J'ouvre notre séance après ce moment de recueillement et d'hommage que nous venons de rendre à l'ancien Premier ministre Pierre Mauroy, décédé.
Nous recevons aujourd'hui Monsieur Christophe Mahieu, président-directeur général d'Est Bourgogne Media SA, directeur de la publication des quotidiens Le Bien public et Le Journal de Saône-et-Loire.
Les travaux de cette mission dépassent les projets de loi en cours d'examen. Notre idée est de chercher les éléments de nature à renforcer l'efficacité publique. Nous, les élus, sommes au service des citoyens ; la décentralisation est au service des citoyens. Nous cherchons ce qui peut permettre à la décision locale d'être la plus pertinente possible.
Il nous est utile de recevoir quelqu'un qui « rencontre » tous les jours la décentralisation. Nous voulons recueillir le regard d'un observateur-praticien de la décentralisation autre qu'un élu. Nous cherchons une parole libre mais celle-ci est consubstantielle à votre fonction.
président-directeur général d'Est Bourgogne Media SA, directeur de la publication des quotidiens Le Bien public et Le Journal de Saône-et-Loire. - Je vous remercie de cette invitation qui est une première pour moi. Je centrerai mon propos sur trois points majeurs.
En premier lieu le découpage géographique. Je constate que l'attachement au département reste une réalité profonde ; en revanche le niveau régional ne suscite pas la même adhésion. Avec la décentralisation, la France est passée d'une structure étatique unitaire très centralisée à une organisation plus souple. Mais l'absence de cohésion au sein des régions, et de compétences précises attribuées à chacun des niveaux de collectivités brouillent la vision qu'en ont les citoyens en dépit des efforts de communication accomplis. En Bourgogne, nous avons un problème majeur qui tient au fait que notre région est très étendue, 31 000 km2 et qu'elle est très peu cohérente. Elle comprend quatre départements qui, tous, subissent une attractivité extra régionale, comme l'Yonne vers la région parisienne, la Nièvre vers la région Centre, la Saône-et-Loire vers Lyon, et la Côte-d'Or vers Besançon. Les Dijonnais qui vont à Nevers sont rares, et réciproquement, car il faut trois heures de route pour faire 180 km ! Nos axes de transport, en particulier le TGV, sont tous orientés Nord-Sud. Cette absence de cohérence fait que le conseil régional a du mal à mener des projets structurants. Elle se retrouve dans la population régionale, elle-même hétérogène. De fait, je constate, dans mon activité professionnelle, que les journaux de presse quotidienne régionale sont tous départementaux, et qu'en outre ils appartiennent à des groupes de presse différents. La réalisation de pages « région » est très difficile. Il me semble donc nécessaire de revoir le découpage des régions, sur le plan fonctionnel du moins. Ce n'est pas pareil sur un plan géopolitique car la région correspond aussi à une notion identitaire, liée à l'histoire, au patrimoine, aux traditions et elle s'inscrit dans la déclinaison ville-terroir-Nation-Europe. En outre, trente ans de régionalisation ont fait émerger une vraie culture régionale. Je crois donc important de déconnecter ces deux aspects, fonctionnel et identitaire.
Les mêmes critiques ne me semblent pas s'appliquer au département. Je m'appuie sur l'exemple de la Côte d'Or, département à très faible densité de population, composé de 706 communes et finalement très hétérogène également. Il existe un véritable attachement pour ce qui constitue une communauté cohérente, qui pourrait, à l'avenir, être renforcée grâce au très haut débit, et à un nouveau modèle économique empruntant des circuits courts. Le département s'appuierait sur des intercommunalités fortes, et sur des métropoles s'il en existe sur son territoire, ce qui permettrait le désenclavement de certains territoires ruraux, aujourd'hui très isolés. J'estime donc que le découpage actuel est cohérent au niveau départemental, mais à revoir au niveau régional. L'attachement au département a été illustré de façon concrète par les oppositions à la mise en place des nouvelles plaques minéralogiques.
Ma deuxième observation concerne la vision qu'ont les Français du rôle de chaque institution. Manifestement, ils n'ont pas une compréhension claire de chacun des niveaux de collectivités. Cette situation découle de l'absence de projet stratégique bien identifié pour chaque niveau de collectivités, et de compétences souvent redondantes entre les différents acteurs, ce qui est particulièrement mal perçu en temps de crise. La forte implication des élus locaux ne suffit pas à susciter l'adhésion des Français, qui ont souvent une vision caricaturale des niveaux de décision, et n'identifient pas ce qui relève du département, de la région, de l'Etat, et de l'Europe. Les industriels et les gestionnaires d'associations font le tour des niveaux de collectivités pour obtenir des subventions. Ils les obtiennent mais ils ont une vision désordonnée du fonctionnement de ces institutions. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de l'aéroport de Dijon qui relève de la communauté d'agglomération, du département et de la région, et qui est géré en délégation de service public par la chambre de commerce et d'industrie. Il existe un déficit de fonctionnement à couvrir qui suscite de nombreuses divergences entre ces différentes institutions. Cette absence de consensus est difficilement compréhensible pour les habitants de la Côte d'Or, d'autant plus que l'aéroport de Dôle, situé à 30 minutes, dans le Jura, est en plein essor, grâce notamment à des compagnies aériennes à bas coût qui proposent des voyages longue distance. Ceci illustre le manque de coordination entre régions qui est d'autant plus mal ressenti en période de crise économique car les budgets d'investissement à mobiliser sont très importants. J'en conclus que le système politique n'a pas besoin d'être simple pour être efficace, mais il a besoin d'être compris par la majorité des Français pour fonder des communautés d'intérêt.
Dernier point que je souhaite aborder : quelle sera l'organisation pertinente de la République à l'horizon de 20 ou 30 ans ? Je crois que pour l'imaginer il faut se référer aux progrès technologiques qui peuvent raisonnablement être attendus. Les évolutions sont parfois très rapides. Ainsi, un ingénieur reconnu du MIT estime que la totalité de nos besoins en énergie sera couvert, dans vingt ans, par le recours au solaire.
En toute hypothèse, les nouvelles technologies numériques et informatiques ont déjà bouleversé notre société et permettront une plus grande rapidité des échanges et des partages d'informations et de données. Ainsi le haut débit, attendu pour 2025 en Côte-d'Or, développera le télétravail, renforcera le commerce électronique, et nous irons vers une dématérialisation croissante des biens culturels, mais aussi de certaines prestations, comme les téléconsultations médicales.
Les services de l'Etat doivent anticiper, s'approprier ces technologies, et continuer à moderniser les services offerts, comme c'est déjà le cas pour les déclarations fiscales en ligne par exemple. Peut-être serait-il également possible d'implanter des organismes centralisés en province, afin que chaque région, dans une juste répartition, récupère une spécialisation à l'échelle nationale, comme c'est déjà le cas par exemple à Lyon avec Interpol. Pour mettre en oeuvre cette modernisation, il est nécessaire de disposer d'un système d'information très puissant, avec des outils compatibles entre tous les acteurs et tous les niveaux, ce qui nécessite des investissements lourds. Ce système d'information ne constitue pas, évidemment, un système politique, mais une pierre angulaire nécessaire au fonctionnement de l'Etat de demain, alliant à la fois souplesse et réactivité. En effet, une accélération du temps de la vie publique paraît souhaitable, le rythme étant trop faible par rapport à celui des entreprises. Par exemple, il a fallu plus de 40 ans pour que la rocade nord-ouest de Dijon soit construite, alors que l'enjeu était de désenclaver la ville.
Parallèlement à ce système informatique très structurant qui permettrait une meilleure articulation entre chaque collectivité, l'Etat doit conserver un réseau d'élus de proximité au niveau le plus fin, pour humaniser son rôle, garantir la remontée des informations depuis le niveau local, et assurer les missions de solidarité auprès des personnes en difficulté, comme la bonne application des règles. Grâce à un nouveau découpage géographique, à des outils performants et à une définition claire des règles de fonctionnement des collectivités - qui bousculeraient le conservatisme actuel - les Français pourraient être beaucoup plus impliqués dans les grandes orientations prises par notre pays pour les prochaines décennies.
J'identifie trois points particulièrement intéressants dans vos propos.
Tout d'abord s'agissant du découpage, je vous confirme que la situation vécue par la presse régionale en Poitou-Charentes est identique à celle que vous avez décrite : la vie publique est très départementale. J'ai bien compris la dialectique que vous avez soulignée entre l'imprécision de l'espace régional et le sentiment identitaire lié à la région, mais un regroupement de plusieurs régions ne permettrait-il pas de conserver l'identité grâce à une organisation fédérale ? Ce n'est qu'une hypothèse.
Ensuite, concernant la méconnaissance de l'organisation décentralisée par les citoyens, je pense effectivement que cela nous renvoie à la question de l'efficacité. Vous dites également que plus il y a de concurrence, moins il y a de compréhension.
Enfin, je suis sensible à votre propos sur le fait que l'Etat a sa place, même dans l'espace le plus reculé : le numérique pourrait donc être un moyen pour que l'Etat n'abandonne aucun de ses citoyens.
Je suis tout à fait d'accord avec les propos de Monsieur Mahieu. La Bourgogne actuelle - mais ce n'est pas la seule région dans ce cas - n'est pas en cohérence avec les problématiques posées au territoire. Personnellement, dès la création de la région, je me suis prononcé en faveur de la « grande Bourgogne », c'est-à-dire l'assemblage des huit départements. L'espace Rhin-Rhône, entre la région Rhône-Alpes et l'espace rhénan, deux espaces très puissants, n'est pas, en tant que tel, administré et vous avez illustré l'incohérence du découpage avec l'exemple des aéroports. La difficulté de l'émergence du TGV Rhin-Rhône est liée à cette absence de pilotage unique sur cet espace. Vous avez évoqué les aéroports, mais parlons des universités !
Sur des questions hautement stratégiques, l'espace est trop étroit, et il ne permet pas d'avancer sur trois enjeux au moins : la fusion des universités, la question des aéroports - plus marginale - et celle des transports.
Vos propos sur la révolution numérique m'ont surpris. Si la révolution numérique est une réalité, je n'en déduis pas que les gens vont réduire leur temps de déplacement, qui est stable depuis des siècles. L'homme cherche toujours à aller plus loin, à conquérir de nouveaux marchés, à découvrir de nouveaux territoires. Le numérique va générer un allongement du rayon des déplacements, et l'homme ira plus loin - mais peut-être moins souvent. L'économie d'un territoire et la richesse produite dépendent du nombre d'emplois accessibles dans l'heure, par rapport à l'endroit où l'on réside : la question est donc ensuite celle de l'accès à des fonctions, à des services, à des loisirs.
Je suis élue de l'Allier, donc de la région Auvergne, mais Bourbonnaise avant tout ! Je souhaiterais vous poser cinq questions. Pensez-vous que le fait que la Bourgogne soit hétérogène constitue un handicap ? N'est-ce pas une chance - ce que je pense personnellement ? Aucune région n'est parfaite, sauf peut-être l'Alsace...
en raison de sa très forte identité, mais pour la plupart, les régions sont une addition de départements. Si cette hétérogénéité n'est pas une chance, comment peut-on la transformer en atout ?
S'agissant de l'aéroport, n'y a-t-il pas un rôle d'Etat stratège à mettre en avant ? Les régions n'ont pas réponse à tout, notamment s'agissant des grandes infrastructures, réseaux ferrés ou énergie. Or, il s'agit d'argent public, et les citoyens n'acceptent plus de voir de telles incohérences alors même qu'on leur demande de faire des efforts.
Quel est votre sentiment concernant le très grand nombre de communes, plus particulièrement celles dont la population n'excède pas 1 000 à 5 000 habitants ?
Faut-il opposer urbains et ruraux ? Comment prendre en compte la métropolisation, sans oublier les autres territoires, comme cette partie nord de la région Bourgogne que vous avez évoquée.
Quel avenir pour ces territoires ?
Enfin, sur la mobilité, je crois que les déplacements sont désormais davantage liés aux loisirs qu'au travail et qu'elle continuera à augmenter.
Vous parliez tout à l'heure des quarante ans passés à réaliser une rocade autour de Dijon. Quand le Président de la République est venu à Dijon, il a déclaré : « Chaque fois que l'Etat pourra donner plus tôt une autorisation, lever une procédure qui est inutile, alléger une contrainte, on gagnera en croissance. ».
Sur l'homogénéité des territoires : quel est, selon vous, le territoire idéal, le territoire homogène vers lequel il faut aller ? Pour moi, il faut définir l'homogénéité, qui n'est pas forcément culturelle, économique, et la bonne dimension vers laquelle il faut aller.
Le référendum est-il la solution ? Le politique est-il une autre solution ? On l'a bien vu dans les débats sur Paris et Marseille, ce n'est pas facile de trouver la bonne formule.
Vous avez dit : les citoyens ont du mal à connaître le rôle des collectivités locales tellement c'est foisonnant et compliqué. Mais il faudrait que, parfois, les journalistes expliquent comment sont organisées les collectivités locales. On nous envoie souvent des jeunes qui n'ont pas été formés ; certains ne connaissent rien à cette organisation des territoires.
Je reviens sur ce qui a été dit concernant les référendums qui échouent tout le temps. Ils échouent pour ceux qui les ont organisés. Mais dans l'échec, il y a quand même une réponse qui est donnée. Et celle-ci est départementale, en Alsace, comme en Corse ; même dans des régions à forte identité, le sentiment a été que le choix de l'intégration à la France passait par le département plus que par la région.
J'ai beaucoup apprécié vos propos.
A priori, je n'ai pas de religion administrative. Ce qui est intéressant est de savoir ce qu'il faut pour les gens et ensuite en déduire le système à mettre en place.
On voit bien que les décisions concernant une université ou un aéroport ou le numérique appellent des réponses différentes : pour certains investissements, il faut choisir un lieu d'implantation, pour d'autres, il faut les généraliser sur tout le territoire.
Nous sommes écartelés entre deux notions : l'envie de péréquation et d'égalité et, en même temps, une tendance qui nous dit le contraire -il ne faut pas aller dans cette région, car c'est coûteux-. Le conflit de ces deux arguments va nous guider dans le choix du bon niveau d'administration, capable de gérer.
En ce qui concerne la remarque sur les étudiants des écoles de journalisme, je suis souvent étonné de leurs difficultés à appréhender les notions de « conseil régional », de « conseil général ». Cela montre bien que même pour des gens qui ont une certaine culture et sont plutôt ouverts sur le monde, ce n'est pas évident !
Vous m'avez interrogé sur l'hétérogénéité. Il y a de vraies différences culturelles entre départements et même parfois à l'intérieur d'un même département. L'hétérogénéité est une vraie force à partir du moment où les gens se côtoient et sont amenés à vivre ensemble. Je reprends l'exemple cité tout à l'heure des Dijonnais qui ne vont pas à Nevers : ils sont pourtant voisins d'une même région. On essaye de créer des projets régionaux et les gens n'ont pas l'occasion d'en parler.
Sur la question de l'Etat stratège. Pour un certain nombre d'infrastructures et certains équipements, il est vrai qu'il est de la responsabilité de l'Etat d'en déterminer l'implantation. Mais si la région Bourgogne était bien délimitée, s'il avait été procédé à un bon découpage régional, l'infrastructure naîtrait naturellement de façon rationnelle et logique. Si la Franche-Comté et la Bourgogne faisaient partie de la même région, l'Etat n'aurait pas besoin d'intervenir pour décider de l'emplacement de l'aéroport, qui le serait à l'intérieur même de la région. Le manque de coordination est plutôt le reflet d'un mauvais découpage régional.
La taille : notre région a un grand nombre de communes. Certaines communes de Côte-d'Or ont dix habitants. Cela n'a donc pas de sens même s'il y a un attachement à la commune. Faut-il distinguer aspect identitaire et aspect fonctionnel ? En tout cas, l'intercommunalité est la bonne réponse.
En ce qui concerne le numérique, j'ai peut-être une vision très optimiste. Je pense qu'il devrait permettre de faire tomber des murs entre milieux rural et urbain et faire travailler ensemble leurs habitants. Aujourd'hui, on arrive à faire travailler des gens entre pays éloignés. Pourquoi pas à l'intérieur d'un même département les habitants des milieux urbain et rural ? Certes, les entreprises ne sont pas encore organisées pour le télétravail. Mais dans vingt ou trente ans, l'amélioration des outils permettra son développement.
Je suis très sceptique sur les référendums : les Français sont naturellement, peut-être par peur, trop conservateurs. Il me semble qu'il faut plutôt organiser une consultation, l'Etat prenant ensuite la décision de redessiner les régions. Ce qui est important c'est de mettre en place des projets fédérateurs et mobilisateurs -par exemple dans les domaines économique ou de la santé- pour que les gens se rendent compte des bienfaits du redécoupage. Si l'on s'en tient au seul aspect politique, on risque l'échec.
Je souhaite revenir sur le décalage entre le sentiment d'appartenance et l'absence de cohérence de nos territoires régionaux. Ce constat conduit à s'interroger sur la nature du fait régional. Je tenterai d'y répondre à travers le prisme breton où la situation est l'inverse de celle que vous avez décrite : la « Bretagne administrative », composée de quatre départements, ne correspond pas à la « Bretagne historique » qui réunit cinq départements avec la Loire-Atlantique dont quarante communes portent le nom de Bretagne. Par ailleurs, le château des ducs de Bretagne est situé à Nantes et non à Rennes.
Depuis les lois de décentralisation de 1982, quel a été le seul grand projet fédérateur régional en Bretagne ? Le TGV. Pour le financer, on a fait appel aux départements et à la région Pays-de-la-Loire. Je me demande si on ne s'est pas trompé lorsque la région est devenue une collectivité territoriale de plein exercice. Pour dépasser l'opposition entre un territoire administratif et une identité culturelle, ne faudrait-il pas revenir à des régions qui seraient des établissements publics de coopération interdépartementale ?
Je suis très honoré par la place qu'occupe la Bourgogne cet après-midi. Il est vrai que cette région dispose d'un avantage substantiel par rapport à d'autres régions : la Bourgogne est connue dans le monde entier grâce à ses vins.
Pourquoi rechercher des territoires homogènes ? On n'y arrivera jamais. Le seul territoire homogène, c'est éventuellement la commune. A l'heure où l'on discute du périmètre des intercommunalités, des SCOT, de la répartition des compétences et de la nouvelle carte cantonale, la recherche de l'homogénéité apparaît inaccessible. La différence pourrait s'établir entre les différentes catégories de collectivités territoriales à partir de la proximité : il doit y avoir, d'une part, une ou plusieurs collectivités territoriales de proximité et, d'autre part, une ou plusieurs collectivités territoriales de grande envergure, qui ne se confondraient pas avec l'Etat mais qui favoriseraient l'aboutissement d'opérations que les régions ne parviennent pas à réaliser.
Notre rapporteur a rappelé que le périmètre de la Bourgogne était trop étroit, notamment en matière universitaire. Comment pouvons-nous avoir, en Bourgogne, une université qui puisse se comparer avec celles d'Île-de-France ou de Rhône-Alpes qui sont les premières de France ? C'est hors de notre portée, même si notre région fusionnait avec la Franche-Comté.
Pourquoi avoir des aéroports partout ? C'est le TGV qui apparaît pertinent à l'échelle de ce territoire : faire Paris-Dijon en train ou en avion n'a pas le même bilan carbone, en temps et en coût. Sur le plan des transports, il me paraît important de ne pas avoir de vision prédéfinie avec un ou deux aéroports par région. Il convient de raisonner sur la facilité et la rapidité des liaisons de transports. Par exemple, le coût de la fameuse « LINO », la liaison intercommunale nord-ouest, de Dijon s'élève à 40 millions d'euros. Alors qu'il ne rapporte rien au département de l'Yonne, nous participons financièrement à ce projet, par solidarité.
Il ne faut donc pas avoir une vision trop théorique des choses. Toute réflexion qui précède l'action doit s'inspirer de l'histoire et de la géographie. Il faut sortir de nos visions trop cartésiennes. Je milite pour des grandes régions sans ambition de proximité mais avec une réelle vocation d'aménagement du territoire. La cohérence d'une politique sur un espace suffisamment vaste reposera sur le lien entre les collectivités territoriales de proximité avec la collectivité territoriale d'aménagement du territoire. Ce succès permettra de ne plus se tourner vers l'Etat qui n'a plus les moyens de conduire une politique de coordination.
Vous dites que nos concitoyens connaissent mal le rôle des collectivités territoriales les unes par rapport aux autres. Ce constat est à la fois vrai et inexact. Si une personne a quelque chose à demander, elle saura à qui s'adresser, comme le montre l'exemple des transports scolaires. Il en est de même pour les industriels. En Haute-Marne, nous avons mis en place un GIP qui gère les fonds d'accompagnement pour un laboratoire de gestion des déchets nucléaires. Ces fonds sont destinés au développement économique. Les entreprises, qui l'ont bien compris, ne s'adressent plus à la région ou au département mais directement à ce GIP.
Sur la question du redécoupage des régions, on ne parviendra pas à l'émergence de territoires homogènes. Par exemple, mon collègue Charles Guené, pourtant du même département que moi, se sent bourguignon. C'est pourquoi il faut s'attacher à trouver des territoires utiles et cohérents.
Pour la région Champagne-Ardenne, la carte actuelle est calquée sur celle de la province royale. Les gouvernements de l'époque ont donc fait preuve d'un manque d'imagination incroyable.
Nous n'avons pas abordé une question qui me paraît pourtant essentielle : celle du fait métropolitain. Quand les départements ont été créés, Paris ne comptait que 600 000 habitants, Lyon 100 000 et Marseille 110 000. Les départements étaient alors pertinents. Ils le demeurent aujourd'hui sur 50 % du territoire au moins, plus spécifiquement les territoires ruraux. On peut en revanche s'interroger sur la pertinence des départements du Rhône et de la petite couronne parisienne. Il y a des moments où la France avance. Ainsi, sous Napoléon III, le Baron Haussmann a permis des réalisations exceptionnelles à Paris avec l'absorption de communes avoisinantes qu'étaient Passy, Auteuil et Vaugirard. Le département de la Seine allait au-delà des fortifications parisiennes. Puis on a réduit ce même département, pour des raisons que j'ignore, au boulevard des Maréchaux tout en créant cinq nouveaux départements autour de Paris.
J'ai lu le rapport de l'OCDE consacré au millefeuille territorial français qui concluait à la disparition des départements pour réaliser des économies. En tant qu'animateur du groupe minoritaire de l'Assemblée des Départements de France, j'ai souhaité rencontrer les auteurs de ce rapport. Ils m'ont avoué qu'en réalité, il fallait supprimer, non pas les départements, mais les communes. Toutefois, ce discours n'est pas dans l'air du temps. En Poméranie, dans l'ancienne Allemagne de l'Est, nous assistons aujourd'hui à des fusions de communes en raison de la pauvreté de ces dernières, qui donnent naissance à des communes nouvelles, comme en France. Dans leur « contrat de mariage », il est indiqué la commune qui sera amenée à disparaître physiquement. Ce dispositif n'est pas transposable en France.
Dans mon département, vient d'être inaugurée la dixième commune nouvelle issue de la fusion de deux communes, elles-mêmes issues de la loi Marcellin. Ainsi, c'est quatre communes qui ont fusionné dans une seule.
Dernière question relative au fait régional, pourrait-on parvenir à une carte à zéro région ? Et pour faire quoi ?
Je redis qu'il me semble opportun que les régions soient redécoupées en zones plus larges. S'il leur est impossible d'être homogène, au moins faut-il qu'elles puissent créer une communauté d'intérêts. Si les entreprises sollicitant des crédits identifient bien les différents territoriaux, ce n'est pas le cas, en revanche, de la grande majorité des Français, qui n'ont rien à demander. C'est pourquoi, ils ne perçoivent pas la logique de l'organisation territoriale.
Je retiens de nos échanges les points suivants :
- il serait opportun de dessiner de grandes régions, dont le nombre irait de huit à dix en recherchant la plus grande cohérence ;
- les citoyens n'identifient pas les compétences et les priorités qui sont, pour la région, la stratégie, et pour le département, la proximité ;
- vous avez parlé de la nécessité d'une présence fine de l'État, et je retiens la pertinence de cette expression ; ce ne doit pas être la démographie qui commande la présence ou non de l'Etat ;
- il faut accepter la différenciation suivant les territoires ; le schéma d'organisation ne peut pas être identique à Paris, à Lyon où dans le Poitou. Mais, au total, dans les régions rurales, c'est bien le département qui assure la cohésion.
Je voudrais revenir sur l'échec du récent référendum en Alsace : cette région est marquée par une forte identité, mais dont les conséquences sont différentes entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. La peur du pôle métropolitain explique largement l'échec. Il aurait sans doute fallu commencer par des mesures pragmatiques, comme la fusion des agences de tourisme et de développement.
Je relève que les deux référendums qui ont été organisés en Corse puis en Alsace ont traduit chaque fois un choix pour l'enracinement local.
J'aurais souhaité le succès du référendum en Alsace, mais je constate que la période actuelle est plus propice aux craintes qu'à l'espérance.
Si pour la fusion en cours à Lyon, et celle projetée à Marseille, on recourrait à la voie référendaire, l'échec serait quasi certain.
En Alsace, de nombreuses questions concrètes posées par les citoyens lors des réunions précédant le référendum sont restées sans réponse, car ce dernier portait sur un projet d'organisation, pas encore finalisé. C'est pourquoi les messages hostiles émis par certains conseillers généraux, élus de proximité, ont été prédominants.
Il nous reste à remercier Monsieur Mahieu pour la qualité de ses propos, qui ont porté sur des sujets concrets et ont suscité des réactions intéressées des participants.