Intervention de David Assouline

Réunion du 25 juin 2013 à 21h45
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de David AssoulineDavid Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les présidentes, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour la discussion du bilan annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Cet exercice n’a rien de formel. Au contraire, je le considère comme l'un des temps forts de l’activité de contrôle du Sénat.

En effet, en présence du Gouvernement et des présidents des sept commissions permanentes du Sénat, ce débat nous donne l’occasion d’une réflexion d’ensemble sur l’application des lois, thème auquel le Sénat accorde une grande attention depuis plus de quarante ans, comme vient de le rappeler M. le président.

Aujourd’hui, le Parlement ne peut plus se contenter de voter des lois. Chacun en est conscient, nous devons aussi contrôler la manière dont ces lois s’appliquent et vérifier si elles répondent vraiment aux attentes de nos concitoyens. C’est un enjeu de démocratie, c'est une question de crédibilité de l’action publique et de confiance dans l’institution parlementaire et, comme vous le savez tous, c'est une œuvre particulièrement indispensable dans la période que nous traversons.

En outre – je l’ai souvent souligné à cette tribune –, je vois une forte logique de continuité entre la fonction de contrôle et la fonction législative. En faisant le bilan des régimes existants, nous sommes conduits à identifier leurs faiblesses ou leurs lacunes et à envisager les améliorations nécessaires pour tendre vers ce que j’appellerai un travail législatif efficace – d'autres parlent de « rendement législatif ».

Contrôler plus pour légiférer mieux : voilà, en quelque sorte, la maxime qui pourrait résumer la philosophie de cette commission depuis sa mise en place, en 2012.

À ce propos, je tiens à souligner le précieux concours que nous apportent, depuis le début, les commissions permanentes, le Gouvernement – en particulier le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui anime la procédure législative et l’écriture des décrets d’application – et le secrétariat général du Gouvernement, dont il est en quelque sorte le bras armé pour ces questions d’application des lois.

J’en viens au bilan annuel. Mes chers collègues, vous avez pu constater que le rapport ne ressemble pas tout à fait à celui des années précédentes. Bien entendu, vous y retrouvez les grands indicateurs habituels de l’application des lois. J’ai toutefois jugé important d’y évoquer aussi plusieurs perspectives nouvelles qui, à terme, devraient faciliter l’exercice de cette mission de contrôle et rendre l’environnement normatif plus performant, plus simple et plus accessible à tous.

Je commencerai par les statistiques. Je vous indique d’abord que, cette année, nous avons méthodiquement recoupé nos chiffres avec ceux du secrétariat général du Gouvernement, pour constater que nos décomptes respectifs aboutissaient à des résultats d’ensemble convergents. C’était une précaution indispensable pour prévenir toute controverse inutile sur les statistiques, comme cela a pu avoir lieu par le passé.

Je précise ensuite que le rapport couvre une période allant du 14 juillet 2011 au 30 septembre 2012. Nous avons retenu ces bornes en coordination avec le secrétariat général du Gouvernement pour mesurer correctement l’incidence du changement de gouvernement et de législature survenu à la suite des élections de mai et juin 2012.

Toute polémique mise à part, nous ne pouvions faire abstraction de la chronologie des mandatures depuis 2007. En effet, à partir de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, le gouvernement de François Fillon n’a eu à mettre en application que des lois issues de lui-même ou héritées des gouvernements Raffarin et Villepin, c'est-à-dire des textes issus tous de la droite.

En 2012, au contraire, la situation a été moins confortable, car l’actuel Gouvernement a dû mettre en application les lois de l’ancienne majorité et ses propres textes.

Sous le bénéfice de ce double rappel, il est possible d’examiner la mise en application des lois cette année.

Mon premier constat est que les chiffres de 2011-2012 marquent une amélioration par rapport aux exercices précédents, aussi bien en valeur absolue qu’en termes de délais de parution des décrets d’application.

L’application des lois a été une priorité forte du Gouvernement : dès son entrée en fonction, il a confirmé l’objectif énoncé en 2008 – mais rarement respecté jusque-là – de faire paraître dans un délai maximum de six mois les décrets d’application de toute loi nouvelle.

Vous trouverez le détail des chiffres dans mon rapport ; retenons simplement que le taux global de mise en application des mesures législatives adoptées durant la session 2011-2012 atteint 66 %, pourcentage supérieur de deux points à celui de la session précédente, qui, avec 64 %, était déjà un bon résultat. Certes, avec seulement deux points de différence, d’aucuns voudront conclure à une stagnation, mais ne nous y trompons pas : sans être artificiel, le taux de l’an dernier s'explique en réalité par un effet de calendrier.

Depuis de nombreuses années, le taux d'application avait plafonné entre 30 % et 40 %, si bien que, en 2010-2011, il n’a pu enregistrer un brutal gonflement – pour atteindre 64 % – au seul motif que de vrais efforts avaient été engagés par le secrétariat général du Gouvernement et par le ministre des relations avec le Parlement. Ce ressaut s'explique surtout par le fait que, dans les derniers mois avant les élections, le gouvernement Fillon a redoublé d'effort pour que toutes les lois de la mandature soient mises en application. Ce gonflement ne reflète donc pas une tendance de fond qui caractériserait la précédente législature.

Dès la première année de son action, le Gouvernement actuel a dépassé le meilleur taux atteint par le précédent gouvernement. Cela mérite d'être souligné et nous espérons que ce nouveau rythme sera tenu.

En tout cas, nous constatons actuellement que la pression a été maintenue et que presque 90 % des lois de la session 2011-2012 sont aujourd’hui partiellement ou totalement appliquées.

Pour les textes de la XIVe législature, c’est-à-dire ceux de l’actuelle majorité, les premières statistiques confirment la tendance : plus de 80 % des lois sont déjà partiellement ou totalement en application, alors même que le délai de six mois n’est pas encore expiré.

Un autre élément positif se dégage : le taux et les délais de mise en application des textes d’initiative parlementaire – propositions de loi et amendements – sont à peu près du même ordre que pour les lois d’origine gouvernementale. Cela n’a pas toujours été le cas : le gouvernement précédent était moins diligent à faire appliquer les textes qui venaient du Parlement.

Je regrette simplement que le Gouvernement ait montré plus d’empressement pour les textes de l’Assemblée nationale que pour ceux du Sénat. Si le taux est le même pour les textes issus du Gouvernement et ceux dont le Parlement est à l'origine, un déséquilibre demeure entre les lois issues de l’Assemblée nationale et celles qui émanent du Sénat. Il se trouve que nous sommes au Sénat ; nous insisterons donc sur cette situation jusqu'à l'obtention d'une parfaite égalité de traitement.

En revanche, l’application des lois votées après engagement de la procédure accélérée révèle un paradoxe. Si une telle décision est prise par le Gouvernement, c’est qu’il faut aller vite. Mais pourquoi imposer au Parlement un examen en urgence pour un si grand nombre de projets, s’il faut souvent attendre plusieurs mois la publication des décrets d’application ? Le taux d'application des lois votées selon cette procédure n’est en effet pas meilleur que pour les autres lois. C’est un problème que nous soulevons.

Cette urgence à deux vitesses peut paraître choquante, même si je peux comprendre que les procédures d’élaboration des décrets imposent des cadences et des consultations impossibles à court-circuiter. Néanmoins, si l'on trouve le moyen d'accélérer le travail parlementaire, on doit pouvoir accélérer aussi le travail de l'administration.

Pour conclure sur les chiffres de l’année, la situation marque une amélioration réelle par rapport aux années précédentes. Je crois légitime d’en donner acte au Gouvernement, même si nous sommes encore loin d’atteindre le taux de 100 %. On me rétorquera que 100 %, c'est la perfection… Mais il s’agit ici des lois et toutes doivent trouver application ! Nous continuerons donc à nous battre pour cet objectif.

Le deuxième constat concerne le rattrapage des retards antérieurs. Sur ce point, je serai plus nuancé. L’objectivité force à reconnaître que l’on avance à un rythme plus médiocre et que l'on se trouve même, parfois, totalement bloqué… Il est difficile de demander à un gouvernement d’établir des priorités, d'accélérer et de mettre son énergie dans la publication de décrets de lois votées sous une précédente législature. Même en 2007, on ne s’est pas empressé d'appliquer les lois précédentes, alors qu’il s'agissait globalement de la même majorité ; il est vrai que le nouveau Président de la République avait d'autres priorités…

Pour les lois héritées de la précédente majorité parlementaire, entre les mois de juin 2007 et de juin 2012, l’actuel Gouvernement a publié cinquante règlements ou rapports, soit la moitié des textes attendus. Sans chercher aucunement à polémiquer, je précise que c'était pire après 2007 pour les lois antérieures à 2007…

Aujourd'hui, l’apurement des lois antérieures à 2007 ne marque aucun progrès significatif par rapport aux sessions précédentes. Devons-nous nous résigner à ce qu’une loi qui n’est pas mise en application rapidement après son adoption soit, à la longue, condamnée à ne jamais l’être ?

Je n’engagerai pas ce débat ce soir. Il n’en demeure pas moins que cela reste un sujet de préoccupation pour la commission que je préside, comme en témoigne mon rapport.

Le troisième constat porte sur les rapports que le Gouvernement est tenu de remettre au Parlement. Sur ce point également, la situation n’est guère satisfaisante, même si elle n’est pas nouvelle.

Comme chaque année, nous observons moins de diligence dans la production des rapports que dans la publication des décrets, malgré les rappels quasi incantatoires du Parlement.

Une statistique annuelle n’aurait pas grand sens, mais, si l’on considère la totalité des lois adoptées depuis 1980, le Parlement aurait dû se voir remettre plus de 500 rapports. Or il n’en a reçu que 245, soit un taux global inférieur à 50 %.

Cependant, comme l’ont souligné à juste titre plusieurs membres de la commission, n’avons-nous pas une part de responsabilité, en tant que parlementaires, dans cette situation ? Le Parlement ne demande-t-il pas trop de rapports ?

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