Intervention de Christophe Mahieu

Mission commune d'information Avenir de l'organisation décentralisée de la République — Réunion du 11 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de christophe mahieu président-directeur général d'est bourgogne media sa directeur de la publication des quotidiens le bien public et le journal de saône-et-loire

Christophe Mahieu, directeur de la publication des quotidiens Le Bien public et Le Journal de Saône-et-Loire :

président-directeur général d'Est Bourgogne Media SA, directeur de la publication des quotidiens Le Bien public et Le Journal de Saône-et-Loire. - Je vous remercie de cette invitation qui est une première pour moi. Je centrerai mon propos sur trois points majeurs.

En premier lieu le découpage géographique. Je constate que l'attachement au département reste une réalité profonde ; en revanche le niveau régional ne suscite pas la même adhésion. Avec la décentralisation, la France est passée d'une structure étatique unitaire très centralisée à une organisation plus souple. Mais l'absence de cohésion au sein des régions, et de compétences précises attribuées à chacun des niveaux de collectivités brouillent la vision qu'en ont les citoyens en dépit des efforts de communication accomplis. En Bourgogne, nous avons un problème majeur qui tient au fait que notre région est très étendue, 31 000 km2 et qu'elle est très peu cohérente. Elle comprend quatre départements qui, tous, subissent une attractivité extra régionale, comme l'Yonne vers la région parisienne, la Nièvre vers la région Centre, la Saône-et-Loire vers Lyon, et la Côte-d'Or vers Besançon. Les Dijonnais qui vont à Nevers sont rares, et réciproquement, car il faut trois heures de route pour faire 180 km ! Nos axes de transport, en particulier le TGV, sont tous orientés Nord-Sud. Cette absence de cohérence fait que le conseil régional a du mal à mener des projets structurants. Elle se retrouve dans la population régionale, elle-même hétérogène. De fait, je constate, dans mon activité professionnelle, que les journaux de presse quotidienne régionale sont tous départementaux, et qu'en outre ils appartiennent à des groupes de presse différents. La réalisation de pages « région » est très difficile. Il me semble donc nécessaire de revoir le découpage des régions, sur le plan fonctionnel du moins. Ce n'est pas pareil sur un plan géopolitique car la région correspond aussi à une notion identitaire, liée à l'histoire, au patrimoine, aux traditions et elle s'inscrit dans la déclinaison ville-terroir-Nation-Europe. En outre, trente ans de régionalisation ont fait émerger une vraie culture régionale. Je crois donc important de déconnecter ces deux aspects, fonctionnel et identitaire.

Les mêmes critiques ne me semblent pas s'appliquer au département. Je m'appuie sur l'exemple de la Côte d'Or, département à très faible densité de population, composé de 706 communes et finalement très hétérogène également. Il existe un véritable attachement pour ce qui constitue une communauté cohérente, qui pourrait, à l'avenir, être renforcée grâce au très haut débit, et à un nouveau modèle économique empruntant des circuits courts. Le département s'appuierait sur des intercommunalités fortes, et sur des métropoles s'il en existe sur son territoire, ce qui permettrait le désenclavement de certains territoires ruraux, aujourd'hui très isolés. J'estime donc que le découpage actuel est cohérent au niveau départemental, mais à revoir au niveau régional. L'attachement au département a été illustré de façon concrète par les oppositions à la mise en place des nouvelles plaques minéralogiques.

Ma deuxième observation concerne la vision qu'ont les Français du rôle de chaque institution. Manifestement, ils n'ont pas une compréhension claire de chacun des niveaux de collectivités. Cette situation découle de l'absence de projet stratégique bien identifié pour chaque niveau de collectivités, et de compétences souvent redondantes entre les différents acteurs, ce qui est particulièrement mal perçu en temps de crise. La forte implication des élus locaux ne suffit pas à susciter l'adhésion des Français, qui ont souvent une vision caricaturale des niveaux de décision, et n'identifient pas ce qui relève du département, de la région, de l'Etat, et de l'Europe. Les industriels et les gestionnaires d'associations font le tour des niveaux de collectivités pour obtenir des subventions. Ils les obtiennent mais ils ont une vision désordonnée du fonctionnement de ces institutions. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de l'aéroport de Dijon qui relève de la communauté d'agglomération, du département et de la région, et qui est géré en délégation de service public par la chambre de commerce et d'industrie. Il existe un déficit de fonctionnement à couvrir qui suscite de nombreuses divergences entre ces différentes institutions. Cette absence de consensus est difficilement compréhensible pour les habitants de la Côte d'Or, d'autant plus que l'aéroport de Dôle, situé à 30 minutes, dans le Jura, est en plein essor, grâce notamment à des compagnies aériennes à bas coût qui proposent des voyages longue distance. Ceci illustre le manque de coordination entre régions qui est d'autant plus mal ressenti en période de crise économique car les budgets d'investissement à mobiliser sont très importants. J'en conclus que le système politique n'a pas besoin d'être simple pour être efficace, mais il a besoin d'être compris par la majorité des Français pour fonder des communautés d'intérêt.

Dernier point que je souhaite aborder : quelle sera l'organisation pertinente de la République à l'horizon de 20 ou 30 ans ? Je crois que pour l'imaginer il faut se référer aux progrès technologiques qui peuvent raisonnablement être attendus. Les évolutions sont parfois très rapides. Ainsi, un ingénieur reconnu du MIT estime que la totalité de nos besoins en énergie sera couvert, dans vingt ans, par le recours au solaire.

En toute hypothèse, les nouvelles technologies numériques et informatiques ont déjà bouleversé notre société et permettront une plus grande rapidité des échanges et des partages d'informations et de données. Ainsi le haut débit, attendu pour 2025 en Côte-d'Or, développera le télétravail, renforcera le commerce électronique, et nous irons vers une dématérialisation croissante des biens culturels, mais aussi de certaines prestations, comme les téléconsultations médicales.

Les services de l'Etat doivent anticiper, s'approprier ces technologies, et continuer à moderniser les services offerts, comme c'est déjà le cas pour les déclarations fiscales en ligne par exemple. Peut-être serait-il également possible d'implanter des organismes centralisés en province, afin que chaque région, dans une juste répartition, récupère une spécialisation à l'échelle nationale, comme c'est déjà le cas par exemple à Lyon avec Interpol. Pour mettre en oeuvre cette modernisation, il est nécessaire de disposer d'un système d'information très puissant, avec des outils compatibles entre tous les acteurs et tous les niveaux, ce qui nécessite des investissements lourds. Ce système d'information ne constitue pas, évidemment, un système politique, mais une pierre angulaire nécessaire au fonctionnement de l'Etat de demain, alliant à la fois souplesse et réactivité. En effet, une accélération du temps de la vie publique paraît souhaitable, le rythme étant trop faible par rapport à celui des entreprises. Par exemple, il a fallu plus de 40 ans pour que la rocade nord-ouest de Dijon soit construite, alors que l'enjeu était de désenclaver la ville.

Parallèlement à ce système informatique très structurant qui permettrait une meilleure articulation entre chaque collectivité, l'Etat doit conserver un réseau d'élus de proximité au niveau le plus fin, pour humaniser son rôle, garantir la remontée des informations depuis le niveau local, et assurer les missions de solidarité auprès des personnes en difficulté, comme la bonne application des règles. Grâce à un nouveau découpage géographique, à des outils performants et à une définition claire des règles de fonctionnement des collectivités - qui bousculeraient le conservatisme actuel - les Français pourraient être beaucoup plus impliqués dans les grandes orientations prises par notre pays pour les prochaines décennies.

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