Monsieur Berthou, je comprends tout à fait vos interrogations. D’ailleurs, j’ai rappelé tout à l’heure, en ce qui concerne la parité, que ce système peut être contourné dans les départements élisant trois ou quatre sénateurs par les moyens que vous venez d’évoquer, notamment la multiplication des listes.
Néanmoins, j’ai envie de vous faire partager mon sentiment, enrichi par l’expérience.
La parité dans les conseils municipaux va concerner les communes de plus de 1 000 habitants, comme le Parlement en a décidé. Aussi, mécaniquement, il y aura plus de femmes grandes électrices, que ce n’était le cas jusqu’à présent.
Par ailleurs, la parité applicable au scrutin cantonal favorisera l’émergence d’hommes et de femmes ancrés dans des territoires. Même s’ils ont des étiquettes politiques, ce seront avant tout des élus de terrain, pour beaucoup nouveaux ou nouvelles. En tout cas, cela permettra aussi de changer ce que vous appelez les mœurs politiques, que je n’ignore pas.
Faisons donc le pari de l’intelligence et des évolutions.
Vous le savez, les partis concourent à notre vie démocratique. En même temps, il faut que des personnalités ayant un ancrage représentent les citoyens, tout comme les territoires.
Au sein de votre assemblée, il y a des exemples parlants. Tout à l’heure, une sénatrice de votre groupe, Mme Herviaux, a fait part de son expérience ; il a été aussi question à plusieurs reprises de celle du président Sueur. Tous deux ont été élus sous les deux modes de scrutin.
Mme Herviaux a été élue la première fois tête de liste à la proportionnelle, puis la deuxième fois au scrutin majoritaire. Était-elle prisonnière de son parti ou déconnectée de la réalité des élus de terrain ? Non !
Je vais prendre un autre exemple. Comme vous le savez, je suis un élu de l’Essonne. Michel Berson, qui siège dans cette assemblée, s’y est présenté contre sa formation politique et a été élu. Son ancrage d’ancien président de conseil général y a sans doute contribué, mais il a quand même réussi à se faire élire dans un département de la région parisienne désignant cinq sénateurs, très urbain, même s’il y a aussi une partie rurale, très politisé – Jean-Luc Mélenchon avait sans doute beaucoup bénéficié de l’appui des forces politiques pour être élu au Sénat –, notamment à cause de ces grands électeurs qu’on ajoute et qui sont a priori des militants politiques. Et ce n’est pas un cas isolé.
Je comprends vos préventions, mais, dans les départements à trois sénateurs – la question ne se pose pas pour les départements élisant quatre, cinq sénateurs ou plus, qui se voyaient déjà appliquer le scrutin proportionnel, ou pour ceux qui ont moins de trois sénateurs, qui resteront élus au scrutin majoritaire –, est-ce que l’application de la proportionnelle va donner la main aux formations politiques ? Pas plus, pas moins qu’avant !
À cet égard, un membre de l’opposition a pris tout à l’heure l’exemple du Loiret, où il y a à la fois des villes importantes et des zones rurales étendues. Les grands électeurs des territoires ruraux seront toujours là, avec la représentativité que vous connaissez. Choisiront-ils en fonction des étiquettes politiques ou des qualités propres des hommes et des femmes se présentant à leurs suffrages ? Il y aura un peu des deux, mais c’est déjà le cas avec le scrutin majoritaire : il y a parfois des personnalités, mais un lien avec une formation politique peut aider dans certains départements, quel que soit le groupe politique considéré.
Selon moi, la nouvelle règle ne changera ni l’ancrage ni la réalité du parcours, de l’expérience, des liens qu’un élu ou une personnalité doit avoir pour se présenter aux suffrages des grands électeurs, c’est-à-dire de conseillers municipaux.
Oui, la parité et la place des femmes dans la vie politique gagneront encore un peu plus de terrain. Non, le scrutin proportionnel ne remet pas en cause la représentativité des sénateurs puisque, de toute façon, l’intervention, dans le processus, des grands électeurs, lesquels sont des élus de terrain, sera toujours un gage de légitimité.
Telles sont les réponses que je voulais vous apporter, le plus sincèrement possible, monsieur le sénateur. Elles sont le fruit de mon expérience qui est, certes, moindre que la vôtre, mais qui commence malheureusement à avoir quelques années. §