Le Conseil supérieur de la magistrature me tient à coeur : j'en ai été secrétaire avant la réforme de 1993, membre élu de 2002 à 2006, dans sa composition issue de la réforme de 1993 ; je le préside dans sa composition issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 22 juillet 2010, et entrée en fonction le 3 février 2011. Je ne vois pas de grandes différences dans les décisions rendues, que le Conseil soit composé majoritairement de magistrats, de personnalités extérieures ou paritaire - cette dernière formule ayant reçu l'agrément le plus large, même si aucune ne fait l'unanimité. Importante sur le plan symbolique, la question n'a guère d'impact sur notre fonctionnement pratique. Les organisations syndicales qui plaident pour une prédominance de magistrats oublient que le Conseil consultatif de juges européens parle d'une majorité de juges. Or le CSM comprend des magistrats du parquet, qui ne sont pas des juges... Contrairement au projet initial, le système actuel prémunit le Conseil contre toute accusation de corporatisme. J'approuve l'idée d'une parité entre magistrats et non-magistrats.
Le projet ne modifie pas sensiblement les pouvoirs du CSM. Certes, on aligne le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, mais au nom de l'unité du corps, on conserve, sans le dire, deux conseils qui n'ont ni la même logique, ni la même pratique, ce qui me choque. Cette fiction d'un conseil unique, composé en réalité de deux formations distinctes n'a pas d'équivalent en Europe : certains, comme le Portugal, possèdent un conseil spécifique au parquet, d'autres ont un conseil unique. Autre problème, la parité, en formation plénière, entre magistrats du parquet et magistrats du siège, n'est pas représentative du corps judiciaire qui compte deux fois plus de juges que de parquetiers... Mais les organisations syndicales sont attachées à l'unité du corps judiciaire, et la Chancellerie refuse un conseil unique, arguant que les magistrats du parquet ne peuvent être nommés par les juges. L'avis conforme du CSM sur les nominations de magistrats du parquet ne fait que consacrer la pratique déjà respectée par Michel Mercier, alors garde des sceaux, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce n'est donc pas un changement fondamental.
La réforme aurait pu être l'occasion de renforcer les pouvoirs du Conseil dans la gestion des carrières des juges. Celle-ci dépend de deux organes aux logiques différentes : le ministère de la justice, qui gère 8 000 magistrats, et le CSM, chargé des nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents de cour d'appel et des présidents de tribunal de grande instance, soit 400 à 500 personnes. Confier au CSM la gestion des carrières des magistrats du siège n'entraînerait qu'un faible transfert de personnel, et améliorerait considérablement la cohérence.
Nous vivons en cohabitation, mais avec un souci de coordination. J'ai ainsi oeuvré pour réduire les délais de remplacement. Prochainement, le Conseil va statuer sur le sort de cinq ou six présidents de TGI : il lui faudra s'assurer qu'il va émettre un avis conforme sur les propositions de nomination émanant du ministre - la transparence - et pourvoir aux remplacements, ce qui suppose sélection et auditions. Il faut également améliorer le tuilage lors des remplacements : dans mes postes de chef de juridiction, je n'ai jamais vu mon prédécesseur, toujours parti plusieurs mois avant ma nomination. La Chancellerie ne peut s'engager, par exemple, à nommer à tel poste dans trois ans, sachant que le Conseil, qui donne son avis, risque d'avoir changé d'ici là. De même, le Conseil ne peut s'engager que dans la limite des quatre ans que dure son mandat. Tout cela mérite plus ample réflexion, pour mieux articuler les choses.
Autre renforcement des pouvoirs du Conseil : la possibilité pour les magistrats de le saisir, et pour le CSM de s'autosaisir. La précédente réforme excluait tout avis sans saisine par le Président de la République ou le ministre, cependant le Conseil ne s'est pas interdit de publier des communiqués. Prévoir cette possibilité dans le texte n'est donc pas un changement fondamental, même s'il est apprécié par les membres du Conseil actuel.