Intervention de Michel Billout

Réunion du 19 juin 2013 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 27 et 28 juin 2013

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen des 27 et 28 juin prochain est partout annoncé comme crucial, comme nombre de Conseils européens. Les deux principaux sujets dont discuteront les chefs d’État et de gouvernement sont en effet d’une grande importance et sont déterminants pour l’avenir de l’Europe. À l’évidence, son avenir se joue en grande partie à travers un type de gouvernance économique qui permette d’assurer la croissance, d’encourager la compétitivité économique, de lutter contre le chômage et de développer les emplois. Mais il dépend tout autant du mandat donné ces jours-ci à la Commission européenne pour négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis. Je reviendrai ultérieurement sur ce sujet.

Les décisions qui seront prises au cours du prochain sommet permettront-elles, enfin, de mettre un terme à l’ampleur de la crise financière et économique que traverse l’Union européenne depuis plusieurs années ? On peut malheureusement en douter. Comme l’a exprimé une récente résolution du Parlement européen, une lassitude générale naît de ces réunions à répétition qui ne sont pas suivies d’applications précises et rapides.

Surtout, sur le fond, j’estime que les solutions qui seront proposées par le Président de la République, en particulier, puisque c’est l’objet du débat de ce soir, ne sont pas les bonnes et ne correspondent pas à la gravité de la situation. Il y a pourtant urgence. Au sein même de la majorité qui soutient le Gouvernement des voix se sont élevées pour demander au Président de la République de saisir enfin l’occasion de ce prochain Conseil européen pour tenir les engagements pris devant les Français, c’est-à-dire, très clairement, pour refuser de continuer à mettre partout en œuvre des politiques d’austérité et pour faire jouer tout le poids de la France, avec l’appui d’autres pays, afin d’obtenir une véritable réorientation économique et politique de l’Union européenne.

L’idée était bonne. Je regrette, hélas ! que cette juste contestation n’ait pas réussi à se faire entendre jusqu’au bout. En fin de semaine dernière, les différents protagonistes sont rapidement rentrés dans le rang. Ils se sont aperçus qu’il paraissait peu crédible, et peu cohérent, que le chef de l’État prétende réclamer à Bruxelles une réorientation de la politique européenne alors qu’à Paris le parti socialiste se déchirait sur ce sujet. Nos collègues de l’UMP devraient donc se sentir rassurés !

Les 27 et 28 juin prochain, le Président de la République, au nom d’une vision commune de l’Europe avec la Chancelière allemande, proposera donc la constitution d’un gouvernement économique de la zone euro qui coordonnerait les politiques économiques et sociales, une union politique européenne devant parachever l’ensemble dans les deux ans à venir.

Je le répète, ce type de proposition me semble aller à l’encontre des objectifs que François Hollande prétend atteindre au nom de la France. Cela n’aboutira qu’à renforcer les politiques d’austérité partout à l’œuvre en Europe et à aggraver les crises sociales et politiques dans nos pays.

Il faudrait en outre préciser les choses afin de lever de nombreuses ambiguïtés. S’agit-il d’un simple renforcement de l’actuel Eurogroupe ? Pourtant, il réunit tous les mois les ministres des finances qui y défendent la position de leur gouvernement, et il est déjà placé sous la responsabilité du président Van Rompuy. Mais surtout quelle politique différente ce gouvernement économique mettrait-il en œuvre ?

Le Président de la République a assuré que celle-ci serait rendue possible grâce à « l’harmonisation fiscale » et à une « convergence vers le haut des politiques sociales ». Sur ces deux points, les intentions sont louables, mais peu crédibles tant que ne seront pas directement remis en cause les dogmes libéraux de l’économie de marché. De quelle harmonisation fiscale, notamment concernant les impôts sur les sociétés, s’agit-il ?

Le commissaire européen à la fiscalité vient encore de réaffirmer, devant le Parlement irlandais, qu’il n’était pas question d’empêcher une saine compétition fiscale entre les pays. Quant aux gouvernements qui y seraient favorables, ils conçoivent cette harmonisation vers le bas.

Dans de telles conditions, si le Président de la République n’affirme pas nettement une autre conception de l’harmonisation fiscale, dans les faits, il devra se plier à leurs vues. Cela aura automatiquement et concrètement pour effet de diminuer encore les rentrées d’argent public et d’augmenter les déficits. Tout le contraire de la politique de croissance que nous prétendons faire accepter à nos partenaires.

Quand allons-nous enfin intervenir avec force contre le « dumping » fiscal ?

La convergence sociale vers le haut ? C’est effectivement une condition impérative pour que la croissance et le développement économique se réalisent au bénéfice des salariés et des citoyens de nos pays. Mais, alors, comment croire à cette exigence et comment la concilier avec l’exaltation de la seule compétitivité des entreprises en faveur de laquelle le Gouvernement a récemment adapté notre législation sociale en réduisant la protection et, à terme, les rémunérations des salariés ?

Concernant l’union politique de l’Europe à réaliser dans les deux ans, de quoi est-il question ?

Il existe déjà un projet très précis d’union politique : celui de la Chancelière allemande. Elle demande plus de contrôle communautaire sur les pays membres, un transfert de souveraineté majeur et l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel. Il s’agit en fait d’avoir les mains libres pendant cinq ans pour mener à bien la politique européenne actuelle, celle-là même qui a conduit à une défection massive des citoyens dans toute l’Union européenne.

Est-ce dans cet engrenage que nous allons progressivement nous engager les 27 et 28 juin ? Je crains que tel ne soit le cas si des mesures fortes ne sont pas proposées pour réorienter profondément l’Europe. Il serait ainsi nécessaire de se donner des objectifs concrets de négociation avec nos partenaires. J’évoque, dans les grandes lignes, ceux qui me paraissent essentiels.

Premièrement, il faudrait créer une banque centrale dépendante des pouvoirs politiques, prêtant aux États et pratiquant une politique monétaire en faveur d’une relance économiquement, socialement et écologiquement soutenable, à l’inverse d’une BCE, indépendante des pouvoirs politiques, mais très sensible aux intérêts de la grande finance quand elle vient dernièrement contribuer, par la voix de Benoît Cœuré, son vice-président, à l’enterrement de la taxe sur les transactions financières.

Deuxièmement, il faudrait mettre en œuvre le principe de non-régression sociale, ce qui garantirait aux Européens que le droit national primera sur les directives tant que celui-ci leur sera plus avantageux.

Troisièmement, il faudrait mettre un terme à l’ouverture obligatoire des marchés à la concurrence, à commencer par l’énergie et les transports, et créer une forme de protectionnisme solidaire fondé sur des critères sociaux et écologiques.

Je vous fais part de mes interrogations, monsieur le ministre : le Président de la République a-t-il la volonté politique de convaincre nos partenaires, les Allemands en premier lieu, d’aller dans ce sens ?

À la veille de ce sommet, je ne veux pas lui faire de procès d’intention, mais je constate simplement le décalage entre les objectifs affichés et les moyens qu’il se donne pour les atteindre. Je déplore également l’ambiguïté de certaines de ses déclarations, qui hésitent entre deux options : à Leipzig, rendre hommage à la politique de Gerhard Schröder, au sérieux à l’allemande et à la rigueur budgétaire ; à Tokyo, s’en affranchir et célébrer la croissance par l’endettement.

Enfin, concernant le mandat qui a été donné par les Vingt-sept, vendredi, à la Commission européenne pour négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis, il devrait être avalisé lors du Conseil européen.

Si nous pouvons nous féliciter d’avoir obtenu, grâce à la pugnacité du Gouvernement, que je reconnais bien volontiers, l’exclusion de l’audiovisuel du mandat donné à la Commission européenne, il nous faut rester extrêmement vigilants concernant le contenu de l’accord. En effet, la profonde nocivité de cet accord de totale ouverture des frontières européennes aux importations américaines demeure. Aucun secteur ne serait épargné : les entreprises, les services publics, l’agriculture, qui est plus que jamais soumise à « l’agrobusiness », mais aussi les industries de défense, indispensables à notre autonomie stratégique. C’est pourquoi le quotidien Libération titrait aujourd’hui : « Exception culturelle, l’art qui cache la forêt. »

Souhaitons là encore que le Président de la République ait prochainement le courage politique de tenir compte des résolutions parlementaires, qui suggèrent de tenir hors du mandat de négociation les préférences collectives en matière de protection sociale ou environnementale, les industries de défense ou bien encore l’arbitrage des conflits entre États et investisseurs.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les appréciations dont je souhaitais vous faire part, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, à quelques jours de la réunion du Conseil européen.

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