Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 juin 2013 : 1ère réunion
Gestion par les services de l'etat d'informations relatives à la détention d'un compte à l'étranger par un ministre — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président :

Comme je m'y étais engagé lors de notre réunion du 23 avril, je vous présente une communication relative aux contrôles sur pièces et sur place que j'ai effectués au ministère de l'économie et des finances à la suite de la démission du précédent ministre du budget. J'espère clôturer ainsi les investigations que j'ai réalisées. Je ne souhaite évidemment pas faire doublon avec les autres procédures en cours, qu'elles soient fiscales, judiciaires ou devant l'Assemblée nationale. Mon but est d'examiner le fonctionnement de la machine administrative face à un problème de ce type. Le sujet étant sensible, j'éviterai les polémiques inutiles et m'en tiendrai à la froideur des informations administratives.

Je me suis rendu deux fois dans les locaux de la direction générale des finances publiques (DGFIP) : une première fois le 11 avril, en compagnie du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Carrez ; une seconde fois le 30 mai, plus discrètement, puisque je n'avais informé que le directeur de cabinet de M. Moscovici, le directeur général des finances publiques et le rapporteur général François Marc. Lors de cette deuxième visite, j'ai d'abord posé des questions complémentaires aux représentants des divers services engagés dans la gestion de ce dossier, puis j'ai souhaité avoir accès à la liste des notes transmises par la DGFIP au ministre entre décembre 2012 et mars 2013 ainsi qu'aux correspondances électroniques entre responsables de l'administration et entre ces responsables et le cabinet.

Même si certains des éléments que j'ai recueillis sont couverts par le secret fiscal, ces investigations n'avaient rien de policier : j'ai simplement consulté la liste des notes et balayé, au moyen de quelques mots clés, la messagerie électronique de l'un des fonctionnaires. Mes investigations auraient été plus méthodiques si j'avais, comme la commission d'enquête de l'Assemblée nationale entendu faire la lumière sur des faits. Mon objectif, plus modeste, est de recueillir des éléments sur la manière dont les services du ministère de l'économie et des finances ont géré les informations relatives à la détention d'un compte bancaire à l'étranger par leur ministre de tutelle, afin d'en dégager des enseignements et de formuler des préconisations. Mon information demeure incomplète.

Cette affaire peut être abordée sous trois angles : les relations entre l'autorité politique et l'administration dans la gestion des dossiers individuels ; le fonctionnement de notre réseau de conventions fiscales ; l'articulation entre les procédures fiscales et les procédures judiciaires.

Depuis la démission du ministre Cahuzac et la première de mes visites à Bercy, intervenue huit jours plus tard, le contexte a changé en France, en Europe et même dans le monde : en France, le Gouvernement a présenté un paquet de textes destinés à mieux lutter contre la fraude fiscale ; en Europe et au sein du G20, la lutte contre la fraude fiscale est devenue une priorité, le principe de l'échange automatique d'information étant désormais très largement partagé - nous reviendrons sur ces évolutions lors de notre réunion du 3 juillet avec l'OCDE, la direction de la législation fiscale, ainsi que l'ambassadrice d'Autriche en France.

Je vous renvoie aux comptes rendus des auditions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale pour le détail des faits. Le 4 décembre 2012, Mediapart publie un article intitulé « Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac ». Le lendemain, à l'Assemblée nationale, M. Cahuzac nie vigoureusement détenir un tel compte. Le même jour, Mediapart révèle un enregistrement datant de 2000 dans lequel une voix, attribuée à Jérôme Cahuzac, déclare notamment : « Moi, ce qui m'embête, c'est que j'ai toujours un compte ouvert à l'UBS ». La même voix ajoute : « mais il n'y a plus rien là-bas, non ? ». Ces articles évoquent le transfert du compte ou des avoirs vers Singapour.

Les mesures prises à la suite de ces informations par l'administration fiscale semblent désormais bien documentées. A l'initiative du directeur général des finances publiques, une muraille de Chine est mise en place. Le ministre du budget signe le 10 décembre une note par laquelle il demande à ne plus recevoir documents ni informations relatifs à sa situation fiscale personnelle et à la banque UBS. Dès le 11 décembre 2012, en application de cette procédure, une note relative à la banque UBS est adressée à M. Moscovici et non à M. Cahuzac. Le 14 décembre 2012, le pôle gestion fiscale sud-ouest de la direction régionale des finances publiques de la région Île-de-France adresse à M. et Mme Jérôme Cahuzac, en application des dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, une demande d'identification de comptes bancaires ouverts, clos ou utilisés à l'étranger. La question porte sur les années 2006 à 2012. La réponse doit parvenir « si possible dans un délai de trente jours ». Cette procédure n'est pas contraignante. Le 11 avril, le directeur général des finances publiques nous a indiqué ne pas avoir informé M. Moscovici de sa mise en oeuvre ; il l'a confirmé devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Le 24 janvier 2013, sur instruction de M. Moscovici, le chef du service du contrôle fiscal adresse à son homologue suisse une demande d'assistance administrative. La réponse parvient le 31 janvier. Elle est transmise le lendemain à la police judiciaire.

Alors que, à la suite des révélations de Mediapart, une bonne part de la classe politique fait part de son incrédulité, la DGFIP prend l'affaire au sérieux. Un élément d'explication réside sans doute dans le fait que, à cette date, l'examen de la situation fiscale du ministre Cahuzac n'est pas achevé en raison de la nécessité d'obtenir certaines précisions. Je ne sais pas quelles ont été les informations transmises par la DGFIP à M. Moscovici ou son cabinet : je n'ai pas trouvé de note écrite, ni de courrier électronique dans l'échantillon auquel j'ai eu accès. J'ignore en particulier quand M. Moscovici a été informé du courrier adressé le 14 décembre à M. Cahuzac et lui demandant d'identifier ses comptes ouverts à l'étranger, les avoirs figurant sur ces comptes et le cas échéant les revenus de source étrangère y afférents. Je ne sais pas non plus si M. Moscovici était tenu informé jour après jour de l'absence de réponse du contribuable.

La version officielle consiste à présenter cette procédure, et l'absence de réponse du contribuable dans le délai de trente jours, comme des non-événements : dès lors que M. Cahuzac niait tous les jours publiquement détenir un compte à l'étranger, comment imaginer qu'il fournirait des informations à l'administration fiscale dans le cadre d'une procédure non contraignante ? Selon l'administration, l'objectif de cette procédure était de purger les voies internes afin de rendre juridiquement possible une demande d'assistance administrative à la Suisse.

D'un point de vue administratif, ce raisonnement est convaincant. Il en va différemment sur le plan politique. M. Moscovici a donné instruction d'adresser à la Suisse une demande d'assistance administrative, qui a été transmise le 24 janvier. A cette date au plus tard, il devait donc savoir que les voies de procédure interne avaient été épuisées et que M. Cahuzac s'était abstenu de répondre dans le délai de trente jours.

Si l'on essaie de s'extraire des dates et des procédures, l'on peut penser que le fait que M. Cahuzac n'ait pas, dès réception du courrier le 14 décembre, répondu ou fait répondre qu'il ne détenait aucun compte à l'étranger et ne l'ait pas fait savoir sinon publiquement, au moins à son ministre de tutelle ou au chef du Gouvernement aurait dû constituer une alarme et conduire ces derniers à nourrir des soupçons. Il y a donc, entre la fin janvier et la démission de M. Cahuzac le 19 mars, une période de deux mois pendant laquelle les autorités du Gouvernement disposaient d'éléments sérieux leur permettant de demander des explications à M. Cahuzac et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences. Je constate que la décision de M. Cahuzac de quitter le gouvernement n'a pas été l'effet de telles démarches, mais de l'ouverture le 19 mars d'une information judiciaire par le procureur de Paris, faisant suite à une enquête préliminaire ouverte dès le 8 janvier.

Pourquoi le ministre des finances a-t-il décidé de lancer la demande d'assistance administrative à la Suisse alors qu'une enquête préliminaire avait été ouverte le 8 janvier ? Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le procureur de Paris a jugé ce procédé inhabituel et l'a critiqué. Cela traduisait-il le souhait de poser des questions dont on pensait que les réponses seraient politiquement utiles ? Cela relevait-il, au contraire, du souhait d'établir la vérité ou bien du désir d'obtenir des éléments qui pourraient alimenter l'examen de la situation fiscale de M. Cahuzac ? Je ne dispose pas sur ce sujet d'éléments me permettant d'affirmer une conviction.

Le 24 janvier 2013, le chef du service du contrôle fiscal, M. Gardette, adresse à son homologue une demande d'assistance administrative en application de l'article 28 de la convention fiscale franco-suisse. Elle concerne le contribuable français Jérôme Cahuzac, l'établissement suisse UBS, les impositions dues au titre de l'impôt sur le revenu en 2010 et 2011 et de l'impôt de solidarité sur la fortune en 2010, 2011 et 2012. La lettre de transmission sollicite également, par dérogation à la convention fiscale et avec l'accord du contribuable et de la banque, une extension de la demande aux années 2006 à 2009, 2006 étant l'année la plus ancienne pour laquelle la prescription ne joue pas encore.

La demande a été minutieusement préparée. Les responsables du contrôle fiscal m'ont indiqué que, compte tenu de l'historique des demandes adressées à la Suisse, ils avaient rédigé la demande en évitant toutes les mentions qui auraient pu permettre aux Suisses de la juger non pertinente. Certains sujets n'ont été tranchés qu'au dernier moment. La volonté affirmée par les services du contrôle fiscal était de tout mettre en oeuvre et d'anticiper tous les arguments et les demandes pour obtenir des Suisses qu'ils acceptent de répondre au-delà de ce que permet la convention. Ils estiment donc qu'ils allaient très loin et que l'obtention d'une réponse constituait en elle-même une victoire.

Le ministre de l'économie et des finances a indiqué qu'il avait personnellement sensibilisé son homologue suisse à l'importance de cette demande. Le directeur général des finances publiques l'a évoquée avec son homologue à la veille de sa transmission. Le chef du service du contrôle fiscal a également été en contact avec son homologue, sans que l'on connaisse la teneur de leurs échanges. Les messages électroniques recueillis laissent penser que des contacts ont eu lieu entre les administrations fiscales, notamment par des conferences calls.

La demande me semble pouvoir être perçue comme restrictive. L'un des grands débats concerne l'interprétation de l'échange de lettres du 11 février 2010 entre la directrice de la législation fiscale française et son homologue suisse. La Suisse n'a accepté le principe de l'échange d'informations en matière fiscale que parce qu'elle était menacée d'être inscrite sur la liste des États non coopératifs. En 2009, le gouvernement suisse fournissait à son Parlement une interprétation restrictive de l'avenant à la convention franco-suisse: « à défaut des indications nécessaires permettant la désignation de la banque en sa qualité de détentrice des informations dans la demande de renseignements, il ne sera pas possible de transmettre les données bancaires ».

Une mention de l'échange de lettres du 11 février 2010 permet une interprétation plus souple de l'avenant, puisqu'il est indiqué que « dans le cas exceptionnel où l'autorité requérante présumerait qu'un contribuable détient un compte bancaire dans l'État requis sans pour autant disposer d'informations lui ayant permis d'identifier avec certitude la banque concernée, elle fournira tout élément en sa possession de nature à permettre l'identification de cette banque ». Cette clause de l'échange de lettres, que notre ancien collègue Adrien Gouteyron avait présentée comme une avancée lorsqu'il était rapporteur de cet avenant, aurait pu être utilisée dans la demande adressée à la Suisse, d'autant que la voix sur l'enregistrement précisait qu'il n'y avait « plus rien » sur le compte UBS dès 2000. Pourtant, pour les responsables du contrôle fiscal, il a dès l'origine été évident que la demande devait se limiter à la seule banque UBS. D'ailleurs, au-delà de l'affaire Cahuzac, cette faculté offerte par l'échange de lettres n'a jamais été utilisée. Je m'en suis vivement étonné.

Dans l'esprit des responsables du contrôle fiscal, il était suffisant de demander aux autorités suisses, au cas où un compte bancaire aurait été identifié mais aurait été transféré vers un autre État, de préciser l'État de destination de ce compte. Pourtant, les réponses adressées par Singapour semblent de meilleure qualité que les réponses suisses et il aurait pu être pertinent d'interroger directement cet État.

Des messages consultés montrent enfin que dans une première version Mme Patricia Cahuzac était aussi visée, ce qui n'est pas le cas dans le texte transmis à la Suisse.

Nous savons aujourd'hui que M. Cahuzac détenait, lorsqu'il était ministre, un compte bancaire à l'étranger. Au-delà des informations non vérifiées parues dans la presse, nous ne connaissons pas encore le circuit de ses avoirs à l'étranger, les dates de leurs différents mouvements ni les montants en cause.

La réponse des autorités suisses aux questions posées le 24 janvier parvient, dans un délai record, le 31 janvier, par fax, à la DGFIP. Elle est négative : M. Cahuzac n'a pas détenu de compte bancaire chez UBS. Un alinéa rendu public par le rapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale retient cependant immédiatement l'attention : « Au demeurant, la banque a précisé que sa réponse se fonde exclusivement sur les périodes temporelles limitées par la requête des autorités françaises ».

J'ai constaté que les services de la DGFIP, dès réception de la réponse, se sont eux-aussi interrogés sur l'a contrario ainsi ouvert : faut-il déduire de cette mention que la réponse aurait été différente si elle avait porté sur une autre période temporelle ? Dans les semaines qui ont suivi la réception de la réponse, la DGFIP a visiblement continué de faire l'exégèse de cette réponse. A plusieurs reprises, le directeur général lui-même a interrogé ses collaborateurs sur tel ou tel point de la réponse.

L'analyse officielle de cette intrigante mention est désormais qu'il faut l'analyser comme une mention légale standard, un disclaimer comme disent les anglo-saxons.

Pour ma part, il m'a semblé intéressant de comparer la réponse obtenue à cette demande d'assistance aux autres réponses fournies par la Suisse, et à celles fournies par Singapour. Je me suis donc fait communiquer l'ensemble des demandes adressées à la Suisse et à Singapour, ainsi que les réponses obtenues. La réponse obtenue dans l'affaire Cahuzac apparaît d'emblée comme singulière, tant par le délai de réponse très court que par l'insertion, unique, de la formule dont j'ai relevé la bizarrerie. On constate un contraste entre les échanges avec la Suisse et ceux avec Singapour. Les demandes à Singapour, peu nombreuses et toutes très précises, ont reçu des réponses également précises, la teneur de certaines d'entre elles laissant supposer que l'administration fiscale a pu ainsi disposer d'éléments nouveaux pour poursuivre son travail de contrôle.

En revanche, la Suisse répond peu, tard et mal. On peut se demander si une seule réponse de la Confédération a permis à un quelconque contrôle d'avancer. Face à cela, la réaction française semble être restée à un niveau administratif et non politique. J'ai eu accès à des échanges entre administrations fiscales. On en trouve des échos dans certains passages du jaune budgétaire relatif à notre réseau de conventions fiscales : « demeure un problème plus général dans la coopération administrative avec la Suisse, qui a contesté une part importante de nos demandes au motif qu'elles n'étaient pas `vraisemblablement pertinentes' pour l'application de la législation fiscale française, ce qui traduit de sa part une application erronée des standards de l'OCDE ».

De plus, la France n'a jamais essayé d'utiliser l'échange de lettres, pourtant considéré comme une avancée par la partie française négociatrice de l'époque. Il aurait été utile de tester rapidement l'attitude de la Suisse à cet égard et, éventuellement, de faire monter le sujet à un niveau politique. Quoi qu'il en soit, la réponse des Suisses aux 353 demandes effectuées sur UBS doit être considérée comme un test décisif de la volonté de coopérer de cet Etat.

Il est nécessaire de singulièrement renforcer le jaune sur les conventions fiscales, qui doit être beaucoup plus précis d'un point de vue qualitatif et non plus seulement quantitatif, État par État, et préciser le nombre de procédures qui ont pu suivre leur cours grâce à la coopération du partenaire.

Il importe d'appliquer véritablement la législation sur les États et territoires non coopératifs (ETNC) en réintroduisant les partenaires récalcitrants sur notre liste noire. Il faut se féliciter de ce que le ministre des finances ait inscrit dans le projet de loi sur la fraude fiscale une révision des critères de classification des ETNC, en ajoutant, à compter de 2016, celui de l'échange automatique d'information à celui de l'échange sur demande qui est retenu aujourd'hui. Cela étant, il faut s'étonner de ce que la liste de 2013 n'ait toujours pas été publiée, alors qu'elle l'est généralement en avril.

Nous devons faire remonter ces informations au niveau du Forum mondial afin que les États qui ne jouent pas le jeu rejoignent le plus vite possible les listes grise ou noire de l'OCDE ou fassent l'objet de nouveaux examens par le Peer Review Group. Ces examens suscitent en effet souvent des avancées dans les États les plus rétifs à l'échange d'information en matière fiscale.

A la suite de la réponse négative des autorités suisses, le dossier Cahuzac est passé à l'arrière-plan dans les médias, jusqu'à l'annonce le 19 mars de l'ouverture d'une information judiciaire et la démission consécutive du ministre le 19 mars. La procédure judiciaire s'est, elle, accélérée au mois de mars, avec l'envoi à la Suisse d'une demande d'entraide judiciaire le 12, la réception des résultats de l'expertise de l'enregistrement le 18, l'ouverture de l'information judiciaire le 19 et la réponse des autorités suisses quelques jours plus tard. J'ai aussi constaté, sans pouvoir en dire plus, que les services fiscaux continuent de travailler sur ce dossier.

Un prochain chantier pourrait consister à s'intéresser à l'articulation entre les procédures fiscales judiciaires. Cela nous renvoie aux débats que nous aurons lorsque nous examinerons le projet de loi relatif à la fraude fiscale, dont nous nous sommes saisis pour avis. Je tenais à présenter avant que nous n'entamions la discussion de ce projet une communication qui apure les diligences effectuées sur ce sujet, que pour ma part je souhaite refermer.

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