du tout ce qui est écrit, ni envisagé. Ce qui est envisagé c'est de dire que nous prenons les normes internationales sauf exception. La Commission européenne dit aux États : « Lorsque vous prendrez des normes qui ne sont pas les normes internationales, veillez à bien les justifier pour que l'on comprenne pourquoi. » Nous sommes entrés en réalité dans la même logique institutionnelle que les normes IFRS, il est vrai avec sans doute un peu plus d'habileté.

Je veux insister sur l'ensemble de ces dangers, car si nous n'y prenons garde, nous allons continuer pour les dix ans à venir à subir les mêmes faiblesses.

Monsieur le Président, au Royaume-Uni, une commission parlementaire se penche exactement sur la question que vous avez soulevé à propose de la Slovénie. Gordon Brown, quand il était premier ministre, avait dû nationaliser deux banques. Il s'était alors interrogé : « Les comptes étaient-ils faux ? » Il est raisonnable, en effet, de penser que les comptes ne donnaient les bons chiffres. Il est donc vital, et c'est ce que fait le Royaume-Uni, de se demander quel a été le rôle des normes comptables dans cette crise et si elles n'ont pas permis de masquer la réalité des valeurs. Michel Prada a admis que les normes IFRS avaient pu jouer un rôle dans la crise, alors qu'un groupe qu'il connaît bien et qui était à l'époque présidé par l'actuel président de l'IASB a dit le contraire en 2008. C'est un grand progrès.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France

A l'issue de ce débat, vous comprenez qu'un patron de PME soit rebuté par les IFRS. Il n'y va que s'il y est forcé pour se financer sur les marchés. Il y a un a priori négatif sur ce référentiel, même si son image s'améliore.

Pour rassurer le sénateur Jean Arthuis, nous n'auditons pas différemment une entreprise publique et une entreprise privée. La dette vis-à-vis d'EDF existe bel et bien, mais elle n'apparaît que dans les comptes combinés de l'Agence des participations de l'État.

En ce qui concerne la certification des comptes, Didier Marteau a montré les problèmes de valorisation auxquels sont confrontés les commissaires aux comptes. Lors de la crise financière, nous nous sommes réunis au sein du département des marchés financiers de la compagnie nationale des commissaires aux comptes afin d'avoir une position commune. J'étais un de ceux qui considéraient qu'il était impossible de certifier les comptes. Nous avions une pression énorme : on nous disait de prendre garde à ne pas alarmer les marchés. Mais chacun doit prendre ses responsabilités. En réalité, il est impossible de certifier des comptes dans ce cadre-là, que ce soit pour les banques, les fonds communs de placement ou les fonds monétaires.

S'agissant de l'optimisation fiscale, ce n'est pas notre rôle de vérifier cela. Nous pouvons regarder si l'entreprise a fraudé, mais nous ne pouvons par définition pas nous immiscer dans la gestion de l'entreprise. Ce sont les contrôleurs des impôts qui ont toutes les informations pour faire ce type de contrôle. Les seuls documents de référence permettent déjà de donner des informations sur le montant des impôts payés.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

L'OCDE nous dit qu'elle a un problème de comptabilité dans les échanges d'informations...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La question se pose en effet sur les prix de transfert.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous pourrons évoquer ces questions lors de l'audition prochaine de Pascal Saint-Amans, directeur du centre des études fiscales de l'OCDE.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG France

Sous la pression des pouvoirs publics, toutes les entreprises doivent désormais donner les informations pour justifier les prix de transfert. Les commissaires aux comptes peuvent donc vérifier leur pertinence, mais ce n'est pas un problème de normes.

Nous nous demandons s'il faut deux référentiels, européen et américain. En Allemagne, il y a trois états : un état pour les impôts, un état pour les comptes sociaux et un état pour les comptes consolidés. Faut-il aller vers cette situation ? Ce serait très bénéfique d'avoir un seul langage commun.

Par ailleurs, je suis heureux que l'on parle de retour au principe de prudence dans une vision prospective, qui est un retour au bon sens.

Debut de section - Permalien
Philippe Messager, président de l'association française des trésoriers d'entreprise

D'un côté, il y a les normes comptables et la sphère financière et, de l'autre, il y a les normes et la sphère des entreprises. Nous ne sommes pas sur les mêmes niveaux de risques. Pour les entreprises, les normes ont apporté des bases de comparaison et ont permis à certains groupes européens de participer à la mondialisation.

Mais il ne faut pas faire de l'art pour l'art. Or, aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on se complaît dans un nombrilisme normatif, déconnecté des besoins des entreprises. Par exemple, lorsqu'une entreprise constitue des positions de change, la norme IS 39 ne vous permet pas de compenser les positions de sens contraire car ce n'est pas considéré comme une position de couverture. De la même manière quand il s'agit de couvrir une campagne de promotion.

Pour Carrefour, nous avons parlé de la dissociation entre l'activité commerciale de cette entreprise et les infrastructures utilisées : les IFRS ont apporté une réponse intéressante, puisqu'on va considérer l'activité dans son ensemble et pas seulement l'activité commerciale. En effet, pour pouvoir vendre convenablement, on a besoin d'infrastructures, donc les normes permettent de consolider ces actifs à travers des règles particulières

Aujourd'hui, les normes comptables pourraient nous amener à pratiquement sombrer dans le ridicule : lorsqu'une entreprise loue un appartement pour un cadre expatrié, les normes comptables vous invitent à consolider l'appartement en question ! Il faut garder à l'esprit le substrat économique et les besoins économiques. Un analyste me disait récemment que, pour apprécier un crédit, il n'avait besoin que de l'EBITDA, mais d'un EBITDA pur, débarrassé des événements exceptionnels comme par exemple les plus-values de cession.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Merci à nos intervenants. Nous avons vu qu'il s'agit d'un sujet qui, au-delà de sa technicité, peut susciter quelques passions.