Intervention de Adil Jazouli

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 30 mai 2013 : 1ère réunion
Atelier de prospective : pour donner leur chance aux adolescents issus des quartiers sensibles

Adil Jazouli, sociologue, chargé de mission auprès du secrétaire général du Comité interministériel des villes (CIV) :

Le travail effectué dans le cadre du rapport de Mme Keller sur les « années collège » envisage la conception d'un manuel commun d'histoire à la France et à ses ex-colonies. Cette histoire, complexe, est plus large que l'histoire arabo-française, et inclut également l'Indochine. Les effets de cette histoire continuent à se faire sentir. Ainsi, l'intervention française au Mali ne procède pas du hasard.

Si un travail de conception d'un manuel devait être engagé, il conviendrait de ne pas tomber dans le piège des passions de mémoire. Les mémoires sont encore à vif. À mon sens, il ne faut pas trop y toucher. La mémoire est une boîte que l'on ouvre, dont on ne sait pas comment elle va se traduire. Il n'existe pas de mémoire collective spécifique à chaque pays ou à chaque origine. Il existe, sur notre territoire, de nombreuses origines non contrôlées, de personnes de couples mixtes. Elles ne doivent pas être assignées à résidence mémorielle. Il ne s'agit pas de logiques binaires, la mixité existe beaucoup plus que l'on ne le croit. En conséquence, la plus grande prudence s'impose.

Les jeunes des quartiers s'interrogent sur la légitimité de leur présence en France. Leurs parents sont venus en France pour travailler. Mais qu'en est-il pour eux ? Une explication doit donc leur être donnée, pour qu'ils aient une histoire à raconter.

Il s'agit de rappeler l'histoire coloniale, en démarrant à 1800. Il convient d'avoir une vision. L'objet n'est pas d'écrire une histoire qui nous soit destinée, mais de donner une histoire aux générations futures. Nous devons écrire un bout d'histoire qui puisse servir aux jeunes d'aujourd'hui ou de demain.

Contrairement à ce que l'on pense, les jeunes des quartiers ont beaucoup plus de références culturelles que l'on ne le pense. Ils ont des bouts d'histoire, des bouts d'identité. Ils ne sont pas face à un vide. Il faut prendre le temps de les écouter, plutôt que de leur livrer des histoires toutes faites, bien ficelées, de leur imposer une histoire officielle. Cette dernière, ils la connaissent.

Cette histoire ne doit pas en revanche être partagée avec les pays d'origine. Elle doit être une histoire franco-française. Ces jeunes sont français. Il revient à la France de s'approprier cette histoire. Elle peut s'inspirer des histoires qui ont eu lieu ailleurs, mais elle ne peut se permettre de faire une histoire avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Mali. Le pragmatisme s'impose. Ces jeunes sont français ou réputés l'être. Il incombe à la France de les éduquer.

Enfin, pourquoi concevoir ce type d'ouvrage ? Pour renforcer et consolider le creuset français. En revanche, ce n'est pas pour donner une identité aux jeunes. Une identité ne se confère pas. Elle se construit. L'objectif est de donner aux jeunes des repères et des éclairages, afin qu'ils construisent eux-mêmes leur identité.

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