Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 13 juin 2013 à 15h00
Évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs de 70 ans et plus — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte déposé par notre collègue Yves Détraigne a pour objectif de rapprocher notre législation de celle qui est applicable dans d’autres pays de l’Union européenne s’agissant des contrôles d’aptitude à la conduite, notamment pour les personnes les plus âgées.

La conséquence serait, en fait, d’élargir les motifs et les contrôles pouvant aboutir au retrait du permis de conduire ou à sa suspension temporaire.

Cette proposition de réforme s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été proposé, en décembre 2002, par le comité interministériel de sécurité routière. Je veux parler de l’instauration d’une évaluation médicale de l’aptitude à la conduite pour les personnes âgées de plus de 70 ans par un médecin de ville, avec possibilité d’appel devant la commission médicale départementale du permis de conduire.

Au terme de cet examen, il aurait alors été possible de restreindre à des horaires ou à des espaces donnés la conduite d’une personne devenue déficiente physiquement, mais apte à la conduite.

Pour mettre en place un meilleur contrôle de l’aptitude à conduire des personnes les plus âgées, il est envisagé que tout détenteur du permis de conduire de catégories A et B, âgé de 70 ans ou plus, ait en sa possession un certificat médical délivré par un médecin agréé auprès de la préfecture du département et attestant de sa capacité à conduire. Tous les cinq ans, il serait alors procédé à un nouveau contrôle médical d’aptitude à la conduite, accompagné d’un stage de remise à niveau. Puis, la commission médicale départementale du permis de conduire, chargée de vérifier l’aptitude à la conduite, pourrait prononcer une interdiction totale ou partielle.

Mes chers collègues, cette proposition de loi a l’intérêt d’avoir de nouveau suscité au sein de la commission des lois un débat dont j’ai su qu’il n’avait pas été inintéressant, chacun ayant pu faire valoir son opinion sur ce sujet.

Pour autant, force est de constater que la commission des lois n’a pas, dans sa grande sagesse, élaboré de texte de commission. C’est dire s’il existe des arguments contradictoires ! D’ailleurs, nous en avons déjà entendus.

Sur la forme, d’abord, je crois que le dispositif est mal calibré avec les réalités pratiques de la sécurité routière.

En effet, à l’instar de l’examen ophtalmologique, on imagine mal comment les médecins pourront faire face à un accroissement aussi important de visites médicales. Ce sujet n’est pas anodin, alors que l’on connaît tous la tendance au vieillissement de notre population. Imaginez le nombre des conducteurs de 70 ans qui se verraient dans l’obligation de procéder aux examens que vous proposez d’instaurer !

Mon sentiment se trouve renforcé, au surplus, par le fait que la plupart de personnes âgées qui conduisent se trouvent installées dans des zones rurales où les alternatives de transport ne sont que trop limitées. De fait, le présent texte aurait pour effet d’augmenter la dépendance des personnes âgées.

Il existe un autre exemple visant à dénoncer les conséquences pratiques d’un tel dispositif : en cas d’infraction, un excès de vitesse, par exemple, le préfet peut exiger que l’auteur passe une visite médicale. Dans ce cas, on fait venir la personne mise en cause au chef-lieu du département, l’obligeant ainsi, alors qu’on vient de suspendre son permis de conduire, à parcourir plus de 80 kilomètres ! Par ailleurs, le médecin de la préfecture rend seul sa décision, et il en résulte des aberrations…

Je conclurai mon propos en faisant remarquer qu’un certain nombre de questions pratiques restent sans réponse.

Les examens médicaux pourront-ils se faire à l’occasion d’une visite médicale de routine, alors que cela alourdira encore la charge de la consultation médicale ? Qu’en sera-t-il de la responsabilité des médecins qui n’auront pas détecté une incapacité à la conduite ? Quels seront les critères pris en compte par les médecins pour prononcer « à coup sûr » l’incapacité de conduire de la personne, alors même que l’examen n’aurait pas fait suite à un accident de la route ?

La périodicité des contrôles est-elle réellement pertinente au regard de l’évolution des maladies qui peuvent actuellement compromettre la bonne conduite de nos concitoyens ? Est-il, d’ailleurs, pertinent d’établir un lien entre les troubles visés précédemment et l’âge du conducteur ? Cette question ressort de la santé. Ce n’est pas l’âge qui est en cause !

Vous me permettrez d’ouvrir une parenthèse. La plupart des experts médicaux s’accordent à dire qu’il existe une baisse des capacités physiologiques et cognitives après 45 ans. Les rhumatismes, la baisse des réflexes qui peuvent survenir dés cet âge sont susceptibles d’avoir des effets sur la bonne conduite ! Sans parler des effets néfastes de certains médicaments prescrits à des personnes qui peuvent être très jeunes … Chateaubriand ne disait-il pas qu’ « il n’y a point d’âge légal pour le malheur » ? §

J’en viens désormais au fond du sujet. Comme l’ont fait remarquer plusieurs de mes collègues, de droite ou de gauche, les faits d’accident de la route ne concernent pas seulement les personnes âgées. Ils sont au contraire, la plupart du temps, le fait de jeunes conducteurs peu habitués à la conduite, alcoolisés, drogués, ou inconscients.

Encore faut-il admettre que de nombreux accidents résultent réellement d’un événement fortuit dont les effets sont plus ou moins dommageables pour les personnes ou pour les choses. Ils constituent alors des événements inattendus, non conformes à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir. Telle est, d’ailleurs, la définition du dictionnaire Larousse. Je la trouve importante !

Aussi malheureux que cela soit, on ne peut pas tout anticiper, tout prévoir, tout prévenir sans porter trop largement atteinte aux droits et libertés individuelles de chacun. Et c’est là tout le problème de la prévention. Or, si l’on veut prévoir ou essayer d’encadrer l’imprévisible, cela nous oblige à encadrer toujours plus les faits et les actions de nos concitoyens.

En effet, si l’on voulait parvenir à un tel but, vous imaginez bien qu’il faudrait alors imposer des contrôles d’alcoolémie à la sortie de toutes les boîtes de nuits de France ! Il nous faudrait mettre en place un contrôle médical régulier pour tous les jeunes déjà interpellés parce qu’ils sont en possession de substances hallucinogènes, parce qu’ils sont en état d’ivresse sur la voie publique ou parce qu’ils ont commis d’autres faits encore…

Si je force bien évidemment le trait de ma démonstration, je maintiens qu’une question mérite d’être posée : devrions-nous traiter avec autant de différence de tels facteurs d’insécurité routière ? Ou devrait-on en traiter un seul avec moins de force, alors même qu’il nous paraîtrait plus grave, sous prétexte que le contrôle des uns est plus facile à mettre en place que le contrôle des autres ? Eh bien, non !

Le caractère fortuit de l’accident est l’élément fondamental de la réflexion que nous devons poursuivre en la matière.

Je parlais tout à l’heure des contrôles d’aptitude à la conduite qui seraient consécutifs à un accident de la route. Bien qu’il existe, je le disais, des faiblesses inhérentes à ce dispositif, il paraît plus aisé à mettre en place.

En effet, à l’occasion d’un accident de la route, il est toujours complexe de savoir si cet événement résulte d’une pure imprudence de la part du conducteur ou d’un événement fortuit. Le contrôle qui fait suite à l’accident permet de répondre pour partie à cette question. Or, dans ce contexte, l’âge, les années d’expérience, sont des critères qui ont peu d’importance pour déterminer l’issue du contrôle a posteriori. Ce qui compte, c’est la capacité de chacun à prendre de nouveau le volant.

En revanche, si l’on mettait en place le dispositif que vous nous proposez, nous risquerions de stigmatiser a priori systématiquement les personnes les plus âgées qui ne sont pas forcément les plus inaptes à conduire. Il est évident qu’à la moindre inattention, au moindre accident, au moindre contrôle, l’attention de chacun se portera sur l’âge des conducteurs mis en cause. Or ce qui est en cause, je le répète, ce n’est pas l’âge mais la santé, au sens large, du conducteur.

Doit-on donc réellement instaurer une obligation perpétuelle de bonne conduite ?

Doit-on instaurer une obligation de conduite parfaite, sans droit à l’erreur pour les personnes les plus âgées ?

Pourtant, les accidents de la route sont pour l’essentiel le fait des 18-24 ans, et non pas des personnes de plus de 70 ans, qui conduisent peu ou sur de courtes distances ! Je rappelle les propos teintés d’humour d’un auteur américain : les personnes âgées sont les seules à avoir le temps de respecter les limitations de vitesse... §

Les statistiques qui nous sont donc trop souvent présentées, à tort, ne sont pas exploitables en tant que telles, car elles mélangent des catégories d’accidents dont les causes sont bien différentes. Dès lors, si l’on veut instaurer une visite médicale obligatoire à intervalles réguliers, il faudrait peut-être plutôt réfléchir à la prévoir pour l’ensemble des usagers de la route ! L’interdiction de conduire, quant à elle, doit être limitée à toutes les personnes qui, du fait d’une maladie ou de la consommation de certaines substances médicamenteuses ou hallucinogènes, sont inaptes à la conduite.

Pour autant, comme je le disais au début de mon intervention, j’ai la conviction que notre collègue Détraigne soulève une question très importante. Pour cette raison, nous ne devons pas nous en désintéresser.

Ainsi, le problème de la sécurité routière, en ce qu’il concerne plus particulièrement les personnes les plus âgées, pourrait nous inciter à approfondir la question, en privilégiant les campagnes de prévention. L’objectif de ces dernières serait double : d’une part, accroître la vigilance de chacun sur la capacité de conduire de notre entourage, d’autre part, inciter les médecins, dits « de famille », à rappeler à leurs patients la nécessité d’une plus grande vigilance, quand il est question de leur santé, de leur sécurité et de celle d’autrui.

Sans mettre en place un système trop rigide, le développement d’une telle vigilance des médecins permettrait de renforcer la détection de ces incapacités. J’utilise le terme « renforcer », car, heureusement, beaucoup de médecins se préoccupent déjà de ce type de diagnostic.

En définitive, je crois que ce texte n’est pas adapté au problème qu’il entend traiter. Néanmoins, je tiens à remercier notre collègue Yves Détraigne de nous alerter sur la nécessité de prendre en considération le phénomène toujours aussi préoccupant qu’est l’insécurité routière pour l’ensemble de la population.

La France a fait de grands progrès en matière de sécurité routière. Il est de notre responsabilité collective de poursuivre nos efforts et d’encourager toute démarche allant dans ce sens, ce qui nous permettrait également de nous rapprocher de nos voisins européens.

C’est pourquoi j’estime, avec l’ensemble du groupe UMP, qu’il faut renvoyer le texte en commission afin d’approfondir dans un cadre plus vaste ce sujet important. Nous soutiendrons donc la motion tendant au renvoi en commission qui nous sera présentée ultérieurement. §

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