La délégation aux droits des femmes a adopté hier son rapport sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche. Nous avions souhaité cette saisine parce que les inégalités entre les femmes et les hommes restent fortes dans ce secteur et parce que plusieurs dispositions du projet de loi tentent d'y remédier.
Paradoxe bien connu : la meilleure réussite scolaire des filles n'a pas altéré les profondes inégalités entre les sexes. Les filles effectuent de meilleurs parcours scolaires et sont plus nombreuses que les garçons à passer le baccalauréat et à suivre des études supérieures : au sein d'une même classe d'âge, elles sont 54 % à être titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur contre 39 % seulement des garçons. Mais elles n'effectuent pas les mêmes choix d'orientation, se concentrent sur un nombre limité de filières, pas toujours les plus porteuses, et leur insertion professionnelle est plus difficile et moins rémunératrice.
Cette ségrégation horizontale les conduit par exemple à se détourner des études scientifiques et des écoles d'ingénieurs même quand elles ont brillamment passé un bac S. Elle se double d'une ségrégation verticale, car leur proportion diminue aux différentes étapes des parcours universitaires : elles constituent 57 % des étudiants à l'université, mais ne représentent plus que 47 % des doctorants, 42,4 % des maîtres de conférences, 22,6 % des professeurs d'université et 15 % des présidents d'université. Puissance du plafond de verre !
Le projet de loi qui nous est soumis veut remédier à cette situation, notamment en rééquilibrant la gouvernance de l'enseignement supérieur. Notre délégation approuve le principe de la composition paritaire de trois grandes instances chargées du pilotage et de l'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche : Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, Haut conseil de l'évaluation de la recherche, Haut conseil stratégique de la recherche. Symboliquement fort, ce principe assurera une meilleure participation des femmes à la gouvernance du secteur à l'échelle nationale. Nous souhaiterions cependant que cette obligation de parité s'applique aussi à la composition du conseil scientifique chargé d'assister le Haut conseil de l'évaluation et de la recherche.
Autre symbole fort : la parité dans la composition des conseils d'administration et des futurs conseils académiques de la plupart des établissements d'enseignement supérieur, favorisée par l'obligation, pour les membres élus de ces conseils, de constituer des listes composées alternativement d'un candidat de chaque sexe. On peut toutefois craindre que les têtes de liste restent majoritairement masculines. L'Assemblée nationale a substitué le scrutin à un tour au scrutin à deux tours prévu par le projet de loi initial et considéré, à la marge, comme plus favorable à la parité. Elle a aussi relevé à deux sièges la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, ce qui, avec les listes alternées, favorisera la parité. Ces deux modifications devraient plus ou moins se compenser. Nous ne vous recommanderons donc pas le retour au dispositif initial, mais nous vous demandons d'être attentifs à leur impact sur la parité lorsque vous examinerez ces dispositions.
Troisième recommandation : conserver le nouvel article 37 bis adopté par l'Assemblée nationale, qui impose aussi la parité dans la désignation des personnalités extérieures. Nous soutenons également la disposition introduite à l'article 28 qui prévoit la composition paritaire de la section du conseil académique compétente pour l'examen des questions individuelles. Mais nous ne pouvons accepter que cette obligation cesse dès lors que la section examine des questions relatives aux professeurs d'université et nous demandons que cette exception soit supprimée.
Nos deux recommandations suivantes portent sur le champ d'application de ces mécanismes paritaires : ils concernent évidemment les universités mais aussi les autres établissements d'enseignement supérieur régis par le titre premier du livre VII du code de l'éducation. Ces établissements ont des règles particulières d'organisation précisées par voie réglementaire. Nous demandons au gouvernement de modifier ces décrets statutaires pour que ces garanties paritaires s'appliquent aussi à leurs conseils centraux. Ces dispositions n'ont en revanche pas vocation à s'appliquer aux établissements qui relèvent des autres titres du livre VII, et notamment aux établissements d'enseignement supérieur spécialisés, comme les écoles d'architecture, de santé publique, ou d'enseignements artistiques. La ministre nous a expliqué lors de son audition qu'il n'avait pas été possible de leur étendre ces obligations dans l'immédiat, car ils relèvent d'autres tutelles ministérielles. Nous recommandons que ceux-ci ne soient pas pour autant dispensés d'assurer un équilibre entre femmes et hommes dans la composition de leurs instances de direction.
Septième et huitième recommandations : la mixité dans la gouvernance passe aussi par la mixité dans l'équipe de direction dont s'entoure le président d'université, ainsi que dans les emplois fonctionnels de direction - direction générale et direction des services.
Le projet de loi ne comporte aucune disposition spécifique destinée à garantir la parité dans les conseils des établissements publics de recherche. Celle-ci ne résulte donc que de l'application des dispositions législatives de portée générale déjà en vigueur : la loi Sauvadet du 12 mars 2012 pour les établissements publics administratifs, et la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration pour les établissements publics industriels et commerciaux. Ces dispositions ont commencé à produire des effets mais restent encore peu connues. Un effort de clarification et des bilans périodiques nous paraissent donc utiles.
Les actions conduites par le service public de l'enseignement supérieur en matière de lutte contre les stéréotypes sexués prévues à l'article 7 bis du projet de loi doivent aussi être effectuées en direction des étudiants chercheurs. Nous souhaitons le préciser.
Nos recommandations suivantes portent sur des mesures destinées à favoriser les carrières des femmes et ne relèvent pas systématiquement du domaine de la loi. La onzième recommandation encadre les dérogations qui s'avèreront sans doute nécessaires à la règle des 40 % de chaque sexe dans les jurys et comités de sélection dans les disciplines où les viviers de femmes tombent en dessous de la proportion de 20 %. Nous demandons en outre aux établissements de réaliser régulièrement des statistiques sexuées sur leurs étudiants et leurs personnels, d'élaborer un plan d'action pour l'égalité et de confier à une personne bien identifiée la mission égalité consacrée par l'Assemblée nationale à l'article 25 du projet de loi.
Les interruptions de carrière liées à la maternité, dans la période de référence prise en compte pour les évaluations, ainsi que dans l'attribution du congé pour recherches ou pour conversion thématique, doivent être mieux prises en compte. Un soutien particulier doit être apporté aux filles qui s'orientent vers des filières encore majoritairement masculines. Nous approuvons la simplification de la carte des formations mais demandons que les études de genre trouvent toute leur place dans la nouvelle nomenclature.
Nos dernières recommandations portent sur la prévention et la répression du harcèlement sexuel, plus fréquent qu'on ne veut bien le croire dans l'enseignement supérieur : nous demandons qu'il fasse l'objet d'une enquête statistique spécifique, qu'une politique de prévention et d'information soit menée dans les établissements, que la procédure disciplinaire soit réformée et que le jugement de ces affaires soit confié aux instances disciplinaires d'un établissement autre que celui dont relèvent la victime et l'auteur présumé de ces agissements.