C'est avec beaucoup de plaisir que je me trouve devant vous, pour vous donner le point de vue et l'analyse de la fédération française de cyclisme (FFC), que je représente, sur la lutte contre le dopage. Je répondrai également aux questions que vous ne manquerez pas de me poser.
Je commencerai par une note optimiste en vous disant que ça va mieux dans notre sport. On le voit au quotidien. La lutte contre le dopage peut toujours être considérée avec optimisme ou pessimisme mais, même si tout n'est pas parfait, les choses se sont améliorées et continuent à s'améliorer.
Pour la fédération française de cyclisme et comme pour la plupart des acteurs du sport, le dopage est tout simplement la négation des valeurs du sport. À la fédération française de cyclisme, nous combattons toute forme de tricherie, quelle qu'elle soit.
Ne nous le cachons pas, notre sport a été l'un des plus touchés par le dopage, et depuis des temps anciens. C'est pour cette raison que nous avons mis en place diverses mesures. Sans remonter jusqu'aux premiers contrôles antidopage, avant les années 1970, d'importantes avancées ont été observées avec la mise en place de contrôles sanguins, les interdictions de l'EPO, la mise en place du passeport biologique ou le suivi médical réglementaire. Toutes ces actions ont globalement concouru à améliorer l'état sanitaire du peloton.
Certaines affaires ont néanmoins été perçues comme des séismes dans notre sport. Je commencerai par évoquer l'affaire Festina, en 1998, et plus récemment l'affaire Armstrong. Personnellement, je n'avais guère de doute sur la crédibilité de ses résultats, et cette affaire n'a fait que confirmer mes soupçons. Au fond, même s'il peut sembler que les affaires se succèdent les unes après les autres, ces affaires deviennent aujourd'hui relativement anciennes.
Vous trouverez toujours deux ingrédients dans les affaires de dopage : un directeur sportif et un médecin à la vertu douteuse. En l'absence de ces deux intervenants, le dopage ne peut exister. Il faut ensuite disposer d'un coureur qui accepte de ne pas poser trop de questions. Il est impossible en tout cas qu'un directeur sportif ignore ce qui se passe dans son écurie.
Le cyclisme a été durablement impacté par les affaires de dopage. Aujourd'hui, même si le grand public peut encore associer cyclisme et dopage, c'est bien moins vrai. Il demeure certes des affaires de dopage, mais leur nombre a nettement diminué. Nous nous trouvons donc à la sortie du tunnel, tandis que d'autres sports ne font qu'y entrer et risquent d'y rester pour un certain temps.
De notre côté, nous nous réjouissons de toute mise en oeuvre de nouvelles mesures de lutte contre le dopage. D'importantes avancées internationales ont été constatées, avec notamment la création de l'Agence mondiale antidopage, du CPLD en France puis de l'AFLD. En m'autorisant une comparaison un peu simpliste, je dirais qu'il existe un radar et une patrouille qui arrête les contrevenants. Dans certains sports, il ne se trouve que des radars, sans patrouille, et dans d'autres il ne se trouve ni radar ni patrouille. Sur le plan statistique, tout va bien, alors que l'état de leur sport est sensiblement plus dégradé que le nôtre. Notez d'ailleurs que le cyclisme est le seul sport qui joue le jeu de la localisation des athlètes, qui était nécessaire pour la crédibilité de notre sport. Je souscris donc tout à fait à l'obligation de localisation de l'ensemble des athlètes, même si c'est difficile, et même si ces athlètes peuvent se sentir surveillés, écoutés et observés. La crédibilité de notre sport en dépend, et je pense que certains sports collectifs devraient suivre cette même voie.
Nous avons vécu dans notre sport des périodes difficiles. La crédibilité des résultats du cyclisme entre 1996 et les environs de 2005 a été sérieusement altérée. D'ailleurs, je n'accorde pas de crédit aux résultats enregistrés dans cette période. Entre 1996 et 2010, un seul des quinze vainqueurs du Tour de France n'a pas été impliqué dans un scandale, et ce n'était pas celui à la réputation la plus irréprochable, en particulier quand on connaît son surnom en Espagne.
Depuis quelques années, on revoit du vrai vélo. D'ailleurs les coureurs roulent moins vite. Ils prennent le départ d'une course avec l'ambition de gagner, alors qu'auparavant les coureurs savaient qu'ils allaient forcément se faire battre par des coureurs dopés. On constate aussi de vraies défaillances physiques parmi les coureurs. Nous sommes très clairement sur la bonne voie. Il n'y a néanmoins pas de victoire définitive contre le dopage. Il faut lutter sans cesse et tous les jours.
Nous souffrons par ailleurs de la présence de certains manageurs, qui sont aujourd'hui des propriétaires d'équipes. Ce sont les personnes que nous voudrions ne plus voir dans le cyclisme. J'aurai peut-être des propositions à vous faire les concernant.
Notre sport affiche une réelle volonté de s'en sortir, à la différence du football, par exemple. Aucun contrôle sanguin n'a par exemple été conduit lors de la dernière Coupe du Monde de football, sous prétexte que c'était trop compliqué et trop cher. Il apparaît manifestement une différence d'approche entre les sports.
Le travail de la fédération a été exemplaire et sans relâche. Moi-même et mes prédécesseurs avant moi, que ce soit le président Baal, le président Alaphilippe, le président Pitallier, nous avons eu de cesse de lutter contre le dopage et de mettre en place de nouvelles mesures. J'en suis à mon cinquième mandat au sein de la fédération. J'ai été élu relativement tôt. Je me souviens, en 1996, quand Daniel Baal, à l'époque président de la fédération française de cyclisme, Roger Legeay, président de la ligue nationale de cyclisme et Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour de France, avaient lancé un appel solennel à l'aide au président du Comité international olympique (CIO) et à la ministre Marie-George Buffet. Nous demandions de l'aide, car notre sport partait dans des errements qu'il nous fallait à tout prix corriger.
C'était l'appel de 1996. Nous y avons répondu en 1998 à la fédération en mettant en place ce qui sous-tend aujourd'hui la loi française : le suivi médical longitudinal contrôlé, qui est devenu le suivi médical réglementaire. Il a été voté par le comité directeur de la fédération une semaine avant l'affaire Festina. On a souvent dit que la fédération n'avait pris des mesures qu'après l'affaire Festina, mais c'est incorrect. Le cyclisme a alors fait sa révolution culturelle et le suivi médical réglementaire a ensuite été inscrit dans la loi. Les fédérations sportives ont maintenant obligation de mettre en place un suivi médical réglementaire pour les athlètes de haut niveau et les athlètes en liste espoir, ce qui signifie que nous étendons aussi les contrôles aux espoirs. Au final, il nous faut suivre 1 200 athlètes, ce qui représente un travail important pour la fédération, qui bénéficie du soutien du ministère.
J'ai souvenir en 1998 d'un président de la fédération, Daniel Baal, dont on connaît l'intransigeance dans la lutte contre le dopage, qui a été mis en examen dans une affaire, avant de bénéficier d'un des non-lieux les plus rapides de l'histoire. La position de la justice nous concernant a depuis lors bien évolué. Nous nous portons partie civile dans toutes les affaires de dopage. Par le passé, notre constitution de partie civile était difficilement recevable. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Nos efforts sont reconnus et notre démarche ne rencontre pas de difficultés. Nous pensons que c'est nécessaire de nous porter partie civile dans toute affaire de dopage. J'étais par exemple présent en Guadeloupe la semaine dernière, où des peines de prison ont été demandées vis-à-vis de neuf prévenus.
Nous engageons également des actions de prévention auprès des jeunes, en expliquant les dangers et la manière d'éviter les écueils du dopage. Paradoxalement, nous rencontrons finalement moins de problèmes avec les professionnels qu'avec le meilleur niveau du cyclisme français amateur, car la surveillance y est moins resserrée.
Je suis président de la fédération européenne depuis mars. Un comité directeur de l'Union européenne se réunira la semaine prochaine. Nous tâcherons d'y dupliquer ce système au niveau européen, en espérant que ce soit aussi possible au niveau mondial.
Il est à souhaiter que tous les sports en fassent autant que nous, mais il faut reconnaître que certains n'engagent guère de mesures.
Il convient de renforcer l'action collective et les échanges entre les acteurs : Agence française de lutte contre le dopage, autorités de police et de gendarmerie (en particulier l'OCLAESP qui est compétent en la matière), les autorités judiciaires, les fédérations nationales et internationales et l'Agence mondiale antidopage. Les cloisonnements et interdictions d'échanger sont sans doute trop nombreux, ce qui est préjudiciable. Il nous est interdit de partager certaines informations. Il faudrait pourtant que nous puissions échanger entre nous, car nous pouvons contribuer ensemble à l'amélioration de la situation, notamment avec l`Agence française de lutte contre le dopage, dont le travail est très satisfaisant. Ses moyens devraient d'ailleurs être encore accrus. Cette action de lutte nécessite des fonds et des besoins.
Je pense en outre que les conditions d'exercice des professions de manageur ou de directeur sportif devraient être plus règlementées, en particulier au niveau international. Il semble nécessaire de demander l'obtention d'une licence ad hoc, en apportant des preuves de probité. Une personne condamnée pour des affaires de dopage ne devrait plus pouvoir exercer cette profession, tout comme une personne ne peut plus exercer dans la fonction publique d'État ou territoriale dès lors que son casier judiciaire n'est plus vierge. Certains directeurs techniques seraient ainsi écartés.
Il faut renforcer les sanctions. Une interdiction de deux ans semble courte en cas de prise volontaire d'EPO. Je préconise plutôt une durée de quatre ans, avant une interdiction à vie en cas de récidive.
Il faut également sanctionner financièrement les contrevenants. L'athlète tire en effet profit de son dopage. Il faut frapper ceux qui trichent au porte-monnaie, à hauteur du préjudice qu'ils causent. Quand un athlète gagne 6 à 8 millions d'euros par an en s'étant dopé, il doit être sanctionné à de tels montants.
Il faut aussi que l'athlète arrivé deuxième, et qui a été lésé, attaque le premier, qui s'est dopé. Quand ce sera possible, la situation évoluera grandement.
Je suis favorable à la pénalisation de l'usage de produits dopants en vue de modifier ses performances et donc d'organiser une tricherie sportive. En revanche, le pénal n'est peut-être pas la réponse adaptée si un athlète utilise un produit dopant sans intention de se doper ou parce qu'il se soigne et a oublié de le déclarer.
Il faut aussi décloisonner le suivi médical réglementaire et la lutte contre le dopage. Le suivi médical réglementaire se rapproche en un sens de la médecine du travail, alors que l'antidopage s'inscrit dans le champ de la sanction. Comme l'analyse du passeport biologique et l'antidopage se rejoignent sur certains points, une mutualisation des coûts est possible. Elle favoriserait en outre les relations entre les instances.
Je suis favorable à l'interdiction des corticoïdes, hormis bien évidemment en cas de prescription médicale. Dans ce cas, leur usage doit être associé à un arrêt de travail de dix ou quinze jours. Il apparaît sur ce point une réelle différence de méthodologie entre les Anglo-Saxons et les autres participants. En tout cas, comme les corticoïdes améliorent les performances, il faut les bannir.
Enfin, je prône la localisation de tous les athlètes, pas seulement pour notre sport. Pour autant, son existence dans le cyclisme ne doit en aucun cas constituer une circonstance atténuante, même si la situation s'est déjà quelque peu améliorée.