Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé porte une ambition réelle. Cette dernière va au-delà, bien entendu, de cet article 2, qui étend les exceptions au principe de l’enseignement en langue française dans les écoles et universités. Ce n’est cependant pas par hasard que cet article a cristallisé les débats et suscité d’âpres controverses, tant dans les médias qu’à l’Assemblée nationale, toutes sensibilités politiques confondues.
Ces discussions ont eu le mérite de permettre à de nombreuses personnes de mieux cerner les enjeux. La langue n’est pas seulement un moyen de communication, elle véhicule aussi et surtout les valeurs auxquelles nous sommes attachés, auxquelles nous croyons et que nous défendons.
Je dois confesser que la rédaction initiale de l’article 2, qui autorise l’enseignement supérieur dans une langue étrangère, m’avait troublée en raison, d’abord, d’une certaine confusion autour de son objectif.
Cherchait-on, en effet, à améliorer la maîtrise des langues étrangères – essentiellement l’anglais, en réalité – par les jeunes Français ? Vous le savez, c’est alors au niveau de l’enseignement primaire et secondaire que l’essentiel des efforts eût dû porter. Ne confondons pas apprentissage de l’anglais et apprentissage en anglais !
L’objectif était-il d’attirer les étudiants étrangers en beaucoup plus grand nombre, dans le contexte d’un marché international de l’enseignement supérieur où la formation en français en viendrait presque à être considérée comme un handicap ? Selon un proverbe chinois, « quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ». Certains ont parfois eu tendance à « ringardiser » ce débat, comme si les défenseurs de la langue française regardaient le doigt et non la lune, présentée comme le sésame de l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur.
Pour autant, sommes-nous certains que l’apprentissage de notre langue constitue bien un frein majeur au choix de ces jeunes étrangers ? De plus en plus nombreux sont, par exemple, les étudiants chinois qui apprennent le français en six mois, avant leur arrivée dans une université française, contribuant ainsi, en outre, au financement de nos Alliances françaises !
Cette question doit être considérée dans sa globalité. Les freins à l’attractivité universitaire française tiennent très largement aux insuffisances de l’accueil des étudiants étrangers dans notre pays : visa compliqué à obtenir ou simplement refusé, logement rare, accompagnement insuffisant, méandres bureaucratiques, etc. Tout cela est bien plus ardu que la langue de Voltaire, de Camus, de Césaire, de Léopold Sédar Senghor, d’Houphouët-Boigny, de Norodom Sihanouk et de Kundera.
Nous en avons d’ailleurs bien conscience, puisque nous avons d’ores et déjà adopté des mesures afin d’améliorer la situation avec, en particulier, l’abrogation de la circulaire Guéant. Nous sommes sur la bonne voie et je m’en réjouis, car il s’agit là, selon moi, d’une priorité. Mais combien de jeunes Sénégalais, Burkinabé, Tchadiens, formés dans nos excellents lycées français, ont-ils choisi Montréal, New-York ou Boston, faute d’avoir pu obtenir un visa français ?
Je suis bien entendu sensible aux arguments pragmatiques. D’après Campus France, 795 formations proposent ainsi déjà des programmes en anglais, dont 165 exclusivement dans cette langue.
Raisonnons cependant un instant en termes différents. Sommes-nous réellement compétitifs sur cette offre finalement banale, que presque tous les autres pays occidentaux proposent ? Ne devrions-nous pas perfectionner notre offre sur ce marché de niche, en améliorant l’accueil des étudiants étrangers ?
Un soutien plus appuyé à la diffusion de publications scientifiques en français, dans les disciplines où l’anglais n’est pas incontournable, est également nécessaire, à mon sens, car la langue véhicule aussi les concepts et la culture au sens large, vous le savez bien.
Je craignais surtout que nous n’envoyions un signal très négatif aux 116 millions de personnes qui, dans le monde entier, sur tous les continents, apprennent le français ou apprennent en français. Nous portons dans ce domaine une responsabilité spécifique.
Je suis particulièrement consciente, de par mes fonctions au sein de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, l’APF, que nos débats et nos décisions sur ce point sont scrutés par nos amis francophones. Ils s’étonnent et s’inquiètent lorsqu’ils ont le sentiment que nous renonçons à notre langue, comme me le disait hier encore un industriel québécois.
L’incidence d’un tel sentiment ne saurait être sous-estimée. Les élèves étrangers perdraient leur motivation s’ils venaient à penser que l’apprentissage du français n’était plus utile à leur cursus, et cela emporterait des conséquences sur l’ensemble de la filière de formation.
C’est pourquoi, madame la ministre, je vous remercie de l’accueil que vous avez réservé à l’APF, et je me réjouis très sincèrement des améliorations apportées au projet de loi initial tant par nos collègues députés que par notre commission de la culture et de l’éducation.
L’article 2 a été précisé ; les exceptions à la loi Toubon sont encadrées – Claudine Lepage a développé ce point, et je n’y reviens pas ; l’article 2 bis prévoit qu’un rapport évaluera l’impact des dispositions de l’article 2, et c’est une très bonne chose ; l’article 8 comporte désormais des dispositions de promotion de la francophonie : c’est essentiel.
Non, la francophonie n’est pas un sujet d’arrière-garde et nous ne menons pas une sorte de combat des Anciens contre les Modernes.
Avec l’ensemble des améliorations ainsi adoptées, et en prêtant attention, peut-être, à des amendements à venir, il m’apparaît que nous pouvons nous réconcilier autour d’une ambition commune, et non contradictoire, de promotion de notre enseignement supérieur et de notre langue.
Mes chers collègues, je souhaite que nos débats permettent d’éclairer à la fois nos concitoyens et nos amis des pays francophones et de les convaincre que nous ne baissons pas les bras dans ce domaine, loin s’en faut ! §