Merci pour votre accueil. Je dois tenter de dessiner le chemin d'arrivée du débat dans deux jours, lors de l'antépénultième réunion du conseil national de la transition énergétique : je ne puis donc tout vous dire aujourd'hui. Nous ferons le 8 juillet la synthèse entre les conclusions des débats territoriaux et l'état des lieux que nous aurons tracé. Le comité de pilotage est convaincu, comme l'est Mme Batho, que le débat territorial enrichira le débat national et lui apportera énergie et conviction. Nous rendrons notre copie le 18 juillet. Il s'agit donc du début de la dernière ligne droite.
Modérer ce long débat a été une lourde tâche, fatigante parfois. Nous avons ouvert des débats dans chaque collège - du Medef aux organisations syndicales - et nous devons faire en sorte qu'ils ne se referment pas, en les confiant par exemple à une institution. Nous n'avons pas cherché en priorité des consensus - ce n'était pas le souhait de la ministre, ni celui du comité de pilotage, ni le mien - mais plutôt des compromis sur les points essentiels, tout en identifiant les points litigieux, qui portent non sur la trajectoire dans les quinze prochaines années mais son adaptation ultérieure. Il s'agit soit de paris technologiques, soit de controverses sur l'efficacité des politiques de maîtrise de la demande.
Notre feuille de route a été très clairement tracée par le Président de la République lors de la conférence environnementale : objectif de 50 % d'électricité d'origine nucléaire, respect des objectifs français et européens du paquet 2020, et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le chiffrage des objectifs pour 2050 a donné lieu à des débats passionnés : tant mieux ! Pour tenir notre engagement de réduire de 80 % nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, il nous faut réduire notre demande d'énergie : la substitution d'un type énergie à l'autre ne suffira pas, car nous ne connaissons pas de source abondante d'énergie décarbonnée. Réduire l'enveloppe globale de consommation est donc indispensable. Chacun a pu se plonger dans les détails techniques de ces scénarios - car il faut comprendre la logique des systèmes énergétiques - ce qui est une bonne chose, même si nous n'avons pas atteint le grand public ; mais le Parlement devra à son tour s'y intéresser. L'examen de ces scénarios montre que, s'ils finissent par diverger, ils sont à peu près concordants en ce qui concerne les quinze prochaines années : aussi surprenant que cela puisse paraître, les experts de RTE, de l'Union française de l'électricité, des organisations environnementales, d'EDF, de GRDF, de l'Ademe, ont tous la même vision du mix énergétique - sauf à prôner une sortie rapide du nucléaire.
Nous savons donc ce qu'il faut faire : rénover quatre ou cinq cent mille logements par an, installer des éoliennes, des panneaux solaires, développer l'utilisation de la biomasse en mobilisant les énergies réparties... Il y a deux piliers de l'appareil énergétique français : le réseau électrique, très lié à la production nucléaire qui l'alimente à hauteur de 75 %, mais qui n'est pas saturé, et le réseau de gaz, qui est dense et bien construit, mais sous-utilisé, et qu'il conviendra, par exemple, d'alimenter en biogaz. La technologie de l'offre peut donc faire l'objet d'un compromis pour les quinze prochaines années, à condition de l'assortir d'une action forte de maîtrise de la demande énergétique. Ce sera l'heure de vérité de ce débat, car une telle maîtrise n'a jamais pu être mise en place.
L'objectif de rénovation du bâti est ambitieux, mais il est nécessaire si nous voulons réduire notre dépendance aux énergies fossiles importées. Il ne s'agit pas d'une fantaisie française : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark se sont fixé des buts comparables. Le parc immobilier a en effet été bâti sans souci particulier d'efficacité énergétique. Cela stimulera l'activité des industries de services énergétiques, des entreprises de matériaux, comme Saint-Gobain, ou de celles qui font de l'intelligence énergétique. Les PME auront une place centrale dans ce chantier, et nous devrons les mobiliser en leur donnant accès au crédit. Elles ont d'ailleurs exprimé cette inquiétude dans le débat sur l'obligation de travaux.
Même si certaines voix discordantes se font encore entendre, l'idée qu'un mix énergétique diversifié est nécessaire a progressé : nul ne plaide aujourd'hui pour le tout-nucléaire. Même les plus favorables au nucléaire reconnaissent l'utilité des sources d'énergie renouvelables - reste à définir la meilleure politique en la matière.
La gouvernance du système énergétique est un sujet qui paraissait tabou au début ; il a été confié à un groupe de travail, dont Ronan Dantec a été l'un des rapporteurs. Notre système doit conserver ses atouts tout en faisant place à la décentralisation et à l'autonomie qu'implique l'utilisation des énergies réparties. D'ailleurs, les collectivités sont, au moins autant que l'État, des leviers de la maîtrise de la demande, notamment en matière d'aménagement, d'urbanisme, de transport ou encore de mobilisation des PME. L'État met en place des incitations et un financement, mais en définitive la mise en cohérence de l'offre et de la demande dépend de la capacité des collectivités locales à innover en la matière. Les débats régionaux ont montré qu'elles le font déjà, quelle que soit leur taille, à travers de nombreuses expérimentations auxquelles il ne manque que quelques adaptations réglementaires ou législatives pour être pérennisées. La réflexion sur la gouvernance est sans doute le résultat le plus innovant de ce débat, à un moment délicat, qui voit la fin des concessions sur les réseaux d'électricité et une évolution du mix énergétique impliquant désormais les ressources locales - gestion des déchets, biogaz, réseaux de chaleur utilisant tout ce qui est chaleur fatale, grâce à des innovations industrielles. Les collectivités locales ont donc un rôle à jouer pour mettre en oeuvre un système énergétique plus sobre, plus efficace et plus moderne.
La précarité énergétique concernerait quatre à huit millions de Français. Faut-il agir par des tarifs ou par des subventions ? La question a été maintes fois débattue. Il semble que cette question doive être traitée sur le long terme : il s'agit de mettre les personnes précaires en situation de reconstruire une résilience, car la course-poursuite à travers les tarifs sociaux ne réglera jamais la question. Les associations de précaires ont montré que ce ne sont plus seulement les très pauvres qui n'arrivent plus à payer : les prix de l'énergie augmentent, et l'habitat est encore loin d'être énergétiquement efficace.
Sur quoi ferons-nous des compromis ? Nous nous inscrivons dans la feuille de route fixée par le gouvernement. Nous avons un débat sur le niveau souhaitable de sobriété énergétique pour la société française. Voulons-nous réduire le niveau de consommation de 50 % d'ici à 2050, comme l'ont répété les medias ? C'est un scenario médian, comparable à ceux retenus par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède, le Danemark, qui se sont lancés aussi dans la transition énergétique. Nous n'aurons pas de consensus : le gouvernement devra décider. J'espère construire un consensus sur la stratégie à adopter pour les quinze prochaines années, quel que soit l'objectif final retenu.
Personne, au cours du débat, n'a imaginé une France désindustrialisée. Nous prenons pour hypothèse un taux de croissance supérieur à 1,5 % et une structure industrielle comparable à celle que nous connaissons. Pourtant, la structure économique de la France évoluera. Par exemple, si l'on extrapole l'évolution des surfaces commerciales enregistrée depuis 2004, elles recouvriront tout le pays en 2050 ! Or, il y aura sans doute une décrue de ces équipements, dont l'impact sur la distribution des déplacements est considérable. Il manque un travail sur ces scenarios d'évolution. Autre exemple : le nombre de kilomètres parcourus chaque année décroît. Est-ce une tendance stable, qui reflète l'instauration de réflexes de sobriété énergétique dans la société ? Il nous faut donc un outil national robuste, susceptible d'évaluer l'efficacité des politiques publiques et, le cas échéant, de les revoir, à intervalles réguliers. De nombreux paris technologiques, comme l'hydrolien, ou la capture et le stockage du carbone, imposent une telle clause de revoyure pour être évalués. Malheureusement, nous n'avons plus de Commissariat au plan pour donner un cadre. Cette institution rassemblait les acteurs pour construire une vision partagée des grands équilibres quantitatifs. En son absence, chacun apporte sa propre vision. Il faut un outil collectif pour tester les hypothèses, et réviser périodiquement les politiques. Certains économistes annoncent que les prix de l'énergie fossile vont baisser. D'autres disent que le gaz de schiste américain dégagera une rente sans faire baisser les prix, et que l'Opep continuera à maintenir le prix du baril autour de cent dollars. Face à une telle incertitude, le mieux est de prévoir une réévaluation périodique des politiques. Nous n'allons pas rénover tout le bâti en trois ans : il faut commencer fort, et réajuster le rythme ensuite.
Nous n'allons pas donner au gouvernement d'indications spécifiques sur les prix et les tarifs. La sobriété énergétique exige bien sûr un relèvement progressif des tarifs de l'énergie - sauf pour les industries électro-intensives, qui doivent être protégées de la concurrence internationale - assorti d'une maîtrise de la demande, pour éviter un effet dépressif, d'autant plus fort que la France importe pour 70 milliards d'euros d'énergie fossile. La programmation des investissements, en revanche, fera l'objet de propositions. Nous devons réinstaurer dans les contrats de plan État-région une programmation de l'investissement pour la transition énergétique, afin de construire la cohérence des plans d'urbanisme, de transport, de déplacement et de développement du système énergétique local. Quelles ressources l'État peut-il mobiliser ? L'épargne des Français n'est pas bien dirigée vers la transition énergétique. La Banque publique d'investissement (BPI) doit être impliquée également, et l'appui de la Banque européenne d'investissement (BEI) peut réduire le coût des emprunts des grandes collectivités. Le recouvrement des coûts pose la question des tarifs, et des signaux-prix. Nous signalerons la nécessité de faire référence à un prix du carbone, même si cela peut être difficile en dehors d'une réforme fiscale globale. Je ne crois pas que nous arriverons à un consensus sur cette question.
Le secteur des transports fait sa révolution, à la fois sur les véhicules et sur les modes de transport : l'idée se répand que des formes de mobilité nouvelles vont se développer, co-organisées et partagées, par exemple des transports en commun plus flexibles, utilisant les routes à moindre coût. A l'horizon 2020 le covoiturage devrait augmenter, des flottes collectives de véhicules électriques ou hybrides apparaîtront. Les moteurs ont déjà fait des progrès considérables à la fois en termes d'émission de CO2 et de consommation d'énergie fossile. L'utilisation du biogaz dans l'automobile peut être une solution prometteuse.
Nous avons donc un noyau dur consistant de propositions. Il n'est pas éclaté, mais cohérent. Il comporte un paquet commun, substantiel. Si le gouvernement y répond sérieusement, cela introduira des changements profonds dans le paysage énergétique français. Le débat régional a été passionnant et passionné : il faut le prolonger, au besoin dans un cadre institutionnel.