Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 27 juin 2013 : 1ère réunion
Perspectives des finances publiques — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes :

Chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un rapport public sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui livre une analyse, à la fois rétrospective et prospective, de la situation des finances publiques de l'ensemble des administrations publiques (Etat, Sécurité sociale, collectivités territoriales) dont les dépenses représentent 56,6 % de la production nationale en 2012. Ce rapport, destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l'orientation des finances publiques, s'adresse aussi au citoyen. La Cour joue ainsi un rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques.

Chaque année, ce rapport s'enrichit. L'an dernier, des développements détaillés sur la situation des finances publiques au moment de l'alternance avaient été ajoutés, en réponse à une demande du Premier ministre. Cette année, la Cour a attentivement examiné la situation des finances publiques à mi-année pour déterminer les risques pesant sur la fin de la gestion 2013. Il nous semble qu'il est de notre mission d'apporter au Parlement une analyse la plus complète possible sur le sujet avant que ne s'engage le débat d'orientation sur les finances publiques. La Cour relève à cet égard que les informations qui lui ont été transmises par le ministère des finances ont été moins complètes que l'an dernier.

La France a engagé depuis 2011 l'indispensable redressement de ses déficits publics. Des premiers résultats ont été obtenus. La moitié du chemin a bien été parcourue. Pour autant, si l'atonie de la croissance doit être naturellement prise en compte dans le calendrier du rééquilibrage de nos comptes, les efforts ne doivent en aucune manière être relâchés. La seconde moitié du chemin reste à parcourir et, selon les propres engagements du Parlement et du Gouvernement, elle doit consister, de façon quasi-exclusive, en un effort de réduction du poids de la dépense publique. Cela implique en 2014 et 2015 d'importantes réformes qui devront concerner tous les acteurs publics, et permettre de résorber en priorité les déficits des régimes de sécurité sociale. Tel est le message essentiel de ce rapport.

Depuis de nombreuses années la Cour prône une rupture avec plus de trois décennies de déséquilibre des comptes publics, qui ont conduit la dette, chaque année, à s'accroître pour atteindre 90,2 % du PIB fin 2012, alors que ce ratio était deux fois moindre en 1993 (46 %). Cet appel à un retour à l'équilibre structurel des comptes publics ne repose pas sur le seul attachement formel à des comptes à l'équilibre.

La souveraineté de la France, tout d'abord, est en jeu. Aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il sera exposé au risque d'une hausse des taux d'intérêts. Jamais le niveau des taux n'a été aussi bas que ces derniers temps ; leur remontée, plus ou moins forte et rapide, est inéluctable ; on observe d'ailleurs, depuis quelques jours, la réapparition de tensions sur les marchés obligataires et un relèvement des taux lié aux perspectives de resserrement de la politique monétaire américaine. Si les taux augmentent d'1 %, la charge des intérêts pour l'État augmente de 2 milliards d'euros l'année suivante et de plus de 12 milliards d'euros au bout de dix ans. Le risque d'un emballement de la dette est réel et peut remettre en cause la souveraineté des Etats concernés. Notre pays a commencé à redresser sa crédibilité en matière de finances publiques, après une dizaine d'années de non-respect de ses engagements ; cette crédibilité reste fragile et doit encore être confortée. L'absence de redressement aurait un effet négatif plus important encore sur l'activité que celui des mesures de redressement. Il serait sanctionné par un alourdissement brutal des charges d'intérêt qui obligerait à mettre en place des politiques très restrictives.

Le retour à l'équilibre structurel des comptes contribuera, en outre, à rétablir la compétitivité de l'économie française. La charge d'intérêts des administrations publiques a atteint 52,2 milliards d'euros en 2012, plus du double de l'effort budgétaire consacré à la recherche et à l'enseignement supérieur. Elle retire à notre pays d'importantes marges de manoeuvre pour relever sur le moyen et long terme son potentiel de croissance. En s'attaquant aux déficits publics, on se donne les moyens de pouvoir remédier à terme au second déficit majeur dont souffre la France, son déficit de compétitivité.

Enfin, le stock de dette accumulé pose de façon croissante une question d'équité entre les générations. La plus grande partie de la dette accumulée correspond en effet très largement à des dépenses de fonctionnement et de transferts sociaux et non à des dépenses d'investissement qui auraient contribué à préparer l'avenir. Dès lors, rien ne justifie que leur charge soit transférée d'une génération sur l'autre.

Ainsi ce sont avant tout des considérations touchant à son intérêt national qui doivent conduire la France à redresser ses comptes publics, et non une contrainte venant de l'extérieur, même si celle-ci n'est pas sans réalité. Comme les mesures de redressement ont un effet négatif à court terme sur l'activité économique, la Cour considère qu'il est logique de viser des objectifs de déficit structurel, corrigé des effets des variations conjoncturelles de l'activité, parallèlement aux objectifs de déficit effectif. S'en tenir à ce seul dernier objectif obligerait à prendre des mesures de redressement, au fur et à mesure que les prévisions de croissance sont revues à la baisse, en ignorant l'effet négatif que ces mesures peuvent avoir sur la situation économique, effet d'autant plus accentué que les pays voisins conduisent de façon concomitante le redressement de leurs comptes.

Le traité européen du 2 mars 2012 prévoit que les engagements des différents Etats en matière de finances publiques sont exprimés en termes de solde et d'effort structurel, notions familières à la Cour, qui raisonne, depuis plusieurs années déjà, en termes de déficit structurel. Toutefois le Pacte de stabilité européen, mis en place au moment de l'entrée en vigueur de la zone euro, continue de reposer principalement sur des critères de solde effectif. Cette notion garde toute sa pertinence dans l'analyse des finances publiques car c'est le niveau du déficit effectif qui détermine l'accumulation de dette nouvelle. Les raisonnements en termes de déficit structurel et effectif sont complémentaires, le premier améliore le pilotage des finances publiques en assurant un meilleur dosage dans le temps des efforts de redressement, et le second permet d'en mesurer les résultats.

La Cour estime que la moitié du chemin de retour vers l'équilibre structurel a été parcourue. En 2010, plus des deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Le déficit structurel était alors d'environ 6 % du PIB. Il s'est réduit pour atteindre 4 % fin 2012 et devrait encore se réduire significativement en 2013.

J'en viens à l'analyse de l'année passée. L'effort de redressement des comptes a été très significatif en 2012. L'effort structurel, c'est-à-dire la somme des mesures nouvelles en recettes et de maîtrise des dépenses, a représenté 1,1 point de PIB, un niveau jamais atteint depuis les années 1995 et 1997, au moment de la qualification pour l'euro. Cet effort a été obtenu, en quasi-totalité, par des hausses de prélèvements obligatoires. Le rythme de croissance des dépenses publiques a été ralenti par rapport à la moyenne des années précédentes, pour atteindre 1 % en volume, c'est-à-dire en plus de l'inflation. L'objectif d'une croissance limitée à 0,4 % en volume n'a pas été tenu. Si les normes de dépenses de l'État ont été respectées, ainsi que celles concernant la sécurité sociale, la croissance des dépenses des collectivités territoriales a été plus rapide qu'anticipé, en particulier en matière de dépenses de fonctionnement.

Toutefois, cet effort structurel important ne s'est traduit que par une réduction limitée du déficit public, qui est passé de 5,3 % du PIB en 2011 à 4,8 % en 2012, en raison d'une nette dégradation de la conjoncture. La croissance était de 2 % en 2011 et a été nulle en 2012. La situation fin 2012 demeure préoccupante pour deux raisons principales : tout d'abord que le niveau de déficit est encore très éloigné de celui qui aurait permis de stabiliser la dette, soit 1,3 % du PIB. Dès lors, la dette a continué d'augmenter sur un rythme soutenu, puisqu'elle est passée de 85,8 % du PIB à 90,2 % en un an. Ensuite, malgré l'effort accompli, le déficit de la France se situe toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, qui est de 4 % et de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 3,7 %. En effet les autres pays ont consenti, dans la même période, un effort au moins équivalent à celui de la France. Elle n'a donc pas pu rattraper son retard relatif. Le déficit structurel de la France, ramené à 4 %, demeure deux fois plus important que celui de la zone euro, à 2,1 %. L'Italie a ramené son déficit structurel à 1,4% du PIB. L'Allemagne, quant à elle, est parvenue à dégager un excédent structurel. Dès lors, les trajectoires d'endettement de la France et de l'Allemagne continuent de diverger, la première augmentant le niveau de sa dette pendant que la seconde le réduit.

Ainsi, si notre pays a réduit son déficit structurel, ses finances publiques sont encore loin d'être assainies. Le niveau du déficit demeure très important : il représentait fin 2012 près de 100 milliards d'euros et 8,5 % des dépenses publiques : un mois de dépenses est financé par l'emprunt.

En 2013, l'effort de redressement programmé a été amplifié, pour atteindre 1,9 point de PIB. L'objectif de déficit public fixé à 3 % en loi de finances initiale a été révisé en avril dans le programme de stabilité à 3,7 %. Il pourrait néanmoins être assez sensiblement dépassé. La Cour a évalué le risque sur le produit des recettes et le niveau des dépenses.

S'agissant des recettes, deux formes de risques ont été identifiées. La première porte sur les prévisions de croissance du PIB. Le programme de stabilité table sur une croissance de 0,1 %, prévision qui demeure fragile. Si la dernière prévision de l'INSEE, moins pessimiste que celle de l'OCDE, se réalise, soit une diminution du PIB de 0,1 %, 2 milliards d'euros de recettes manqueront. Le déficit serait alors accru de 0,1 point de PIB. La seconde forme de risque concerne les hypothèses techniques dites d'élasticité, qui mesurent la façon dont le produit des recettes varie en fonction de la croissance. Or ces hypothèses avaient été surestimées dans le projet de loi de finances pour 2013. Elles ont été en grande partie révisées dans le programme de stabilité, mais des fragilités demeurent. Ainsi, la prévision de TVA suppose que les facteurs qui ont provoqué la baisse du produit de cet impôt en 2012 ne joueront pas en 2013. Hors révision de la croissance économique, les risques sur le produit des recettes pourraient atteindre jusqu'à 6 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.

Selon la Cour, les objectifs de dépenses apparaissent réalisables. Elle a identifié, sur le champ de la norme en valeur, des risques de dépassement d'un ordre de grandeur habituel, soit entre 1 et 2 milliards d'euros, que les redéploiements et annulations de crédits peuvent couvrir. En 2012, 3,7 milliards d'euros avaient été annulés en cours de gestion. Au-delà de ces risques habituels, il convient de souligner l'importance de l'aléa que constitue le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, qui pourrait être majoré d'1,8 milliard d'euros. En sens inverse, des économies pourraient être constatées sur la charge d'intérêts de la dette. Dans le domaine social, si le rythme actuel de la dépense de soins observée se prolonge, les dépenses pourraient être inférieures de 500 millions d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté, compensant, au moins pour partie, les risques qui s'attachent à une sous-estimation des dépenses des collectivités territoriales. L'objectif d'une croissance des dépenses publiques dans leur ensemble limitée à 0,9 % en volume, après 1 % en 2012, apparaît, sur la base des informations actuellement disponibles, atteignable.

Au total, la Cour considère que le nouvel objectif de déficit de 3,7 % du PIB retenu dans le programme de stabilité risque d'être dépassé en raison de prévisions de recettes qui demeurent trop optimistes. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un déficit effectif se situant autour de 4 % du PIB.

Compte tenu de l'ampleur de l'effort programmé et de l'atonie de la croissance économique en 2012 et en 2013, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'envisager des mesures de rééquilibrage en cours d'année. Elle prolonge en cela le raisonnement de nature structurelle qu'elle avait tenu à l'occasion du rapport public annuel de février dernier. En revanche, il convient que l'effort programmé, le plus important de l'histoire budgétaire récente, soit entièrement réalisé. La plus grande vigilance doit être portée au strict respect des objectifs de dépense.

La même logique de prise en compte de la conjoncture conduit à décaler dans le temps des objectifs de déficit effectif. Le programme de stabilité établi par le Gouvernement prévoit un déficit public inférieur à 3 % en 2014. En réalité, en reprenant les efforts structurels prévus dans le programme de stabilité, soit 1 point de PIB en 2014 et 0,6 point en 2015, mais en retenant des hypothèses plus prudentes en matière de croissance économique et de dynamique des recettes, ce ne serait qu'en 2015 que le déficit public serait ramené à 3 %. Cette analyse rejoint la proposition de recommandation formulée fin mai par la Commission européenne, sur le point d'être adoptée par le Conseil de l'Union européenne. Ce report de deux ans met en évidence le caractère déjà en partie dépassé du programme de stabilité d'avril. Plus fondamentalement, les trajectoires de soldes effectif et structurel de la loi de programmation des finances publiques apparaissent aujourd'hui en décalage manifeste, tant avec les résultats de l'exercice 2012 qu'avec les prévisions du programme de stabilité, en particulier pour 2013. Ces écarts posent la question d'une mise à jour de la loi de programmation qui doit constituer la référence principale en matière de conduite et de surveillance des finances publiques. Le desserrement du calendrier n'autorise aucun relâchement de l'effort structurel de réduction du déficit. L'effort programmé pour 2014 et 2015, soit 1,6 point de PIB au total, s'il est moins important que celui de la seule année 2013, représente une exigence forte, car il est prévu qu'il porte à 80 % sur les dépenses publiques, conformément aux objectifs fixés par le Gouvernement pour rester sur la trajectoire qu'il a tracée et sur laquelle le Parlement s'est prononcé en avril. Ce choix de privilégier désormais le levier des dépenses va dans le sens des préconisations de la Cour depuis plusieurs années. Il représente une rupture par rapport aux années passées, pendant lesquelles le redressement avait été réalisé, en quasi-intégralité, par des mesures de recettes nouvelles. En conséquence, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45 % du PIB en 2012, le niveau le plus élevé jamais atteint. Cette hausse, qui devrait se prolonger en 2013, s'est accompagnée d'une forte instabilité fiscale. Dans un contexte de concurrence entre Etats et de déficit de compétitivité et d'attractivité de notre territoire, il serait contreproductif d'augmenter encore sensiblement ce niveau. Le Gouvernement prévoit un freinage accentué de la dépense publique, dont la croissance en volume serait limitée à 0,4 % en 2014 et à 0,2 % en 2015. En dépit de ce freinage, le programme de stabilité prévoit des mesures significatives de hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros correspondraient à une compensation de la baisse du rendement de certaines mesures passées et 7 milliards d'euros à un surcroît net de recettes. La Cour estime que ces mesures devraient concerner surtout la sécurité sociale. Ces 7 milliards de mesures nouvelles en recettes en 2014, suivies par une stabilisation en 2015, sont à rapprocher des 33 milliards d'euros votés en 2013, aux 22 milliards d'euros en 2012 et aux 18 milliards d'euros en 2011. Elles devraient en priorité passer par une réduction du coût des niches fiscales et sociales.

Pour réaliser l'effort programmé, d'importantes économies sur la dépense publique devront être dégagées: 13 milliards en 2014, puis 15 milliards en 2015. Cependant, à ce stade, les réformes permettant une réduction du poids de la dépense publique ne sont, pour la plupart, qu'esquissées. La Cour estime que cette réduction est réalisable, si l'on agit rapidement. Prendre des mesures ayant un impact significatif dès aujourd'hui évitera de devoir prendre des mesures plus drastiques demain. Aucun acteur de la dépense publique ne doit par principe être écarté de la participation à l'effort. Les services de l'État et l'assurance maladie, pour lesquels les outils de pilotage de la dépense sont les plus développés, ont subi ces dernières années une contrainte plus forte que les autres acteurs, en particulier les opérateurs de l'État et les collectivités territoriales. Tous les acteurs sont concernés, toutes les formes de dépenses également. La maîtrise de la masse salariale est indispensable. Des économies sur les dépenses d'intervention, c'est-à-dire les subventions et les prestations sociales sont d'autant plus essentielles qu'elles représentent plus de la moitié de la dépense publique et qu'elles ont été peu concernées par les mesures prises jusqu'ici, notamment dans le cadre de la RGPP.

La maîtrise des dépenses passe par des réformes de fond. L'effort à venir est une occasion de rompre avec une culture qui met trop l'accent sur les moyens et pas assez sur les résultats obtenus. La France occupe en 2012 la deuxième place parmi les pays de l'OCDE en matière de dépenses publiques dans le PIB, avec 56,6 %, et se rapproche du Danemark qui occupe la première place. Mais notre pays figure bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats de ses politiques publiques sont mesurés notamment pour le logement, la formation professionnelle, l'éducation nationale. Trop souvent en effet, le réflexe, lorsqu'il s'agit de régler un problème consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s'ajoutent aux anciens sans que ces derniers ne soient supprimés. De nombreux dispositifs sont peu suivis ; or, leur étude révèle souvent qu'ils sont insuffisamment ciblés. La tolérance envers ces effets d'aubaine, pour peu que l'objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation. La multiplication d'acteurs publics, dont les compétences se recoupent souvent, est en elle-même une source de dépenses. Il existe incontestablement d'importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni les principes du modèle social français. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. La démarche de recherche d'économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour a montré le mois dernier qu'une révision profonde des modes de gestion des enseignants améliorerait les résultats du système scolaire et répondrait mieux aux attentes des enseignants que la variation des effectifs. Elle a livré en janvier un rapport sur les politiques relatives au fonctionnement du marché du travail mettant en évidence que les dispositifs existants, d'indemnisation du chômage ou de formation professionnelle, ne bénéficiaient que peu à ceux qui en avaient le plus besoin. D'autres rapports de la Cour illustrent le contenu qui peut être donné à des réformes de fond : l'organisation des forces de sécurité, la politique en faveur du sport, les musées, le service de santé des armées, la psychiatrie, les services d'incendie et de secours, etc. Pour faciliter l'acceptation des choix, et réussir dans la conduite du changement, il est préférable que ces réformes structurelles résultent d'un diagnostic aussi partagé que possible. Pour cela, l'outil à privilégier est l'évaluation des politiques publiques, à laquelle concourent le Parlement, la Cour des comptes mais aussi le Gouvernement, par la démarche de modernisation de l'action publique, la MAP. Il est essentiel que les travaux engagés dans le cadre de la MAP aboutissent. Le retard pris dans la mise en place de ces réformes structurelles, le fait que la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'apporte plus de nouvelles économies et l'ampleur des efforts à réaliser en 2014 et 2015 rendent nécessaire, à court terme, la mise en place de mesures transversales de freinage de la dépense publique, comme le gel de la valeur du point dans les fonctions publiques ou une moindre progression de l'ONDAM. Cela peut passer également par une moindre revalorisation de certaines prestations sociales, à l'exception des minima sociaux comme le minimum vieillesse ou le revenu de solidarité active. Ces revalorisations inférieures à l'inflation ou modulations pourraient concerner les pensions de retraite, les prestations familiales ainsi que les aides au logement. Pour préserver les retraités les plus modestes, cette mesure pourrait être modulée en fonction du niveau total des pensions perçues.

De telles mesures transversales produisent des effets rapides et substantiels. Elles seront d'autant mieux admises qu'elles seront temporaires et limitées, dans l'attente des indispensables réformes structurelles. Les décideurs doivent définir des priorités, effectuer des choix explicites, améliorer le ciblage de dispositifs qui touchent un trop large éventail de bénéficiaires, reconsidérer des politiques publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs ou le font à un coût trop élevé. A cette fin, la Cour livre dans la cinquième partie de ce rapport un éventail de réformes possibles susceptibles de contribuer à la maîtrise des dépenses. Pour l'État, sont suggérées notamment un ciblage plus pertinent des dispositifs d'aide à la presse, d'aide aux buralistes, de certaines aides au logement ou de certaines dépenses dans le secteur de la formation professionnelle continue. La poursuite de la professionnalisation de la politique des achats de l'État entraînerait des économies substantielles. Sur la seule maintenance des équipements militaires, la Cour avait identifié 300 millions d'euros d'économies potentielles. Les coûts de gestion des services de l'État pourraient être encore allégés, par exemple en modernisant la gestion des pensions ou celle de l'impôt.

L'organisation des services déconcentrés de l'État peut encore être améliorée ; la Cour avait cité en janvier 2012 l'exemple des sous-préfectures. Elle livrera prochainement un rapport sur l'organisation d'ensemble des services territoriaux de l'État. L'organisation des services à l'étranger présente également des marges d'amélioration.

La maîtrise de la masse salariale de l'État, qui représente le tiers de ses dépenses, constitue naturellement un enjeu central. A effectifs constants, de nombreux facteurs contribuent à la hausse tendancielle de la masse salariale, estimée à 1,3 milliard d'euros. Il s'agit notamment des mesures catégorielles et de l'effet des avancements, appelé GVT positif. Pour tenir les objectifs de dépenses, le Gouvernement a prévu de limiter l'accroissement de la masse salariale à 300 millions d'euros par an à effectifs stables. Cela suppose de mener une politique salariale très rigoureuse qui combine le gel du point de la fonction publique ou une très faible revalorisation de celui-ci, une réduction importante des mesures catégorielles et un ralentissement des déroulements de carrière. Une telle option risque ainsi de priver l'État d'une grande partie des leviers d'une politique dynamique de gestion des ressources humaines. D'autres leviers peuvent être actionnés, notamment une réduction limitée des effectifs. La Cour présente plusieurs scénarios ; parmi ceux-ci figure par exemple le non-remplacement d'un départ à la retraite sur six, soit une réduction d'effectifs de 10 000 emplois à temps plein. Une telle réduction pourrait s'accompagner d'une augmentation de la durée effective du travail des agents, afin de limiter les conséquences sur la qualité des services publics rendus. Ces orientations valent également pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Les régimes de protection sociale doivent d'autant plus contribuer à la maîtrise des dépenses que leurs comptes s'inscrivent dans des perspectives non soutenables.

Les projections de la Cour, fondées sur les hypothèses actualisées du programme de stabilité et, pour les années suivantes, sur des hypothèses d'évolution de la masse salariale équivalentes à celles connues au cours des douze dernières années, font apparaître une dégradation de près de 10 milliards d'euros du solde du régime général de la sécurité sociale à l'horizon 2017. A politique inchangée, le régime général serait constamment déficitaire d'ici 2030, y compris la branche maladie. Le déficit de l'ensemble du système de retraite, d'1,6 % du PIB en 2030, serait plus élevé que celui envisagé par le Conseil d'orientation des retraites. Ces perspectives appellent des mesures de redressement rapides pour prévenir les déficits à venir, et des réformes plus structurelles pour contenir la croissance spontanée des dépenses.

Une réforme des modalités d'organisation et de prise en charge des transports sanitaires, ou une simplification du régime des indemnités journalières pour congé maladie entraîneraient des économies. S'agissant des retraites, plusieurs possibilités sont sur la table, comme la limitation des avantages familiaux accordés aux retraités, notamment la majoration de 10 % des pensions pour avoir élevé trois enfants, ou la réduction du coût de certaines niches sociales bénéficiant aux retraités. La Cour a aussi identifié la possibilité d'économiser un milliard d'euros dans les dépenses de personnels et de gestion administrative des caisses de sécurité sociale.

Enfin, les collectivités territoriales ont à participer à l'effort, leurs dépenses non liées aux transferts de compétences s'étant fortement accrues au cours des dernières années. La loi de programmation des finances publiques a prévu une stabilisation, puis une réduction d'une partie des concours financiers de l'État, qui représentent le quart des ressources des collectivités. Il convient de veiller à ce que cette diminution ne s'accompagne pas d'une hausse symétrique des impôts locaux. Un mécanisme de redistribution des ressources entre collectivités permettrait de ne pas pénaliser les plus fragiles. L'État pourrait accompagner cet effort d'une démarche de réduction du coût des normes qu'il leur impose. De nombreuses pistes d'économies existent pour les collectivités. Les mutualisations permises par le développement de l'intercommunalité sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets bénéfiques. La masse salariale - effectifs, mesures catégorielles et déroulements de carrière - doit être mieux maîtrisée : elle a augmenté de 3,3 % en 2012 contre 2,4 % en 2011, alors que l'État a quasiment stabilisé cette dépense. La rationalisation de la gestion du patrimoine des collectivités, dont l'entretien coûte chaque année 3 milliards d'euros, dégagerait d'importantes économies. Certains postes de dépenses sont susceptibles d'être sensiblement réduits, comme la publicité et les relations publiques, pour 1,5 milliard d'euros.

Ainsi les réformes à venir constituent une opportunité pour moderniser l'action publique, clarifier des rôles tenus par chacun, évaluer des dispositifs pour mieux les cibler. Le redressement est possible sans les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en place (fortes diminutions de prestations sociales ou de rémunérations). Cela suppose d'agir rapidement et de faire en sorte qu'aucun acteur ne soit exonéré de l'exigence collective d'un usage efficace et proportionné des moyens publics dont il dispose. Il appartient aux représentants du suffrage universel de définir ces choix, à partir de leurs objectifs et priorités. La Cour cherche à formuler des propositions pour que notre pays parcoure la seconde moitié du chemin du redressement des comptes qui reste devant lui et comble son déficit de compétitivité. Le sens final de cette action est le relèvement de la croissance de demain et la garantie de la cohésion sociale de notre pays.

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