Intervention de Virginie Klès

Réunion du 13 juin 2013 à 15h00
Évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs de 70 ans et plus — Demande de renvoi à la commission

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Après vous avoir convaincu qu’il ne faut surtout pas voter la proposition de loi qui nous est soumise en l’état, je vous remercie, monsieur le rapporteur, de redonner du travail à la commission, et il y a de quoi faire me semble-t-il.

Lorsque l’on adopte une loi, il faut s’assurer qu’elle soit efficace et, en l’occurrence, que le présent texte le soit en matière de sécurité routière et d’ordre public. Autrement dit, il faut s’attaquer non pas uniquement à la question de l’âge des conducteurs, mais au problème de l’aptitude physique à la conduite des véhicules.

J’ai déjà évoqué tout à l’heure les problèmes liés à la santé, à la vue, à la prise de médicaments. Ils nécessitent que le médecin traitant soit remis au cœur du dispositif. Certes, comme l’a mentionné un orateur précédent, il existe le secret médical auquel sont astreints les médecins et qui les contraint à ne pas communiquer certaines informations. Mais il faut trouver un lien entre les praticiens et les commissions médicales préfectorales chargées de contrôler l’aptitude à la conduite, en concertation avec l’ordre des médecins, les pharmaciens, tous les professionnels du secteur médical et paramédical qui, au cours de l’exercice de leurs fonctions, auront connaissance d’éventuelles incidences de l’état de santé des personnes qui les consultent sur leur aptitude à conduire. Dans ce cadre, la famille, lorsqu’elle existe, doit aussi pouvoir intervenir §en tant que de besoin.

Parallèlement, le système qui sera mis en place devra être suffisamment convaincant à l’égard de la personne, quel que soit son âge, qui, en raison de sa santé, des médicaments qu’elle prend ou de son état physique, peut faire courir un danger si elle conduit. Il faut donc prévoir à un moment ou à un autre une forme de contrainte assortie, éventuellement, d’une sanction. Cela étant, la personne en cause doit néanmoins garder la responsabilité de la prise de décision.

Comme je l’indiquais précédemment, la conduite est interdite aux personnes ayant plus de 0, 5 gramme d’alcool dans le sang – ce sera peut-être zéro demain. Pour autant, nous, citoyens, n’avons pas sans arrêt un Big Brother sur le dos nous empêchant de boire avant de prendre le volant. Il est de notre responsabilité de prendre cette décision. De la même façon, il est de la responsabilité d’une personne âgée de décider de conduire, mais après avoir reçu une information très claire sur les dangers qu’elle fait courir ; une telle information est déjà délivrée sur les risques liés à la conduite en état d’ivresse ou aux excès de vitesse.

Si l’on veut instaurer une contrainte, il faut prévoir une possible sanction lors d’un contrôle. Imaginons une personne à laquelle le médecin, à l’occasion d’une consultation, a quasiment ordonné de réaliser un examen de la vue car elle ne voit plus assez bien pour conduire. Une telle « injonction » doit être indiquée quelque part afin que si, ultérieurement, la personne est contrôlée alors qu’elle n’a pas fait l’examen nécessaire, on puisse le lui faire remarquer. Il faut sans doute envisager un système de gradation des sanctions éventuelles. De plus, comment avoir une trace de cette injonction, de cette recommandation, de ce conseil, selon les cas, du médecin traitant ?

Comme je le disais voilà un instant, il faut remettre celui-ci au cœur du système, ce qui nécessite des concertations avec la profession médicale. Il faut voir jusqu’où les praticiens peuvent, veulent aller dans cette fonction de conseil, de recommandation ou d’injonction. À quelle fréquence les fera-t-on intervenir ?

Ainsi, les traitements de type psychotropes ou neuroleptiques suivis sur le long terme, voire contre le diabète, même si je ne veux pas stigmatiser les malades qui en souffrent, nécessitent des consultations fréquentes chez le médecin traitant pour des renouvellements d’ordonnance. À cette occasion, selon la maladie ou le traitement, le médecin peut refaire un point sur des critères importants dans le domaine de la conduite.

Tout un système est donc à construire §en concertation avec les médecins et les familles, lesquelles ne doivent pas être occultées. Un équilibre doit être trouvé entre responsabilité individuelle, contrainte et sanction éventuelle, le médecin traitant étant, je le répète, au cœur du système.

Il faut que les solidarités locales se mettent en place autour de la personne en fonction des contraintes qui vont lui être imposées, en fonction de la perte d’autonomie qu’elle va forcément subir quelles que soient les limites qui seront apportées à sa conduite : interdiction de conduire la nuit, interdiction de faire de longs trajets, voire interdiction complète de conduire. Il faut que la famille, les voisins et les amis puissent être pris en compte dans le dispositif, afin que la solidarité familiale et amicale puisse s’organiser. Il faut également aider la personne, par le biais d’une solidarité institutionnelle, à réorganiser sa vie différemment, pour qu’elle puisse continuer à vivre dans un confort matériel, moral, humain et amical suffisant, et ne connaisse pas une dépréciation trop importante de ses conditions de vie.

Il faut faire extrêmement attention à ce qu’il n’y ait pas de report massif et non réfléchi vers les tricycles et quadricycles à moteur, les voiturettes, qui sont souvent la solution envisagée de prime abord. En effet, leur conduite peut être tout aussi dangereuse que celle d’un véhicule normal, soit parce que ce sont les conditions physiques ou les médicaments qui sont responsables du danger, soit parce que la personne ne s’aperçoit pas que sa voiturette prend la même place qu’une voiture sur la route alors qu’elle roule à la vitesse d’un vélo ou d’un vélomoteur. Ce risque doit être anticipé. Il faut éviter qu’il y ait un report massif : la voiturette ne doit pas constituer un choix par défaut, on ne doit pas y recourir par crainte de ne plus pouvoir sortir de chez soi pour acheter son pain, aller chercher son lait, voir ses enfants et petits-enfants, aller à la bibliothèque, etc.

Je le répète, il faut vraiment éviter qu’il y ait un report massif et systématique. Il faut s’adapter aux conditions de vie de la personne, par exemple en tenant compte de ses possibilités d’accès aux transports en commun, qu’elle ignorait peut-être jusqu’alors. Quand on rencontre un problème de diminution physique, quelle qu’elle soit, et qu’on n’a jamais pris le métro ou le bus, il n’est pas facile de s’y mettre ; on peut se sentir perdu à cause de la maladie, de la fatigue ou tout simplement de l’âge. Il faut donc mettre en place un accompagnement personnalisé. Cela ne se construit pas en deux ou trois jours.

Il faut également réfléchir aux moyens d’améliorer la formation continue de tous les conducteurs. Les panneaux changent, les infrastructures changent et se complexifient. En regardant les examens de conduite de mes enfants, j’ai été effrayée de constater que les clignotants avaient changé de nom… Il faut insister sur la formation continue en matière de conduite, de panneaux de signalisation, de nouvelles infrastructures et même de priorité dans les carrefours giratoires. En Bretagne, on connaît bien les règles de priorité qui s’appliquent aux carrefours giratoires, parce que nous sommes les champions de France de ces carrefours, mais ce n’est pas le cas partout : dans certains territoires, les personnes qui ne conduisent pas beaucoup, qu’elles soient âgées ou pas, ont des difficultés dans les carrefours giratoires, car elles ont tendance à laisser la priorité à droite et non à gauche. Il y a un dispositif à construire pour que le permis de conduire soit régulièrement rafraîchi. Est-ce que cela doit prendre la forme de stages ou de formations, je l’ignore, mais il faut vraiment y réfléchir.

On sauvera également beaucoup de vies en généralisant les formations aux gestes de premier secours. En théorie, elles sont obligatoires dans tous les établissements d’enseignement : les élèves qui sortent du lycée sont tous censés avoir leur attestation de premier secours. Mais ce dispositif n’est pas mis en œuvre. Dans ce domaine aussi, il y a des choses à revoir. En s’attaquant, si j’ose dire, non seulement aux conducteurs mais également aux premiers témoins d’un accident, on pourra sauver de nombreuses vies.

Le dispositif doit faire l’objet d’une large concertation réunissant des personnes dotées de diverses compétences, c'est-à-dire exerçant des professions variées. Si on s’attaque à ce sujet sans se limiter aux personnes âgées mais en réfléchissant plus globalement sur l’aptitude physique à conduire et à agir quand on est le premier témoin d’un accident, on sauvera beaucoup de vies humaines et on aura vraiment fait œuvre utile. C'est pourquoi je vous propose de renvoyer ce texte à la commission et de retravailler d’arrache-pied sur le sujet. §

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