La commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur les perspectives des finances publiques, conjointement avec la commission des affaires sociales.
Nous accueillons M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, pour l'entendre, conformément à la tradition, sur le rapport qu'elle prépare, en application de la loi organique relative aux lois de finances, avant le débat d'orientation des finances publiques. Le rapport de la Cour des comptes est opérationnel, car il propose des pistes d'économies budgétaires, et prospectif, en développant différents scénarios d'évolution des comptes sociaux ; il accorde aussi une large place aux comparaisons internationales. Il intervient au moment où les autorités de l'Union européenne ont accordé à la France un délai jusqu'en 2015 pour ramener son déficit sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB). Comment concilier l'assouplissement de trajectoire du déficit effectif et le maintien d'une trajectoire exigeante de baisse du déficit structurel ? Quel est votre point de vue sur le débat politique qui émerge sur l'exécution 2013, et en particulier sur l'évolution des recettes ?
Chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un rapport public sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui livre une analyse, à la fois rétrospective et prospective, de la situation des finances publiques de l'ensemble des administrations publiques (Etat, Sécurité sociale, collectivités territoriales) dont les dépenses représentent 56,6 % de la production nationale en 2012. Ce rapport, destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l'orientation des finances publiques, s'adresse aussi au citoyen. La Cour joue ainsi un rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques.
Chaque année, ce rapport s'enrichit. L'an dernier, des développements détaillés sur la situation des finances publiques au moment de l'alternance avaient été ajoutés, en réponse à une demande du Premier ministre. Cette année, la Cour a attentivement examiné la situation des finances publiques à mi-année pour déterminer les risques pesant sur la fin de la gestion 2013. Il nous semble qu'il est de notre mission d'apporter au Parlement une analyse la plus complète possible sur le sujet avant que ne s'engage le débat d'orientation sur les finances publiques. La Cour relève à cet égard que les informations qui lui ont été transmises par le ministère des finances ont été moins complètes que l'an dernier.
La France a engagé depuis 2011 l'indispensable redressement de ses déficits publics. Des premiers résultats ont été obtenus. La moitié du chemin a bien été parcourue. Pour autant, si l'atonie de la croissance doit être naturellement prise en compte dans le calendrier du rééquilibrage de nos comptes, les efforts ne doivent en aucune manière être relâchés. La seconde moitié du chemin reste à parcourir et, selon les propres engagements du Parlement et du Gouvernement, elle doit consister, de façon quasi-exclusive, en un effort de réduction du poids de la dépense publique. Cela implique en 2014 et 2015 d'importantes réformes qui devront concerner tous les acteurs publics, et permettre de résorber en priorité les déficits des régimes de sécurité sociale. Tel est le message essentiel de ce rapport.
Depuis de nombreuses années la Cour prône une rupture avec plus de trois décennies de déséquilibre des comptes publics, qui ont conduit la dette, chaque année, à s'accroître pour atteindre 90,2 % du PIB fin 2012, alors que ce ratio était deux fois moindre en 1993 (46 %). Cet appel à un retour à l'équilibre structurel des comptes publics ne repose pas sur le seul attachement formel à des comptes à l'équilibre.
La souveraineté de la France, tout d'abord, est en jeu. Aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il sera exposé au risque d'une hausse des taux d'intérêts. Jamais le niveau des taux n'a été aussi bas que ces derniers temps ; leur remontée, plus ou moins forte et rapide, est inéluctable ; on observe d'ailleurs, depuis quelques jours, la réapparition de tensions sur les marchés obligataires et un relèvement des taux lié aux perspectives de resserrement de la politique monétaire américaine. Si les taux augmentent d'1 %, la charge des intérêts pour l'État augmente de 2 milliards d'euros l'année suivante et de plus de 12 milliards d'euros au bout de dix ans. Le risque d'un emballement de la dette est réel et peut remettre en cause la souveraineté des Etats concernés. Notre pays a commencé à redresser sa crédibilité en matière de finances publiques, après une dizaine d'années de non-respect de ses engagements ; cette crédibilité reste fragile et doit encore être confortée. L'absence de redressement aurait un effet négatif plus important encore sur l'activité que celui des mesures de redressement. Il serait sanctionné par un alourdissement brutal des charges d'intérêt qui obligerait à mettre en place des politiques très restrictives.
Le retour à l'équilibre structurel des comptes contribuera, en outre, à rétablir la compétitivité de l'économie française. La charge d'intérêts des administrations publiques a atteint 52,2 milliards d'euros en 2012, plus du double de l'effort budgétaire consacré à la recherche et à l'enseignement supérieur. Elle retire à notre pays d'importantes marges de manoeuvre pour relever sur le moyen et long terme son potentiel de croissance. En s'attaquant aux déficits publics, on se donne les moyens de pouvoir remédier à terme au second déficit majeur dont souffre la France, son déficit de compétitivité.
Enfin, le stock de dette accumulé pose de façon croissante une question d'équité entre les générations. La plus grande partie de la dette accumulée correspond en effet très largement à des dépenses de fonctionnement et de transferts sociaux et non à des dépenses d'investissement qui auraient contribué à préparer l'avenir. Dès lors, rien ne justifie que leur charge soit transférée d'une génération sur l'autre.
Ainsi ce sont avant tout des considérations touchant à son intérêt national qui doivent conduire la France à redresser ses comptes publics, et non une contrainte venant de l'extérieur, même si celle-ci n'est pas sans réalité. Comme les mesures de redressement ont un effet négatif à court terme sur l'activité économique, la Cour considère qu'il est logique de viser des objectifs de déficit structurel, corrigé des effets des variations conjoncturelles de l'activité, parallèlement aux objectifs de déficit effectif. S'en tenir à ce seul dernier objectif obligerait à prendre des mesures de redressement, au fur et à mesure que les prévisions de croissance sont revues à la baisse, en ignorant l'effet négatif que ces mesures peuvent avoir sur la situation économique, effet d'autant plus accentué que les pays voisins conduisent de façon concomitante le redressement de leurs comptes.
Le traité européen du 2 mars 2012 prévoit que les engagements des différents Etats en matière de finances publiques sont exprimés en termes de solde et d'effort structurel, notions familières à la Cour, qui raisonne, depuis plusieurs années déjà, en termes de déficit structurel. Toutefois le Pacte de stabilité européen, mis en place au moment de l'entrée en vigueur de la zone euro, continue de reposer principalement sur des critères de solde effectif. Cette notion garde toute sa pertinence dans l'analyse des finances publiques car c'est le niveau du déficit effectif qui détermine l'accumulation de dette nouvelle. Les raisonnements en termes de déficit structurel et effectif sont complémentaires, le premier améliore le pilotage des finances publiques en assurant un meilleur dosage dans le temps des efforts de redressement, et le second permet d'en mesurer les résultats.
La Cour estime que la moitié du chemin de retour vers l'équilibre structurel a été parcourue. En 2010, plus des deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Le déficit structurel était alors d'environ 6 % du PIB. Il s'est réduit pour atteindre 4 % fin 2012 et devrait encore se réduire significativement en 2013.
J'en viens à l'analyse de l'année passée. L'effort de redressement des comptes a été très significatif en 2012. L'effort structurel, c'est-à-dire la somme des mesures nouvelles en recettes et de maîtrise des dépenses, a représenté 1,1 point de PIB, un niveau jamais atteint depuis les années 1995 et 1997, au moment de la qualification pour l'euro. Cet effort a été obtenu, en quasi-totalité, par des hausses de prélèvements obligatoires. Le rythme de croissance des dépenses publiques a été ralenti par rapport à la moyenne des années précédentes, pour atteindre 1 % en volume, c'est-à-dire en plus de l'inflation. L'objectif d'une croissance limitée à 0,4 % en volume n'a pas été tenu. Si les normes de dépenses de l'État ont été respectées, ainsi que celles concernant la sécurité sociale, la croissance des dépenses des collectivités territoriales a été plus rapide qu'anticipé, en particulier en matière de dépenses de fonctionnement.
Toutefois, cet effort structurel important ne s'est traduit que par une réduction limitée du déficit public, qui est passé de 5,3 % du PIB en 2011 à 4,8 % en 2012, en raison d'une nette dégradation de la conjoncture. La croissance était de 2 % en 2011 et a été nulle en 2012. La situation fin 2012 demeure préoccupante pour deux raisons principales : tout d'abord que le niveau de déficit est encore très éloigné de celui qui aurait permis de stabiliser la dette, soit 1,3 % du PIB. Dès lors, la dette a continué d'augmenter sur un rythme soutenu, puisqu'elle est passée de 85,8 % du PIB à 90,2 % en un an. Ensuite, malgré l'effort accompli, le déficit de la France se situe toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, qui est de 4 % et de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 3,7 %. En effet les autres pays ont consenti, dans la même période, un effort au moins équivalent à celui de la France. Elle n'a donc pas pu rattraper son retard relatif. Le déficit structurel de la France, ramené à 4 %, demeure deux fois plus important que celui de la zone euro, à 2,1 %. L'Italie a ramené son déficit structurel à 1,4% du PIB. L'Allemagne, quant à elle, est parvenue à dégager un excédent structurel. Dès lors, les trajectoires d'endettement de la France et de l'Allemagne continuent de diverger, la première augmentant le niveau de sa dette pendant que la seconde le réduit.
Ainsi, si notre pays a réduit son déficit structurel, ses finances publiques sont encore loin d'être assainies. Le niveau du déficit demeure très important : il représentait fin 2012 près de 100 milliards d'euros et 8,5 % des dépenses publiques : un mois de dépenses est financé par l'emprunt.
En 2013, l'effort de redressement programmé a été amplifié, pour atteindre 1,9 point de PIB. L'objectif de déficit public fixé à 3 % en loi de finances initiale a été révisé en avril dans le programme de stabilité à 3,7 %. Il pourrait néanmoins être assez sensiblement dépassé. La Cour a évalué le risque sur le produit des recettes et le niveau des dépenses.
S'agissant des recettes, deux formes de risques ont été identifiées. La première porte sur les prévisions de croissance du PIB. Le programme de stabilité table sur une croissance de 0,1 %, prévision qui demeure fragile. Si la dernière prévision de l'INSEE, moins pessimiste que celle de l'OCDE, se réalise, soit une diminution du PIB de 0,1 %, 2 milliards d'euros de recettes manqueront. Le déficit serait alors accru de 0,1 point de PIB. La seconde forme de risque concerne les hypothèses techniques dites d'élasticité, qui mesurent la façon dont le produit des recettes varie en fonction de la croissance. Or ces hypothèses avaient été surestimées dans le projet de loi de finances pour 2013. Elles ont été en grande partie révisées dans le programme de stabilité, mais des fragilités demeurent. Ainsi, la prévision de TVA suppose que les facteurs qui ont provoqué la baisse du produit de cet impôt en 2012 ne joueront pas en 2013. Hors révision de la croissance économique, les risques sur le produit des recettes pourraient atteindre jusqu'à 6 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.
Selon la Cour, les objectifs de dépenses apparaissent réalisables. Elle a identifié, sur le champ de la norme en valeur, des risques de dépassement d'un ordre de grandeur habituel, soit entre 1 et 2 milliards d'euros, que les redéploiements et annulations de crédits peuvent couvrir. En 2012, 3,7 milliards d'euros avaient été annulés en cours de gestion. Au-delà de ces risques habituels, il convient de souligner l'importance de l'aléa que constitue le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, qui pourrait être majoré d'1,8 milliard d'euros. En sens inverse, des économies pourraient être constatées sur la charge d'intérêts de la dette. Dans le domaine social, si le rythme actuel de la dépense de soins observée se prolonge, les dépenses pourraient être inférieures de 500 millions d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté, compensant, au moins pour partie, les risques qui s'attachent à une sous-estimation des dépenses des collectivités territoriales. L'objectif d'une croissance des dépenses publiques dans leur ensemble limitée à 0,9 % en volume, après 1 % en 2012, apparaît, sur la base des informations actuellement disponibles, atteignable.
Au total, la Cour considère que le nouvel objectif de déficit de 3,7 % du PIB retenu dans le programme de stabilité risque d'être dépassé en raison de prévisions de recettes qui demeurent trop optimistes. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un déficit effectif se situant autour de 4 % du PIB.
Compte tenu de l'ampleur de l'effort programmé et de l'atonie de la croissance économique en 2012 et en 2013, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'envisager des mesures de rééquilibrage en cours d'année. Elle prolonge en cela le raisonnement de nature structurelle qu'elle avait tenu à l'occasion du rapport public annuel de février dernier. En revanche, il convient que l'effort programmé, le plus important de l'histoire budgétaire récente, soit entièrement réalisé. La plus grande vigilance doit être portée au strict respect des objectifs de dépense.
La même logique de prise en compte de la conjoncture conduit à décaler dans le temps des objectifs de déficit effectif. Le programme de stabilité établi par le Gouvernement prévoit un déficit public inférieur à 3 % en 2014. En réalité, en reprenant les efforts structurels prévus dans le programme de stabilité, soit 1 point de PIB en 2014 et 0,6 point en 2015, mais en retenant des hypothèses plus prudentes en matière de croissance économique et de dynamique des recettes, ce ne serait qu'en 2015 que le déficit public serait ramené à 3 %. Cette analyse rejoint la proposition de recommandation formulée fin mai par la Commission européenne, sur le point d'être adoptée par le Conseil de l'Union européenne. Ce report de deux ans met en évidence le caractère déjà en partie dépassé du programme de stabilité d'avril. Plus fondamentalement, les trajectoires de soldes effectif et structurel de la loi de programmation des finances publiques apparaissent aujourd'hui en décalage manifeste, tant avec les résultats de l'exercice 2012 qu'avec les prévisions du programme de stabilité, en particulier pour 2013. Ces écarts posent la question d'une mise à jour de la loi de programmation qui doit constituer la référence principale en matière de conduite et de surveillance des finances publiques. Le desserrement du calendrier n'autorise aucun relâchement de l'effort structurel de réduction du déficit. L'effort programmé pour 2014 et 2015, soit 1,6 point de PIB au total, s'il est moins important que celui de la seule année 2013, représente une exigence forte, car il est prévu qu'il porte à 80 % sur les dépenses publiques, conformément aux objectifs fixés par le Gouvernement pour rester sur la trajectoire qu'il a tracée et sur laquelle le Parlement s'est prononcé en avril. Ce choix de privilégier désormais le levier des dépenses va dans le sens des préconisations de la Cour depuis plusieurs années. Il représente une rupture par rapport aux années passées, pendant lesquelles le redressement avait été réalisé, en quasi-intégralité, par des mesures de recettes nouvelles. En conséquence, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45 % du PIB en 2012, le niveau le plus élevé jamais atteint. Cette hausse, qui devrait se prolonger en 2013, s'est accompagnée d'une forte instabilité fiscale. Dans un contexte de concurrence entre Etats et de déficit de compétitivité et d'attractivité de notre territoire, il serait contreproductif d'augmenter encore sensiblement ce niveau. Le Gouvernement prévoit un freinage accentué de la dépense publique, dont la croissance en volume serait limitée à 0,4 % en 2014 et à 0,2 % en 2015. En dépit de ce freinage, le programme de stabilité prévoit des mesures significatives de hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros correspondraient à une compensation de la baisse du rendement de certaines mesures passées et 7 milliards d'euros à un surcroît net de recettes. La Cour estime que ces mesures devraient concerner surtout la sécurité sociale. Ces 7 milliards de mesures nouvelles en recettes en 2014, suivies par une stabilisation en 2015, sont à rapprocher des 33 milliards d'euros votés en 2013, aux 22 milliards d'euros en 2012 et aux 18 milliards d'euros en 2011. Elles devraient en priorité passer par une réduction du coût des niches fiscales et sociales.
Pour réaliser l'effort programmé, d'importantes économies sur la dépense publique devront être dégagées: 13 milliards en 2014, puis 15 milliards en 2015. Cependant, à ce stade, les réformes permettant une réduction du poids de la dépense publique ne sont, pour la plupart, qu'esquissées. La Cour estime que cette réduction est réalisable, si l'on agit rapidement. Prendre des mesures ayant un impact significatif dès aujourd'hui évitera de devoir prendre des mesures plus drastiques demain. Aucun acteur de la dépense publique ne doit par principe être écarté de la participation à l'effort. Les services de l'État et l'assurance maladie, pour lesquels les outils de pilotage de la dépense sont les plus développés, ont subi ces dernières années une contrainte plus forte que les autres acteurs, en particulier les opérateurs de l'État et les collectivités territoriales. Tous les acteurs sont concernés, toutes les formes de dépenses également. La maîtrise de la masse salariale est indispensable. Des économies sur les dépenses d'intervention, c'est-à-dire les subventions et les prestations sociales sont d'autant plus essentielles qu'elles représentent plus de la moitié de la dépense publique et qu'elles ont été peu concernées par les mesures prises jusqu'ici, notamment dans le cadre de la RGPP.
La maîtrise des dépenses passe par des réformes de fond. L'effort à venir est une occasion de rompre avec une culture qui met trop l'accent sur les moyens et pas assez sur les résultats obtenus. La France occupe en 2012 la deuxième place parmi les pays de l'OCDE en matière de dépenses publiques dans le PIB, avec 56,6 %, et se rapproche du Danemark qui occupe la première place. Mais notre pays figure bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats de ses politiques publiques sont mesurés notamment pour le logement, la formation professionnelle, l'éducation nationale. Trop souvent en effet, le réflexe, lorsqu'il s'agit de régler un problème consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s'ajoutent aux anciens sans que ces derniers ne soient supprimés. De nombreux dispositifs sont peu suivis ; or, leur étude révèle souvent qu'ils sont insuffisamment ciblés. La tolérance envers ces effets d'aubaine, pour peu que l'objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation. La multiplication d'acteurs publics, dont les compétences se recoupent souvent, est en elle-même une source de dépenses. Il existe incontestablement d'importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni les principes du modèle social français. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. La démarche de recherche d'économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour a montré le mois dernier qu'une révision profonde des modes de gestion des enseignants améliorerait les résultats du système scolaire et répondrait mieux aux attentes des enseignants que la variation des effectifs. Elle a livré en janvier un rapport sur les politiques relatives au fonctionnement du marché du travail mettant en évidence que les dispositifs existants, d'indemnisation du chômage ou de formation professionnelle, ne bénéficiaient que peu à ceux qui en avaient le plus besoin. D'autres rapports de la Cour illustrent le contenu qui peut être donné à des réformes de fond : l'organisation des forces de sécurité, la politique en faveur du sport, les musées, le service de santé des armées, la psychiatrie, les services d'incendie et de secours, etc. Pour faciliter l'acceptation des choix, et réussir dans la conduite du changement, il est préférable que ces réformes structurelles résultent d'un diagnostic aussi partagé que possible. Pour cela, l'outil à privilégier est l'évaluation des politiques publiques, à laquelle concourent le Parlement, la Cour des comptes mais aussi le Gouvernement, par la démarche de modernisation de l'action publique, la MAP. Il est essentiel que les travaux engagés dans le cadre de la MAP aboutissent. Le retard pris dans la mise en place de ces réformes structurelles, le fait que la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'apporte plus de nouvelles économies et l'ampleur des efforts à réaliser en 2014 et 2015 rendent nécessaire, à court terme, la mise en place de mesures transversales de freinage de la dépense publique, comme le gel de la valeur du point dans les fonctions publiques ou une moindre progression de l'ONDAM. Cela peut passer également par une moindre revalorisation de certaines prestations sociales, à l'exception des minima sociaux comme le minimum vieillesse ou le revenu de solidarité active. Ces revalorisations inférieures à l'inflation ou modulations pourraient concerner les pensions de retraite, les prestations familiales ainsi que les aides au logement. Pour préserver les retraités les plus modestes, cette mesure pourrait être modulée en fonction du niveau total des pensions perçues.
De telles mesures transversales produisent des effets rapides et substantiels. Elles seront d'autant mieux admises qu'elles seront temporaires et limitées, dans l'attente des indispensables réformes structurelles. Les décideurs doivent définir des priorités, effectuer des choix explicites, améliorer le ciblage de dispositifs qui touchent un trop large éventail de bénéficiaires, reconsidérer des politiques publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs ou le font à un coût trop élevé. A cette fin, la Cour livre dans la cinquième partie de ce rapport un éventail de réformes possibles susceptibles de contribuer à la maîtrise des dépenses. Pour l'État, sont suggérées notamment un ciblage plus pertinent des dispositifs d'aide à la presse, d'aide aux buralistes, de certaines aides au logement ou de certaines dépenses dans le secteur de la formation professionnelle continue. La poursuite de la professionnalisation de la politique des achats de l'État entraînerait des économies substantielles. Sur la seule maintenance des équipements militaires, la Cour avait identifié 300 millions d'euros d'économies potentielles. Les coûts de gestion des services de l'État pourraient être encore allégés, par exemple en modernisant la gestion des pensions ou celle de l'impôt.
L'organisation des services déconcentrés de l'État peut encore être améliorée ; la Cour avait cité en janvier 2012 l'exemple des sous-préfectures. Elle livrera prochainement un rapport sur l'organisation d'ensemble des services territoriaux de l'État. L'organisation des services à l'étranger présente également des marges d'amélioration.
La maîtrise de la masse salariale de l'État, qui représente le tiers de ses dépenses, constitue naturellement un enjeu central. A effectifs constants, de nombreux facteurs contribuent à la hausse tendancielle de la masse salariale, estimée à 1,3 milliard d'euros. Il s'agit notamment des mesures catégorielles et de l'effet des avancements, appelé GVT positif. Pour tenir les objectifs de dépenses, le Gouvernement a prévu de limiter l'accroissement de la masse salariale à 300 millions d'euros par an à effectifs stables. Cela suppose de mener une politique salariale très rigoureuse qui combine le gel du point de la fonction publique ou une très faible revalorisation de celui-ci, une réduction importante des mesures catégorielles et un ralentissement des déroulements de carrière. Une telle option risque ainsi de priver l'État d'une grande partie des leviers d'une politique dynamique de gestion des ressources humaines. D'autres leviers peuvent être actionnés, notamment une réduction limitée des effectifs. La Cour présente plusieurs scénarios ; parmi ceux-ci figure par exemple le non-remplacement d'un départ à la retraite sur six, soit une réduction d'effectifs de 10 000 emplois à temps plein. Une telle réduction pourrait s'accompagner d'une augmentation de la durée effective du travail des agents, afin de limiter les conséquences sur la qualité des services publics rendus. Ces orientations valent également pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Les régimes de protection sociale doivent d'autant plus contribuer à la maîtrise des dépenses que leurs comptes s'inscrivent dans des perspectives non soutenables.
Les projections de la Cour, fondées sur les hypothèses actualisées du programme de stabilité et, pour les années suivantes, sur des hypothèses d'évolution de la masse salariale équivalentes à celles connues au cours des douze dernières années, font apparaître une dégradation de près de 10 milliards d'euros du solde du régime général de la sécurité sociale à l'horizon 2017. A politique inchangée, le régime général serait constamment déficitaire d'ici 2030, y compris la branche maladie. Le déficit de l'ensemble du système de retraite, d'1,6 % du PIB en 2030, serait plus élevé que celui envisagé par le Conseil d'orientation des retraites. Ces perspectives appellent des mesures de redressement rapides pour prévenir les déficits à venir, et des réformes plus structurelles pour contenir la croissance spontanée des dépenses.
Une réforme des modalités d'organisation et de prise en charge des transports sanitaires, ou une simplification du régime des indemnités journalières pour congé maladie entraîneraient des économies. S'agissant des retraites, plusieurs possibilités sont sur la table, comme la limitation des avantages familiaux accordés aux retraités, notamment la majoration de 10 % des pensions pour avoir élevé trois enfants, ou la réduction du coût de certaines niches sociales bénéficiant aux retraités. La Cour a aussi identifié la possibilité d'économiser un milliard d'euros dans les dépenses de personnels et de gestion administrative des caisses de sécurité sociale.
Enfin, les collectivités territoriales ont à participer à l'effort, leurs dépenses non liées aux transferts de compétences s'étant fortement accrues au cours des dernières années. La loi de programmation des finances publiques a prévu une stabilisation, puis une réduction d'une partie des concours financiers de l'État, qui représentent le quart des ressources des collectivités. Il convient de veiller à ce que cette diminution ne s'accompagne pas d'une hausse symétrique des impôts locaux. Un mécanisme de redistribution des ressources entre collectivités permettrait de ne pas pénaliser les plus fragiles. L'État pourrait accompagner cet effort d'une démarche de réduction du coût des normes qu'il leur impose. De nombreuses pistes d'économies existent pour les collectivités. Les mutualisations permises par le développement de l'intercommunalité sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets bénéfiques. La masse salariale - effectifs, mesures catégorielles et déroulements de carrière - doit être mieux maîtrisée : elle a augmenté de 3,3 % en 2012 contre 2,4 % en 2011, alors que l'État a quasiment stabilisé cette dépense. La rationalisation de la gestion du patrimoine des collectivités, dont l'entretien coûte chaque année 3 milliards d'euros, dégagerait d'importantes économies. Certains postes de dépenses sont susceptibles d'être sensiblement réduits, comme la publicité et les relations publiques, pour 1,5 milliard d'euros.
Ainsi les réformes à venir constituent une opportunité pour moderniser l'action publique, clarifier des rôles tenus par chacun, évaluer des dispositifs pour mieux les cibler. Le redressement est possible sans les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en place (fortes diminutions de prestations sociales ou de rémunérations). Cela suppose d'agir rapidement et de faire en sorte qu'aucun acteur ne soit exonéré de l'exigence collective d'un usage efficace et proportionné des moyens publics dont il dispose. Il appartient aux représentants du suffrage universel de définir ces choix, à partir de leurs objectifs et priorités. La Cour cherche à formuler des propositions pour que notre pays parcoure la seconde moitié du chemin du redressement des comptes qui reste devant lui et comble son déficit de compétitivité. Le sens final de cette action est le relèvement de la croissance de demain et la garantie de la cohésion sociale de notre pays.
Votre analyse contribue à éclairer le Parlement dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de règlement.
Avez-vous d'ores-et-déjà identifié des risques de dépassement des plafonds de crédits dans certaines missions, en raison de sous-budgétisations ou en raison de décisions coûteuses qui nécessiteraient un pilotage rigoureux ?
Quelle pourrait être l'incidence, sur la trajectoire des finances publiques, de la décision de Bruxelles d'accorder à la France un délai pour ramener son déficit sous la barre des 3% ? L'objectif demeure de revenir à l'équilibre en 2017.
La Cour des comptes regrette l'absence d'une gouvernance adaptée aux engagements européens qui couvre l'ensemble des administrations publiques et des collectivités territoriales. Quelles évolutions suggère-t-elle s'agissant de la structuration et de l'articulation des textes financiers ?
Enfin beaucoup souhaitent réduire les niches fiscales. Quelle méthode préconisez-vous : le rabot ou une baisse sélective ?
La Cour des comptes souligne la gravité de la situation des finances publiques ; les perspectives sont inquiétantes, notamment pour les finances sociales.
Que pensez-vous des mesures de réforme de la politique familiale annoncées, notamment de la baisse de 25 % du plafond du quotient familial ? Ces mesures seront-elles suffisantes pour rétablir l'équilibre de la branche Famille ?
Concernant les retraites, sur quelles variables joueriez-vous pour rétablir l'équilibre du régime général : taux de remplacement, âge de départ, indexation des pensions ?
La Cour présente différents scenarios d'évolution des comptes des différentes branches du régime général : dans le pire scénario l'évolution de la masse salariale retenue, variable essentielle dans la définition du niveau des produits du régime général, est de 3,1 %, alors que le taux moyen ces dernières années est de 1,5 %. Ce ralentissement implique-t-il une baisse tendancielle des produits de la Sécurité sociale ces prochaines années?
Je ne saurais vous répondre sur les risques de dépassement par missions. Les services de Bercy ne nous ont pas fourni des informations aussi détaillées que l'an passé, le Gouvernement ayant considéré qu'il n'avait pas demandé un audit. Pourtant ce rapport est avant tout destiné au Parlement et un éclairage sur l'exécution en cours d'année est précieux.
Les services de Bercy n'ont pas fait preuve de la même disponibilité que l'an passé.
Espérons simplement que l'an prochain nous pourrons travailler dans de meilleurs conditions. Les risques que nous avons identifiés sont les mêmes que ceux que nous identifions chaque année - sous-budgétisation et dépassement de crédits. Ils représentent un à deux milliards d'euros. La réserve de précaution ou les gels de crédits décidés en loi de finances apparaissent suffisants pour y remédier. La seule interrogation concerne le prélèvement sur recettes pour l'Union européenne.
Les risques les plus importants se situent du côté des recettes. D'une part le calcul du Gouvernement est optimiste, d'autre part la croissance risque de ne pas s'élever à plus 0,1 %, comme prévu, mais plutôt à moins 0,1 % selon l'Insee. C'est pourquoi nous anticipons un déficit proche de 4 %, et non de 3,7 %, en 2013.
En reportant de deux ans de l'objectif de ramener le déficit sous la barre des 3 %, Bruxelles a tenu compte du principe de réalité et de la croissance atone. Mais cela ne signifie pas qu'il faille relâcher les efforts. La Cour des comptes ne considère pas que des efforts supplémentaires par rapport au programme de stabilité soient nécessaires mais juge qu'il convient de préciser les mesures qui seront prises pour réduire les dépenses en 2014 et 2015. Jusque-là l'effort a consisté en des hausses d'impôts. Le Gouvernement souhaite faire porter l'effort sur une réduction des dépenses structurelles, qui représentera deux tiers de l'effort en 2014, 80 % en 2015. Nous appelons de nos voeux ces mesures structurelles. D'ici-là des mesures immédiates de freinage des dépenses ou de modulation s'imposent : rabot, gel du point des fonctionnaires, etc. Plus les mesures structurelles seront prises tôt, plus les mesures de freinage de la dépense seront temporaires.
Aucun instrument équivalent à la loi de finances ou de financement de sécurité sociale ne retrace les objectifs et les engagements financiers des collectivités territoriales. Selon la Constitution, les collectivités territoriales s'administrent librement dans le respect des lois qui les réglementent. L'État dispose néanmoins de moyens d'action. La loi de programmation évoque un pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales ; il est essentiel de parvenir à un engagement contractuel de maîtrise des dépenses. L'État peut aussi modifier le niveau des dotations mais il ne doit pas augmenter les charges des collectivités territoriales par des transferts de compétence non compensés ou en imposant de nouvelles normes.
Concernant les niches fiscales ou sociales, au rabot ou au forfait, nous préférons une méthode sélective fondée sur une appréciation du rapport entre le coût et l'efficacité de chaque dispositif. Il faut développer l'évaluation. Nous proposons également de diminuer les niches dont les bénéficiaires sont aisés, comme les crédits d'impôts pour frais de garde, ou les dispositifs d'investissement outre-mer, peu efficaces et qui s'apparentent à des mécanismes d'optimisation fiscale.
Nous avons mentionné aussi la CSG des retraités au-delà d'un certain niveau de retraite, l'exonération d'impôts au profit des arbitres et des juges sportifs, l'exonération d'impôt sur le revenu pour les apprentis - qui est inopérante pour les apprentis d'origine modeste, puisqu'ils sont déjà non imposables -, l'abattement de 10 % pour frais professionnels des retraités, qui peut être progressivement ajusté, la différence de traitement, difficile à comprendre, entre les contrats collectifs de santé et de prévoyance, soumis à une taxe de 8 %, et la participation et l'intéressement qui sont taxés à 20 %. Vous n'avez plus qu'à décider !
J'ai bien compris que vous n'étiez pas un adepte du rabot, mais plutôt du filet de pêche à grosses mailles, qui prend de gros poissons, ce qui serait, il est vrai, plus rentable...
En effet. Il ne m'appartient pas de commenter les récentes décisions qui ont été prises en matière de politique familiale. Pour la branche Famille, il peut être pertinent de ne pas raisonner seulement en termes d'imposition mais aussi d'examiner le niveau de la dépense. L'effet sur les comptes publics serait différent. Nous avons souhaité alerter sur les perspectives de déficit des comptes sociaux : les hypothèses retenues par le COR et la commission Moreau sont optimistes au regard de l'expérience que nous avons. Nous avons chiffré l'écart et insisté sur l'urgence qu'il y a à traiter ce dossier. Il appartient aux responsables politiques de décider des mesures à adopter.
Nous n'avons pas fait des projections par branche sur vingt ans, à législation constante, avec une progression de l'Ondam de 2,5 % et un niveau de prestations inchangé. Nous avons souhaité illustrer la sensibilité des besoins de financement à une modification, même réduite, des hypothèses macroéconomiques : le simple fait de substituer les hypothèses officielles du programme de stabilité, que le Haut Conseil avait considérées comme légèrement optimistes, à la projection utilisée pour élaborer la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 génèrerait 10 milliards d'euros de déficit supplémentaire pour le régime général en 2017. De même, le besoin de financement du système de retraites est très sensible aux hypothèses macroéconomiques. Plutôt que de présenter plusieurs scenarios, nous en avons privilégié un, qui correspond au scenario C du COR, et fait l'hypothèse que l'évolution de la masse salariale que nous avons connue depuis 2000 se prolongera après 2018.
Cela reste optimiste !
En effet. Cela donne une lecture différente de l'acuité des besoins de financement... La prudence impose de privilégier un tel scenario, qui n'est lui-même pas garantit. Le Haut Conseil des finances publiques conduit des travaux sur la croissance potentielle à l'issue de la crise. Il faudra installer un jour une homogénéité.
Merci pour ces réponses. Quel jugement la Cour des comptes porte-t-elle sur l'augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB ? Existe-t-il un mouvement conjoncturel, ou un processus structurel, résultant du déficit de production par rapport au niveau potentiel ? Vous préconisez une baisse du niveau des dépenses publiques, et indiquez que cela suppose une réforme en profondeur des politiques publiques. Depuis la révision constitutionnelle, la Cour des comptes a des responsabilités en ce domaine. Comment les avez-vous organisées ? Cette évolution vous paraît-elle heureuse, au vu des canons théoriques qui veulent que l'évaluation des politiques publiques soit ouverte et reliée étroitement au processus de décision publique ? Une étude du Conseil des prélèvements obligatoire met en évidence la faiblesse du niveau d'imposition des grandes entreprises, et une autre fait le même constat pour les entreprises bancaires. Peut-on remédier à la faiblesse du taux d'imposition réel de ces entreprises ? N'y a-t-il pas là un gisement de recettes inexploité ?
Merci pour cet exposé, que j'ai déjà entendu ce midi à la radio ! La qualité et la rigueur de votre analyse et de vos travaux clarifient la situation. J'espère que vos préconisations seront suivies. Je ne partage pas votre optimisme : nous sommes loin de la moitié du chemin. Je m'étais opposé à la décomposition du solde effectif en solde conjoncturel et solde structurel, pour intellectuellement séduisante qu'elle puisse paraître, car je pressentais que la première partie irait croissante et la seconde, décroissante, pour montrer que nos efforts sont importants mais que la conjoncture annule leurs effets. Le tableau que vous nous présentez confirme mes pressentiments : de 2011 à 2014 la composante conjoncturelle a augmenté, et la composante structurelle a diminué. L'atonie actuelle de la croissance est-elle conjoncturelle ? Je la considère comme structurelle, étant donné l'état de notre économie. Si vous la considérez comme conjoncturelle, quel serait notre déficit dans de meilleures conditions ? L'environnement international nous est-il vraiment plus défavorable qu'en 2008, pour que la composante conjoncturelle soit si élevée ?
Merci pour cet éclairage précis. Ce que vous nous avez dit est très grave. Le Gouvernement n'a pas été coopératif pour vous aider à lever le voile, ce qui me paraît contraire au processus vertueux enclenché par la Lolf, qui prévoyait l'éclairage du débat d'orientation budgétaire par les résultats de la loi de règlement. La rhétorique de la Cour ne tamise-t-elle pas l'éclairage que vous nous apportez ? Aucune décision n'est prise, alors que les déficits s'accumulent. Vous avez évoqué les niches fiscales pour l'outre-mer ; la presse se faisait ce matin l'écho d'un arbitrage du Premier ministre : une fois de plus, il ne va rien se passer. Tout va très bien, c'est du Ray Ventura ! Je souhaiterais un vrai débat sur ces niches fiscales, autour de données factuelles que nous fournirait la Cour des comptes.
Je me suis rendu récemment à Bruxelles avec Marc Massion. Les restes à liquider (RAL) s'élèvent à 240 milliards d'euros. Les chefs d'État et de Gouvernement viennent d'arrêter un cadre pluriannuel pour la période 2014-2020 comportant des autorisations d'engagement de 960 milliards d'euros et 908 milliards d'euros de crédits de paiement. L'écart va donc continuer à se creuser : la Cour ne devrait-elle pas dénoncer cette pratique ? En 2013 nous risquons de voir une progression très sensible de la contribution de chaque État membre, et notamment de la France : nous avons prévu quelque 20 milliards d'euros, il y aura certainement des lois de finances rectificatives dans le budget européen qui accroîtrons notre déficit de plusieurs milliards d'euros, surtout s'il faut aussi participer au comblement des déficits d'autres pays de la zone euro, comme Chypre.
Pour sortir de ce tamisage, qui nous rend tous plus ou moins complices, ne pourriez-vous faire observer au Gouvernement que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) est une manière de reporter sur 2014 l'allègement des charges sociales de 2013 ? Les entreprises qui bénéficieront de ce crédit d'impôt pourront inscrire dans leur bilan 2013 une créance sur l'État d'à peu près 10 milliards d'euros - 20 milliards d'euros fin 2014 - mais l'État ne constatera pas sa dette ! Pour créer l'électrochoc nécessaire à ce qu'enfin la lumière que vous apportez suscite le courage de décider, ne soyez pas complice d'une atténuation du diagnostic.
Le déficit de l'Unedic, qui sera de l'ordre de 5 milliards d'euros en 2013, pèse sur le déficit public. La montée du chômage le creuse, mais il n'est jamais débattu par le Parlement, alors que l'État garantit la dette de l'Unedic, qui était de 15 milliards d'euros fin 2012. Ne pensez-vous pas qu'une loi organique devrait donner au Parlement la possibilité de se prononcer sur le déficit de l'Unedic et de faire pression sur les partenaires sociaux qui en sont gestionnaires ?
- Présidence de M. Roland du Luart, vice-président -
Il est exceptionnel de vivre un moment de vérité : je salue celui-ci ! Nous avons fait la moitié du parcours, mais essentiellement en augmentant les impôts. Le problème de la réduction des dépenses publiques demeure entier : aucun chemin ne se dessine. Le CICE devait être financé à 50 % par des économies. Les ressources fiscales rentrent mal - le manque à gagner semble être de 5 à 7 milliards d'euros - et des dépenses nouvelles sont annoncées : un milliard d'euros pour les emplois aidés, le CICE, pour lequel la BPI va assumer cette année 2 milliards d'euros de financement pour le compte de l'État, et jusqu'aux crèches, il y a quelques jours, sans parler des incertitudes européennes. Vous êtes président du Haut Conseil des finances publiques, qui a été créé faute d'adopter la règle d'or. Ne croyez-vous pas qu'il est temps de demander au Gouvernement de nous présenter une loi de finance rectificative ? Ce serait bien dans l'esprit de la LOLF, dont vous avez été l'un des actifs promoteurs.
Les perspectives de croissance que vous annoncez ne sont guère réjouissantes. L'investissement des collectivités locales est en baisse, alors que nous sommes en année pré-électorale, où l'investissement atteint généralement un pic. Nombre de conseils généraux connaissent d'importantes difficultés et réduisent leurs investissements. Les communes et les intercommunalités, de même, anticipant les baisses de dotation et constatant la baisse de leurs recettes, ralentissent leurs investissements. Ce phénomène se prolongera sans doute en 2014 et en 2015. La Cour des comptes a-t-elle intégré dans ses prévisions l'impact de ces réductions de dépenses des collectivités locales ? Environ 70 % de l'investissement non militaire en France tient aux collectivités locales : si elles dépensent moins, l'impact sur la croissance sera réel.
L'État dialogue avec les grandes associations de collectivités locales : association des régions de France, association des départements de France, assemblée des communautés de France, association des maires de France... Les élus locaux ont-ils véritablement conscience que les décisions financières qu'ils prennent contribuent en partie à la situation financière du pays ? Face aux baisses de dotations, ils réagiront de différentes manières : compresser les dépenses de fonctionnement, augmenter les impôts locaux, ou la dette, ou réduire les investissements... Je n'ai pas l'impression qu'ils se sentent vraiment concernés. Sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales, faut-il leur imposer de respecter certains critères, afin de maîtriser mieux les finances publiques ?
Nous avons eu un débat sur la sensibilité du déficit aux recettes et aux dépenses. Le Gouvernement a choisi les recettes, malgré l'opposition de certains qui souhaitaient que les dépenses soient d'abord diminuées. Au point où nous en sommes, ce qui peut infléchir le déficit, c'est la dépense. Connaît-on l'impact de certaines catégories de dépenses sur le déficit ? Faut-il passer, pour le réduire, par les dépenses sociales ? Par les dotations aux collectivités locales ? La croissance potentielle en France semble avoir baissé de 2 % à 1,2 %. Quel est le chiffre exact ?
J'ai rappelé le niveau de la dépense publique en France : 56,6 %. Nous sommes le deuxième pays de l'OCDE, après le Danemark que nous allons peut-être dépasser dans les deux prochaines années. Mais nous sommes loin des premières places quand il s'agit d'efficacité et de qualité de l'action publique. D'autres pays, sans dépenser plus que nous, obtiennent de meilleurs résultats. Sans doute, notre culture du contrôle et de l'évaluation est insuffisante. Nous avons aussi tendance à résoudre chaque problème en accroissant les effectifs ou les moyens, ce qui n'est pas toujours la réponse la plus pertinente : il faut s'attaquer aussi aux problèmes d'organisation, de gestion, de répartition, pour obtenir de meilleurs résultats. Même en faisant porter l'effort structurel sur la dépense, celle-ci continue d'augmenter : notre objectif actuel est une croissance de 0,4 % en volume, c'est-à-dire supérieure à l'inflation. L'effort est réalisable, à condition de mener des réformes de fond, comme l'ont fait d'autres pays. Il faut mener la modernisation de l'action publique. Le Parlement doit se saisir de son pouvoir d'évaluation des politiques publiques, avec l'aide de la Cour des comptes.
Oui, les grandes entreprises utilisent des mécanismes d'optimisation fiscale. Le coût de la gestion des pensions, celui de la collecte peuvent être diminués. Nous suivons ces sujets de près. Le Haut Conseil des finances publiques s'est saisi de la question de la croissance potentielle, qui diffère considérablement selon les organismes d'études. Tout dépend de l'analyse de la crise et de son impact sur notre croissance potentielle : quelle perte définitive ? Les points de vue des économistes divergent. Il est intéressant d'avoir le solde effectif et le solde structurel : raisonner indépendamment de la conjoncture est utile, mais le solde effectif est celui qui nourrit la dette... La moitié du chemin aura été parcouru à la fin de l'année 2013, sous réserve que les engagements soient tenus. En effet, les services n'ont pas été aussi disponibles que l'an dernier. Cela ne nous a pas empêchés de faire notre travail et de vous apporter un éclairage. Ce rapport vous est d'autant plus utile pour préparer la loi de règlement qu'il comporte de premiers éléments sur l'exercice 2013 ; nous fournissons aussi une balance des risques, pour les recettes comme pour les dépenses, avec un regard impartial.
La Cour des comptes européenne a formulé des recommandations sur les sujets que vous avez abordés. Faut-il intégrer l'Unedic dans une loi plus générale de financement de la protection sociale ? Nos outils de gouvernance ne sont pas encore totalement adaptés à un pilotage du solde des administrations publiques. A vous d'utiliser votre droit d'amendement pour proposer des améliorations !
Il n'appartient pas à la Cour des comptes ou au Haut Conseil des finances publiques de se prononcer sur la pertinence d'un collectif budgétaire. Le Haut Conseil des finances publiques peut recommander des mesures des corrections, mais nous n'en sommes pas à ce stade. Nous évaluerons les hypothèses macroéconomiques du projet de loi initiale pour 2014, et apprécierons si la loi de finances est cohérente avec elles. Nous appelons à davantage de cohérence entre les textes qui fixent les objectifs : programme de stabilité, loi de programmation, lois de finances... Il serait utile qu'après que le Conseil européen aura acté des objectifs, la loi de programmation en tire les conséquences : quand chacun se fonde sur des références différentes, le débat est difficile.
L'investissement local a augmenté en 2012 et augmente en 2013. Mais toute dépense d'investissement n'est pas obligatoirement pertinente ! L'effort de maîtrise concerne aussi les collectivités territoriales. L'État doit-il les contraindre davantage ? Il peut être utile de prolonger la possibilité d'accords contractuels, mais les collectivités locales doivent se sentir concernées par la nécessité, pour la France, de tenir ses engagements. Il faut raisonner toutes administrations publiques confondues. La Cour n'a pas mesuré la sensibilité du déficit à différents types de dépenses. Les conséquences sont différentes sur l'activité et l'emploi, bien sûr ; tout dépend de la nature de l'économie réalisée et de l'ampleur du coup de rabot. Notre rapport sur l'éducation montre que des redéploiements de crédits aboutiraient à des meilleurs résultats de notre système éducatif : cela n'aurait pas d'impact sur l'emploi. Il y a des marges de manoeuvre grâce auxquelles nous pourrons revenir à l'équilibre en 2017, comme les pouvoirs publics s'y sont engagés.
La Cour des comptes reste à votre disposition.
J'ai rencontré récemment le président de la Cour des comptes européenne, qui m'a paru davantage préoccupé par la régularité des comptes que par leur sincérité.
Par l'évaluation des politiques publiques, également.
Notre contribution au budget européen pour 2013 va être fortement réévaluée : c'est la dernière année du cadre budgétaire 2007-2014, au cours duquel nous avons poussé devant nous des autorisations d'engagement pour lesquelles il n'y avait pas de crédit de paiement. Il y a plus de 200 milliards d'euros de RAL !
Nous en sommes conscients, et avons insisté sur cet aléa. Nous ne pouvons pas considérer qu'il s'agit d'une dépense exceptionnelle.
La tension sur les marchés m'inquiète : en une semaine, les taux ont augmenté de 45 points de base. Depuis un an, ces taux étaient extrêmement bas. S'ils augmentent d'un coup de 150 ou 200 points de base, le déséquilibre de nos finances publiques s'aggravera sensiblement. Qu'en pensez-vous ?
Les taux d'intérêt ont vocation à remonter dans les années à venir, c'est pourquoi nous appelons à maîtriser l'endettement : plus la dette est élevée, plus la charge de la dette est importante et sensible aux évolutions des taux. Cent points de base supplémentaire coûteraient 2 milliards d'euros supplémentaires la première année, et 12 milliards d'euros après dix ans. Il s'agit de sommes considérables, qui pourraient remettre en cause la capacité de l'État à agir. Les évolutions récentes des marchés sont une réaction excessive aux propos du président de la Réserve fédérale américaine. Vont-elles se poursuivre ? Pour l'année 2013, la France a fait la plupart de ses opérations. Il faut néanmoins surveiller cette situation, et respecter nos engagements.
La Constitution comporte un article 40, qui limite, ce qui est une excellente chose, les initiatives dépensières des parlementaires. Par définition, une telle contrainte ne saurait exister à l'encontre du pouvoir exécutif. Je regrette cependant parfois qu'il n'existe pas une sorte de compteur des engagements. Indépendamment du budget, de la loi de règlement, des programmes de stabilité adressés à Bruxelles, il rassemblerait les paroles publiques susceptibles de se traduire par des dépenses. L'actualité montre que de tels engagements continuent à émailler la chronique : volume des contrats aidés, modifications de la gestion des rythmes scolaires - que les dépenses induites soient supportées par les communes ou par l'État -, suppression de la journée de carence dans la fonction publique... Toutes ces annonces ne correspondent pas à une inscription immédiate de crédits, mais si elles sont suivies d'effet, elles ne manqueront pas de se traduire par de nouvelles charges. Je regrette parfois qu'il n'existe pas une obligation, pour l'auteur de tels engagements, de préciser, en contrepartie, les réductions de dépenses ou les ressources supplémentaires par lesquelles les mesures annoncées seraient équilibrées. La Cour des comptes ne pourrait-elle pas tenir le compte de ces engagements non gagés ?
Vaste sujet. Ce n'est pas dans les missions de la Cour des comptes, qui sont déjà nombreuses, ni dans celles du Haut Conseil des finances publiques. Cette question s'adresse plutôt au législateur, c'est-à-dire à vous-même, Monsieur le Président ! Le Parlement a l'occasion d'interroger les ministres ; il dispose aussi de la capacité de faire évoluer la législation, voire la Constitution...La Cour des comptes sait rester à sa place : nous faisons des constats, nous éclairons le débat par nos rapports, mais les décideurs, ce sont les responsables politiques.
Merci pour cet éclairage, à la veille du débat d'orientation sur les finances publiques.