Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 26 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Vote sur l'ensemble, amendements 96 18 2005 30

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Ce texte s'inscrit dans un contexte politique préoccupant : dans la guerre électoraliste à laquelle le Gouvernement se livre au sein de son propre camp, tout est bon pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage ou pour stigmatiser, par pure démagogie, les plus pauvres.

Ce texte en dit long sur vos visées en termes d'emploi ! Pour ne pas contrarier la patronne des patrons, vous acceptez de déréglementer le marché du travail dans la précipitation et, surtout, sans mesurer pleinement les dégâts pour l'avenir.

Alors que vous avez imposé aux Français le contrat nouvelles embauches par ordonnance, c'est-à-dire sans débat contradictoire, vous allez plus loin encore dans votre dérive libérale avec le contrat première embauche. Tous les jeunes seront désormais contraints à la précarité.

Votre politique de l'emploi est inquiétante. De telles modifications du droit social ne devraient pouvoir se faire sans concertation prolongée avec les partenaires sociaux et, surtout, sans expérimentation ni évaluation.

C'est d'ailleurs ce que remarque l'INSEE, qui, dans sa dernière note de conjoncture de décembre 2005, souligne que l'on manque de recul pour apprécier les créations nettes d'emplois que pourrait susciter le CNE et que, dans tous les cas, une évaluation ne sera pas possible avant plusieurs mois.

En revanche, ce qui est plus sûr, c'est que le CNE mène à une plus grande volatilité du marché du travail, lequel réagit plus directement aux variations de la conjoncture. La belle affaire !

Cette déréglementation du marché du travail créera de la précarité et de la pauvreté, et nous mesurerons malheureusement bientôt ses effets négatifs, en termes aussi bien sociaux qu'économiques.

Quant à ce « retour à l'emploi » dont vous nous assommez, il faut voir de quel emploi il s'agit !

Le recul du chômage dont vous vous « gargarisez » est largement dû aux emplois aidés, que vous multipliez au détriment des emplois durables et de qualité. Au total, 300 000 entrées sur le marché du travail sont prévues pour 2006 dans le cadre de contrats d'avenir ou de contrats d'accompagnement dans l'emploi, alors que le nombre total des emplois aidés a atteint 263 000 en 2005.

Selon l'INSEE, le secteur marchand n'a, en revanche, créé que 62 000 emplois en 2005, ce qui est très faible, surtout au regard du retournement de la démographie, qui joue largement en votre faveur du fait des nombreuses sorties de l'emploi de retraités.

Dans ce texte, les emplois aidés deviennent la norme d'emploi. Parallèlement, les aides et exonérations de charges pour les entreprises se généralisent et grossissent encore les 20 milliards d'euros déjà accordés pour 2006 au titre des seules exonérations.

Quant aux bénéficiaires des minima sociaux, leur stigmatisation s'impose un peu plus encore avec ce texte dont la philosophie est limpide : les bénéficiaires de minima sociaux sont avant tout probablement des fainéants qu'il faut inciter, par une petite prime, à reprendre le chemin de l'entreprise, et qui ont en plus tendance à frauder, d'où un cortège de dispositions qui vont accroître les sanctions pénales et développer les sanctions administratives à leur encontre. Quelle indécence de mettre en place des procédures de sanctions pouvant atteindre jusqu'à dix fois le montant du RMI pour des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté !

Au cours de la discussion, nous vous avons proposé de revenir sur certaines dispositions inutiles, comme l'alourdissement du dispositif de sanctions, ou injustes, comme les nombreuses restrictions au versement de la prime, mais tous nos amendements ont été rejetés.

De plus, nous avons essayé de corriger la dérive que nous constatons dans ce texte en créant un titre additionnel dans lequel nous avons décliné des propositions consolidant les parcours d'insertion, propositions axées sur la formation, la rémunération ou la compensation de la situation précaire des salariés embauchés sous contrat aidé.

Toutes ces propositions ont été écartées, car toutes jugées à contre-courant de la politique du Gouvernement, politique dont ce texte ne constitue malheureusement qu'une étape.

Pour vous, madame la ministre, l'heure n'est pas à la consolidation des parcours professionnels et d'insertion. Elle est à l'inverse au démantèlement de notre système de solidarité nationale, en commençant par les minima sociaux.

Ce texte est le premier pas vers l'uniformisation des allocations ; le second pas sera probablement cette fameuse PPL qui se prépare dans le plus grand secret pour les semaines à venir.

Enfin, madame la ministre, il y a ce mauvais coup du Gouvernement avec l'amendement n° 96 instaurant un contrat de transition professionnelle se substituant au dispositif de la loi de programmation pour la cohésion sociale, du 18 janvier 2005 seulement, alors même que ce dispositif, la convention de reclassement personnalisé, qui a fait l'objet de deux circulaires d'application, l'une de juillet 2005 et l'autre du 30 décembre 2005 - note fleuve de quarante-deux pages -, n'est toujours pas appliqué !

Sans aucune expertise, un dispositif déjà voté est ainsi remplacé à la hussarde par voie d'ordonnances au motif, pour reprendre une note du ministère, que, sur quelques sites, les risques de licenciement économique sont sérieux. On légifère donc pour des entreprises dont nous aimerions bien connaître la liste, madame la ministre !

Vous aviez fustigé la loi de modernisation sociale en condamnant le fait de légiférer sous le coup de l'opportunité ou des événements : ce qui vous semblait inacceptable et scandaleux quand Danone et Michelin licenciaient aurait donc aujourd'hui toutes les vertus !

Ne vous y trompez pas, madame la ministre, le groupe CRC n'est nullement opposé au fait de légiférer dans l'urgence, mais il exige pour le moins la transparence et la totalité des informations.

Ces pratiques législatives interdisant aux parlementaires et aux syndicats d'examiner sérieusement les textes sont inqualifiables et dangereuses : elles mettent durablement en cause notre démocratie.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte régressif s'agissant non seulement de l'emploi, mais également des minima sociaux.

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