Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 25 juin 2013 à 14h30
Refondation de l'école de la république — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite me limiter dans cette intervention à la question de la politique des cycles et à ses corollaires.

En préalable, je dois avouer, monsieur le ministre, que votre volonté de faire glisser la question des cycles du domaine du législatif au domaine réglementaire m’est apparue quelque peu curieuse. Je ne vois pas en quoi l’application des cycles sera plus effective si elle est traitée par le pouvoir réglementaire, dès lors que ses corollaires ne sont pas acceptés par tous.

Il y a au moins trois corollaires à l’effectivité de la politique des cycles : l’individualisation des enseignements, la multiplication des évaluations diagnostique – dont je dirai peu de mots car je crois que votre travail va en ce sens, monsieur le ministre – et l’interdiction du redoublement en milieu de cycle. Je précise que c’est particulièrement vrai pour les petites classes, durant lesquelles s’effectue l’apprentissage de la lecture, qui doit être une priorité nationale.

S'agissant tout d’abord de l’individualisation des enseignements, nous partageons tous, sur l’ensemble de ces travées, l’idée que chaque élève n’a pas le même rythme d’apprentissage. En conséquence, l’enseignement doit prendre en compte le rythme d’apprentissage de l’élève.

L’idée du cycle, dans les petites classes, c’est exactement cela. Le cycle doit permettre à chaque élève de progresser à son rythme, afin que, à terme, chaque élève sache lire, écrire et compter.

Cependant, mes chers collègues, comment voulez-vous prendre en compte les différences de rythme d’apprentissage des élèves si vous ne distinguez pas les enseignements qui leur sont proposés ? Autrement dit, pensez-vous qu’un cours d’apprentissage de la lecture dispensé de façon magistrale à l’ensemble des élèves réponde à la fois aux besoins des élèves les plus forts et à ceux des élèves les plus faibles ? La réponse est négative, et de cette situation découle en partie le taux d’illettrisme que nous connaissons.

Au fur et à mesure que l’année avance, l’enseignant va lui-même avancer dans le programme. Dès lors, les élèves qui ne savent pas déchiffrer un texte au mois de janvier seront condamnés au redoublement. Ils sont même condamnés à bien plus que cela, les études de cohortes l’ont montré : ils sont voués au décrochage scolaire. Le déterminisme est total.

La différenciation ou l’individualisation des enseignements est l’un des instruments de la lutte contre l’illettrisme et l’échec scolaire.

Cette individualisation des enseignements doit prendre la forme du travail en petits groupes de niveau. Cela n’exige pas de moyens supplémentaires, mais des redéploiements. En revanche, une telle méthode de gestion de la classe est très exigeante et suppose une formation adéquate des enseignants.

Nombreuses sont aujourd’hui les expérimentations ayant démontré les bienfaits de cette organisation de l’enseignement : le programme PARLER mené à Grenoble, auquel il est souvent fait référence ; le projet mené par Torgesen en Floride, qui a permis de diviser par huit l’échec scolaire en lecture en cinq ans ; enfin, le projet Lecture, actuellement mené en France et dont les résultats sont publiés depuis peu.

Tel est le premier corollaire de l’effectivité de la politique des cycles dans les petites classes. Je pensais qu’il devait être inscrit dans la loi. C’est pourquoi j’avais déposé un amendement en ce sens en première lecture.

Le deuxième corollaire de l’effectivité de la politique des cycles est la multiplication des évaluations diagnostiques.

L’apprentissage de la lecture est un sujet extrêmement technique. Voilà pourquoi nos enseignants doivent être bien formés pour préparer au mieux tous les élèves à cet apprentissage. Cela me permet au passage, monsieur le ministre, de saluer la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. À cet égard, je le répète, ce qui m’importe, ce sont les enseignements qui y seront dispensés.

L’enseignant doit réaliser des évaluations diagnostiques pour savoir où en est exactement l’élève qu’il a en face de lui. Ce n’est que grâce à ces évaluations précises et répétées qu’il pourra ajuster sa pratique pédagogique, afin de répondre au mieux aux besoins de l’élève.

Le troisième corollaire de l’effectivité de la politique des cycles est l’interdiction du redoublement en milieu de cycle.

Bien que l’idée même de la politique des cycles soit de mesurer les acquis des élèves à l’issue du cycle et alors, éventuellement, de sanctionner l’élève qui n’aurait pas les acquis suffisants, nous le sanctionnons, aujourd’hui, en milieu de cycle.

La logique des cycles voudrait qu’un élève qui a du retard à l’issue du cours préparatoire se voie octroyer un renfort d’enseignement durant l’année de CE1 pour rattraper son retard, et ce afin qu’à l’issue du CE1 il maîtrise les fondamentaux. Or, aujourd’hui, un élève qui a du retard en CP est condamné au redoublement.

À dire vrai, tolérer le redoublement en CP revient à nier l’idée même de la politique des cycles. Je crois, là encore, monsieur le ministre, que votre appréciation de l’efficacité pédagogique du redoublement dans les petites classes n’est pas divergente de la mienne. En revanche, j’aurais préféré que l’on interdise strictement le redoublement, quitte à l’assortir de dérogations, plutôt que de le rendre « exceptionnel ».

Que veut dire « exceptionnel » ? Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous donniez un caractère concret à cet adjectif, en prenant une circulaire disposant, par exemple, que le redoublement ne pourra être admis pour plus d’un élève par classe. Sinon, nous n’avancerons pas sur cette question et nous en reparlerons encore dans dix ans !

J’avais d’ailleurs déposé en première lecture un amendement visant, là aussi, à instaurer l’interdiction stricte du redoublement en CP. Vous m’aviez alors objecté, madame le rapporteur, que, dans certains cas, tels que l’aléa familial – la perte d’un parent, par exemple – l’enfant pouvait être déstabilisé et que le redoublement était alors légitime. Une interdiction stricte du redoublement en CP était donc impossible.

Je ne partage pas cette vision. En réalité, ce que vous allez infliger à cet élève, si vous me permettez l’expression, c’est la double peine : alors qu’il souffre déjà de l’aléa familial en question, vous allez lui faire subir un redoublement, lequel aura des conséquences déterminantes sur la réussite de son parcours scolaire.

De cette argumentation, comment ne pas extrapoler que, à partir du moment où vous prenez en compte le fait familial pour expliquer une décision de redoublement, ou une absence de réussite scolaire, vous niez l’idée même d’école républicaine, selon laquelle chaque élève, indépendamment de son contexte économique, culturel ou social doit pouvoir réussir ?

Tant que nous continuerons de croire que les mauvais résultats d’un élève en lecture, par exemple, peuvent s’expliquer par son contexte familial, par exemple parce que ses parents ne parlent pas français ou sont illettrés, nous n’arriverons pas à endiguer l’illettrisme, ni à lutter contre l’échec scolaire.

La difficulté scolaire est trop souvent perçue comme indissociable du milieu familial, donc insurmontable. Il s’agit de l’une des causes essentielles de la constitution de l’échec scolaire dans notre pays. Revenir sur cette croyance collective n’est pas aisé, mais parvenir à montrer que tous les élèves peuvent réussir serait un pas important dans la résolution du problème de l’échec scolaire.

C’est la raison pour laquelle le premier module d’enseignement qui devrait être dispensé dans les écoles de professorat est celui de l’explication de « l’effet maître » et de l’importance de ce dernier sur les acquis des élèves. Ce module devrait rappeler que pèse sur les enseignants une certaine obligation de résultat concernant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul.

Cela signifie également que nous avons, parlementaires et pouvoir exécutif, notre part de responsabilité. Nous ne pouvons entretenir un système qui conduit chaque année en cours préparatoire des milliers d’enfants ne maîtrisant pas les sons du langage oral.

Voilà pourquoi il est de notre responsabilité de réformer profondément les apprentissages en maternelle et de mettre l’accent sur les apprentissages cognitifs. Notre divergence profonde sur une question aussi importante pour l’avenir de milliers d’enfants de ce pays me conduira à ne pas voter ce texte.

En conclusion, monsieur le ministre, je souhaite vous demander de saisir, dès qu’il sera créé, le Conseil national d’évaluation du système scolaire, sur la question des enseignements dispensés aux élèves de maternelle. Quels enseignements permettent de lutter le plus efficacement possible contre les inégalités scolaires et l’illettrisme ?

Vous appelez à la transparence, aux évaluations scientifiques, et je vous crois sincère, comme je crois à la pertinence de cette instance. Dès lors, monsieur le ministre, saisissez-la de cette question si importante !

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