Intervention de Marc Vigié

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 30 mai 2013 : 1ère réunion
Atelier de prospective : pour donner leur chance aux adolescents issus des quartiers sensibles

Marc Vigié, référent académique « mémoire et citoyenneté », académie de Versailles :

inspecteur d'académie, référent académique « mémoire et citoyenneté », académie de Versailles. - Je suis particulièrement heureux de succéder à Adil Jazouli. Je serais prêt à signer le texte qu'il vient de prononcer sans en changer une virgule. L'académie de Versailles est directement confrontée à ce genre de problèmes. Elle compte en effet autant de Zep que l'académie de Créteil.

Depuis le début de ce débat, plusieurs mots n'ont pas été employés à bon escient. Ainsi, le mot « identité » est susceptible de bien des dérives, comme l'histoire récente nous l'a rappelé. L'identité renvoie à la personne. Chacun a droit à son identité.

En l'occurrence, nous parlons plutôt de creuset national, d'adhésion, de sentiment d'appartenance à une communauté nationale. En effet, dans de nombreuses classes, on trouve une vingtaine de nationalités ou d'origines nationales différentes. Mais la presque totalité des élèves présents sont soit français, soit appelés à le devenir très rapidement. Ils ne sont donc pas des étrangers. Nous ne nous adressons pas à l'autre.

Par ailleurs, dès lors que l'on évoque une réconciliation par le biais d'une histoire commune, je ne peux qu'être extrêmement méfiant. La citoyenneté, en revanche, renvoie non à l'identité individuelle, mais à des valeurs communes, un patrimoine culturel, une histoire partagée.

Nos sociétés modernes sont confrontées à des mutations permanentes. En conséquence, l'enracinement des appartenances est de plus en plus occulté. D'autant que, parallèlement, nous nous trouvons dans des sociétés ultradifférenciées, dans lesquelles différentes logiques, différents projets s'entrecroisent et s'entrechoquent constamment.

Dans ce contexte, les individus se réfèrent prioritairement aux expériences et aspirations qui leur appartiennent immédiatement. La difficulté pour les institutions officielles et « l'École » est de proposer un code de sens global.

Qu'est-ce que l'école ? L'école est d'abord le lieu de la loi et de l'ordre commun. Elle renvoie à un moment et à un espace qui échappent à la règle du quartier, du groupe, de la famille, du clan ou du réseau. L'école est un endroit où l'on accepte toutes les identités, mais aussi l'endroit où l'élève est accepté et reconnu pour ce qu'il est fondamentalement, à savoir un sujet moral. Comme tout sujet moral, pour reprendre la formule d'Albert Camus, il est amené à « s'obliger ». L'école est le lieu fondamental où s'instituent la République, la démocratie et la Nation. Cette institution est permanente, constante. Elle relève d'un travail de tous les jours et de tous les instants. Cette institution intervient au travers de la transmission d'une culture et d'une morale. Sans la transmission d'une culture commune et de valeurs institutrices et fondatrices, il ne peut y avoir d'émancipation et de sentiment d'appartenance.

Dès lors, une démarche de manuel d'histoire commun peut se révéler dangereuse à bien des points de vue. Une telle approche suppose l'existence de lieux qui ne relèvent pas totalement de la République, qui constituent des sortes d'enclaves, pour lesquelles il conviendrait de prévoir autre chose que le programme commun. Or, lors des Assises nationales des Zep de Rouen, la mise en place de programmes scolaires ou d'attitude institutionnelle spécifiques aux Zep avait été unanimement écartée.

Par ailleurs, l'histoire commune est déjà incluse dans les programmes. L'intégration par la culture et le système des valeurs morales ne renvoie pas au catéchisme républicain hérité de la Troisième République ou à un récit unique des origines.

Il convient de bien distinguer la mémoire et l'histoire. La mémoire relève d'une transmission, d'un héritage individuel. L'histoire au contraire renvoie à un récit construit, analysé, collectif. Pour autant, la mémoire peut être objet d'histoire. Certains objets mémoriels sont désormais inscrits dans les programmes d'histoire.

La démarche d'histoire commune me paraît assez bancale. Elle suppose fondamentalement qu'il existe un autre et que cet autre n'y participe pas. Or, la question coloniale et les enjeux mémoriels hérités de la question coloniale figurent dans les programmes d'histoire. Le fait religieux figure dans le programme. L'islam en tant que fait religieux ayant entraîné une culture et une civilisation est dans le programme. En d'autres termes, cette histoire commune existe déjà.

Enfin, l'enseignement des langues renvoie à l'apprentissage non seulement d'une langue, mais aussi de quelque chose dans une langue. Il existe désormais en France un système d'enseignement bilingue très développé, qui traite ce type de questions du point de vue culturel et intellectuel, et qui est présent dans les Zep.

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