Je ne parlerai pas de nombres, mais je souhaite apporter un témoignage sur une expérience éducative, que je trouve belle et qui illustre bien un certain nombre des propos tenus ce matin.
Cette anecdote a lieu dans un collège assez défavorisé, situé dans les quartiers sud de Rennes. Une multitude de nationalités y sont représentées et se confrontent. Les élèves de quatrième et de troisième ont souhaité travailler sur le lien entre mémoire et histoire de vie. Cette idée est partie d'une réflexion d'un jeune, qui estimait que l'immigration relève de notre quotidien et devrait être un projet d'instruction civique.
Tout au long de l'année, ces jeunes se sont engagés dans une analyse de la relation entre migration et histoire de vie. La notion de migration, pour des Bretons dits « d'origine », renvoie à l'exode rural. Pour les autres nationalités, l'exode porte d'un pays à un autre. Ce travail sur la relation entre migration et histoire de vie est passé par différentes composantes.
Tout d'abord, chaque élève a effectué des recherches personnelles sur son histoire et sa trajectoire familiale. Ce travail a été illustré par des rencontres-témoignages, avec des acteurs qui ont vécu cette histoire. Nous avons ainsi écouté des témoignages sur des migrations bretonnes, mais aussi sur des enjeux de migration portés par des Espagnols, des migrations africaines au sens large ou des migrations cambodgiennes. Ces récits de vie ont permis d'étudier les différentes sortes de migrations, de nature politique, économique, sociale. Cela a été alimenté par un travail classique, documentaire, et accompagné d'un acte éducatif porté par les enseignants.
Surtout, in fine, ce projet s'est traduit par des ateliers d'écriture, qui ont permis de restituer, de manière concrète, ces récits de vie. Ces derniers ont été ensuite collectivement confrontés aux familles et à des tiers. Toute une dynamique réflexive a donc émergé sur la manière dont ce travail de mémoire permettait d'identifier des repères culturels à partager, pour construire un vivre ensemble.
Cette expérience est à mon sens en lien avec un certain nombre d'interrogations pointées ce matin.
En effet, la mobilisation de récits individuels dans une perspective collective aide à la construction de l'identité de chacun. La mise en comparaison des histoires d'autrui avec la sienne participe de la construction à la fois d'une identité individuelle et de repères sur la notion de vivre-ensemble.
Par ailleurs, la qualité éducative de cette expérience tient dans une certaine forme d'inversion de la pédagogie. Là où l'on voit l'école comme un lieu de transmission des savoirs, de récits historiques, en l'occurrence, l'école est aussi en capacité d'être un lieu de fabrication du savoir, pour ne pas dire de fabrication de l'histoire, à partir de ce travail de consolidation entre identité individuelle et identité collective.
En outre, ce lieu de construction du savoir est indéniablement un lieu de construction du respect et du vivre-ensemble. La prise en compte de l'autre permet de prendre conscience de sa propre histoire. Cette mécanique éducative est à mon sens centrale pour, ensemble, déceler les contours d'une culture commune.
Enfin, ces histoires de vie doivent également s'accommoder d'une sorte de respect du droit à l'oubli. Les histoires sont parfois douloureuses. La confrontation des récits de vie, à la fois en classe mais aussi avec les familles et les quartiers, participe aussi d'une réflexion sur la construction. Elle permet de répondre aux questions suivantes : qu'est-ce que l'histoire, comment se construit-elle, quelles lignes retenir ?
À mon sens, la principale vertu pédagogique de ce témoignage est de faire des jeunes des acteurs, non pas de leur histoire, mais de l'Histoire. Les jeunes disent, à l'issue de ce travail, qu'ils ont pris conscience que la manière dont on construit les récits participe de la construction de l'histoire qui sera racontée à leurs petits-enfants. Il existe donc là une piste intéressante pour saisir une manière de construire des références communes, une culture commune, et donc une histoire commune.
Échanges avec le public.