Concrètement, l’accessibilité bancaire, tel que le texte est rédigé, devient une fonction dédiée à un établissement parmi les autres, en l’occurrence la Banque de France. Comme le soulignait notre collègue, ce n’est pas l’établissement le plus accessible à la grande majorité de nos concitoyens.
Dans les faits, cette mission spécifique se détermine en fonction de plusieurs paramètres.
Le premier, que nous avons examiné assez longuement durant nos travaux, c’est la question de la rémunération des réseaux collecteurs de l’épargne défiscalisée, qui a été forfaitairement fixée à 0, 6 %.Ce taux représente une sensible réduction par rapport au taux actuel de rémunération des deux réseaux collecteurs, La Poste et les caisses d’épargne, situé aux alentours de 1, 10 à 1, 15 %.
C’est d’ailleurs à partir de cette idée que Mme Boutin a cru pouvoir dire qu’un effort particulier serait accompli en direction du logement social, puisque la réduction de la rémunération des collecteurs aurait un impact immédiat sur le taux d’intérêt des emprunts consentis aux bailleurs sociaux. L’incidence de cette mesure me paraît plus que limitée dans ce domaine.
Si le taux de rémunération de la collecte est très intéressant pour un établissement de crédit banalisé qui ne distribue pas encore de livret défiscalisé, il est par contre extrêmement problématique pour des réseaux dont il constitue un élément important du résultat bancaire. La diminution de la rémunération de la collecte de 0, 5 point représente plusieurs centaines de millions d’euros de résultat bancaire permettant de financer des emplois et des activités, et qui sont immédiatement perdus.
Dans ce contexte, le projet de loi prévoit de mettre à la disposition des organismes collecteurs actuels une compensation transitoire et, dans le cas de La Banque Postale, une compensation liée aux charges exposées par le service d’accessibilité bancaire.
En échange des 280 millions d’euros de prise en charge de l’accessibilité bancaire, ce qui est proposé à La Poste, c’est de dédier une partie de son activité à la « prise en pension », pourrait-on dire, des plus petits épargnants, notamment tous ceux qui auraient l’insigne défaut d’avoir un livret faiblement provisionné et de réaliser sur ces livrets des opérations de faible, voire de très faible montant.
Au demeurant, s’il convient de calculer avec précision la charge liée à l’accessibilité bancaire, il faut immédiatement souligner qu’elle est évaluée à hauteur de 420 millions d’euros en valeur 2008, c’est-à-dire que la compensation ne couvrira que les deux tiers de la charge de production de services et, à terme, environ la moitié.
C’est bel et bien un marché de dupes qui est proposé à La Banque postale, au moment même où, pour faire bonne mesure, on lui offre de pouvoir distribuer de nouveaux produits financiers, y compris des crédits personnels à la consommation, de nouveaux produits qu’elle sera d’ailleurs amenée à distribuer dans une entité constituée avec un intervenant privé du marché du crédit à la consommation, puisque l’on parle de plus en plus de Cofinoga, filiale de la BNP.
Dans tous les cas de figure, La Banque Postale se fera « tondre la laine sur le dos » et se retrouvera très vite, malgré tout ce que l’on peut dire et malgré les indications fournies par le rapport, dans une situation délicate, ayant perdu ses clients les plus intéressants – ceux qui ont des livrets ayant atteint le plafond – et devenant une sorte de « banque des pauvres ».
Nous avons eu l’occasion de dire quelles seraient les conséquences potentielles de ces phénomènes : une perte de ressources, qui entraînera une mise en cause lente mais sûre de la présence postale sous toutes ses formes.
Par quelque bout que l’on prenne l’affaire, c’est aux mêmes conclusions que l’on arrive. Dans le même temps, il ne se passe pas grand-chose sur le front du droit au compte. Et l’on comprend mieux pourquoi il est proposé d’utiliser la Banque de France pour l’obligation nouvelle d’ouverture des comptes : la présence postale nécessaire pour y répondre aura disparu.
Les banques de détail, toutes privatisées, toutes enfoncées jusqu’au cou dans les affres de la crise immobilière et financière internationale qui s’annonce plus forte chaque jour, attendent de pied ferme les liquidités des épargnants du livret A pour se remettre d’aplomb. Elles dédaignent depuis longtemps de mettre réellement en œuvre le droit au compte, pourtant inscrit dans la loi et le code monétaire et financier.
C’est donc dans un contexte où aucune contrainte réelle d’intérêt général et de service public n’est imposée aux établissements de crédit qu’on assigne à La Banque Postale de mener à bien la mission de lutte contre l’exclusion bancaire. C’est une discrimination nouvelle qu’on lui fait subir.
Nous voterons donc l’ensemble des amendements relatifs à la lutte contre l’exclusion bancaire.