Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 20 juin 2013 à 9h30
Enseignement supérieur et recherche — Article 2

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est ici question de modifier la loi Toubon. Encore faut-il savoir ce que dit cette loi.

Bien que j’aie été, en 1994, rapporteur au Sénat de ce qui allait donc devenir la loi Toubon et que j’en aie conservé des souvenirs assez précis, j’ai vérifié ce qu’elle permet et ce qu’elle ne permet pas. Je suis ainsi en mesure d’affirmer que cette loi n’est aucunement destinée à empêcher tout usage d’une autre langue en France. Elle institue simplement dans notre pays un droit au français, qui garantit à nos concitoyens un égal accès à l’information et au savoir.

Dans son article 11, cette loi du 4 août 1994 dispose que le français est la langue de l’enseignement, des examens et des concours, des thèses et mémoires, dans les établissements publics et privés d’enseignement. Elle prévoit néanmoins – déjà ! – deux exceptions justifiées, l’une, par l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, l’autre, par l’enseignement dispensé par des professeurs associés ou invités étrangers.

En outre, la circulaire d’application du 19 mars 1996 précise que sont visées les formations dispensées en langues régionales ou étrangères dans le cadre des sections européennes ou à vocation bilingue et représentant au maximum 50 % du volume total des enseignements de ces sections.

Par ailleurs, la circulaire d’application dispose que les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des étudiants de nationalité étrangère ne sont pas soumises à l’obligation de l’enseignement en français, et je me permets de bien insister sur ce dernier élément.

Il est donc clair que la loi sur la langue française ne fait nullement obstacle à des enseignements en langues étrangères destinés à des étudiants non francophones. Cela figure déjà explicitement dans nos textes !

Alors, où est le problème ? S’agit-il de la volonté de faire en sorte que tous les jeunes Français maîtrisent bien les langues étrangères ? Nous partageons tous cette volonté, mais sa concrétisation relève d’abord de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire. Du reste, la loi Toubon précise dans son article 11 : « La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l’enseignement. »

Cette loi n’est donc pas une loi restrictive, centrée uniquement sur la langue française !

En fait, le problème vient de ce que l’on veut être autorisé à délivrer un enseignement intégralement en anglais à de jeunes Français ou francophones et que, depuis quelques années, certains avancent masqués afin d’atteindre cet objectif.

Je vais prendre un exemple très précis, que je tire de la presse. Il s’agit d’une grande école, installée dans un département qui nous est cher, madame la présidente de la commission de la culture. Cette école se réjouit d’avoir obtenu les reconnaissances internationales qui vont la placer dans l’élite mondiale des business schools, ce dont on ne peut évidemment que se féliciter. Cette école, qui dispose de deux campus, un à Lille et un autre à Paris, dans le quartier de La Défense, précise que 800 de ses 3 100 étudiants ainsi que 80 % de ses professeurs sont étrangers et que l’enseignement y est dispensé intégralement en anglais. Cela ne pose-t-il tout de même pas un problème ?

L’amendement adopté à l’Assemblée nationale a inquiété les dirigeants de cette école. Toutefois, l’un d’eux s’est récemment permis d’affirmer à une agence française de presse spécialisée dans les questions d’éducation : « Ce qu’on faisait était déjà contraire à la loi. La loi change. Nous continuerons à être parfois dans l’illégalité. Personne ne va venir nous embêter là-dessus ! »

Mes chers collègues, vous le voyez je ne fantasme pas, je ne formule pas une inquiétude ringarde et particulière. Je crois simplement que le Parlement doit se préoccuper de l’application des lois qu’il a votées.

J’ai posé une question écrite à Mme la ministre de la culture – c’est elle qui est chargée du suivi de l’utilisation du français là où il doit être utilisé – à propos de ce que j’appelais une « violation caractérisée de la loi sur la langue française ». Elle concernait une école rouennaise qui entendait développer des cours de management culturel, tous dispensés en anglais.

Dans sa réponse, Mme Filippetti disait juger « inopportun le choix d’un enseignement exclusivement dispensé en anglais, sous couvert de modernité ». Elle a bien raison !

Elle ajoutait que, selon elle, « il n’y a pas lieu de laisser penser aux étudiants que l’anglais est la seule langue comprise à l’international. Un tel parti pris contribue à affaiblir la position du français, sur le plan international, et décourage tous ceux qui parient sur son avenir, ou font l’effort de l’apprendre. Le recours à une langue qui n’est pas celle de nos concitoyens laisse entendre implicitement que le français aurait perdu toute fonctionnalité à l’international. Un enseignement respectueux de notre langue tout en étant compréhensible par les non-francophones reste préférable, et ne compromettrait en rien l’image d’excellence et de dynamisme des écoles de commerce françaises. »

Mes chers collègues, compte tenu de tous ces éléments, je souscris tout à fait à la déclaration de Mme Filippetti. Je vous présenterai tout à l'heure un amendement qui permet de bien distinguer la situation des étudiants francophones et celle des étudiants non francophones, et qui vise à nous protéger contre la volonté dissimulée de faire en sorte que le français ne soit plus, pour tous les jeunes Français, la première langue de l’éducation en France. §

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