Intervention de Vincent Lamanda

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 juin 2013 : 1ère réunion
Réforme du conseil supérieur de la magistrature et attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique — Audition de M. Vincent Lamanda premier président de la cour de cassation

Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation :

Nous avons des greffiers... Si les procureurs veulent devenir juges, qu'ils passent au siège... On ne peut prétendre avoir tous les avantages des juges et aucune des contraintes. Si j'ai adoré être au parquet, c'est au siège que j'ai trouvé pleinement ce que j'attendais de la magistrature. Pour avoir exercé les trois fonctions, je trouve plus difficile de préparer un réquisitoire qu'une note au garde des sceaux ou au président de la République, et plus difficile encore de rédiger une décision motivée.

J'ai répondu sur la question des moyens. Je suis attaché à ce que les membres du Conseil travaillent d'eux-mêmes, même si le rapporteur peut, bien sûr, demander une aide au secrétariat général. C'est ainsi que l'on arrive à de larges consensus et que le Conseil assoit son autorité. Pour le reste, je ne souhaite qu'un petit corps d'inspecteurs, et une petite commission pour aider à régler les problèmes déontologiques.

Les plaintes des justiciables donnent lieu soit à des poursuites disciplinaires, soit à classement sans possibilité de procéder à une enquête. Or parfois, bien que la poursuite disciplinaire ne se justifie pas, le comportement dénoncé choque. Beaucoup de plaintes concernent des couples magistrat-magistrat, magistrat-policier ou magistrat-avocat ; or, quand les couples ne sont pas mariés, il n'y a pas d'incompatibilité. Nous ne pouvons guère faire plus que d'encourager les mutations. Sur une douzaine d'enquêtes, deux seulement ont donné lieu à poursuites disciplinaires. Cela ne signifie pas qu'il n'aurait pas fallu suivre les autres. Une commission, à la marge du Conseil mais sous son égide, aurait pu y pourvoir.

Le projet de loi a sorti du Conseil le premier président de la Cour de cassation et le procureur général mais les maintient, par exception, à la présidence des formations disciplinaires. Le même secrétariat obéira à trois présidents, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Autre incongruité, le premier président et le procureur général seraient membres du collège de nomination. Mais peut-on être membre d'une institution et siéger dans le collège qui nomme une partie des membres de celle-ci ? Ce qui vaut ici pour le premier président de la Cour de cassation vaut encore plus pour le vice-président du Conseil d'Etat. Présidant le collège, il désigne en outre un membre à travers l'assemblée générale, qu'il préside. Et le Conseil d'Etat connaît en cassation de tous les pourvois contre nos décisions en matière disciplinaire. Non content d'en casser certaines pour montrer sa prééminence, il vient, pour la première fois, de nous demander la motivation d'un avis non conforme. Celui qui peut censurer les décisions de nomination, les décisions disciplinaires, qui nomme un membre, va-t-il nommer les autres ?

La réserve énoncée par le Conseil constitutionnel lors de la dernière réforme ne s'applique qu'à la Cour de cassation.

Je comprends toutefois que le soupçon de politisation est levé par l'intervention de ce collège. Je vous ai fait part de mes réticences, y compris d'ordre constitutionnel. Si la nomination des membres communs par un collège extérieur apparaît plus neutre, la règle de l'avis positif à la majorité des trois cinquièmes a conduit en Espagne à un blocage de l'institution : faute de consensus, aucune nomination n'a pu intervenir pendant longtemps. D'un côté, l'on ne peut nommer que des personnalités de valeur, de l'autre, l'exemple espagnol suggère que des blocages ne sont pas exclus. Or le travail du Conseil s'apparente à une course de fond ; s'il ne se mettait pas à jour semaine après semaine, il accumulerait vite un gros retard.

Je suis partagé. La solution me semble résider dans la sagesse de la désignation. Dans le système actuel, les propositions très équilibrées du Président de la République, de ceux de l'Assemblée nationale et du Sénat, ont évité l'opposition entre des membres extérieurs trop politiques et les magistrats. L'obligation, prévue par la loi organique, d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes a d'ailleurs été extrêmement bénéfique. Les membres communs sont très présents, bien qu'ils n'aient pas la disponibilité de syndicalistes bénéficiant d'une décharge de service : chacun joue son rôle.

Le dispositif peut être encore amélioré. Le Sénat, au rôle duquel nous sommes toujours très sensibles, le fera avec sa sagesse et sa connaissance du monde judiciaire.

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