Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 25 juin 2013 à 21h45
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, pour la deuxième année, un débat est organisé en séance publique sur le bilan de l’application des lois, ce dont je me félicite.

Je suis en effet convaincu que, à travers des coopérations fructueuses entre les commissions permanentes et la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, nous pouvons enrichir de façon significative la fonction de contrôle des assemblées parlementaires. J’aurai l’occasion d’y revenir dans la suite de mon propos.

Cette année, deux modifications importantes ont eu une incidence sur le contexte dans lequel a été établi le bilan d’application que je vous présente.

La première modification concerne la période prise en compte, dont les bornes ont été ajustées pour établir un nouveau calendrier, comme cela a été développé tout à l'heure par David Assouline.

La seconde modification porte sur le périmètre des lois suivies par la commission que je préside. En effet, la partition de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, décidée par l’adoption de la résolution du 19 décembre 2011 portant modification du règlement du Sénat, a entraîné une redistribution entre les deux nouvelles commissions - affaires économiques et développement durable - du stock des lois dont l’ancienne commission de l’économie assurait jusqu’à présent le suivi réglementaire.

Ces deux modifications substantielles rendent très difficile toute comparaison avec les bilans dressés précédemment. Pour autant, en m’appuyant sur l’analyse des textes d’application des vingt-quatre lois dont le suivi a été confié à la commission des affaires économiques en fonction de ses champs de compétences nouvellement définis, je présenterai un bilan qualitatif et formulerai quelques préconisations.

Sur ces vingt-quatre lois, quatre ont été adoptées au cours de l’année parlementaire de référence. Il s’agit d’un chiffre relativement faible, imputable, comme vous le savez, mes chers collègues, à l’interruption prolongée des travaux parlementaires en raison des élections présidentielle, puis législatives ; toutefois, compte tenu du rythme auquel nous examinons les projets de loi, peut-être rattraperons-nous ce retard ! §Il s’agit de la loi relative aux certificats d’obtention végétale, de la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique, de la loi relative à la majoration des droits à construire et de celle qui vise précisément à abroger cette dernière.

Les deux textes relatifs à la majoration des droits à construire étaient d’application directe. On peut cependant regretter que la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique soit encore aujourd’hui, quinze mois après sa promulgation, totalement inapplicable, alors qu’un seul décret en Conseil d’État est attendu.

Je ne peux que rappeler qu’il s’agit d’une loi d’origine parlementaire, provenant, cette fois-ci de l’Assemblée nationale, mais un texte quasiment identique avait été déposé par notre collègue Ladislas Poniatowski. Malgré ce consensus parlementaire, l’administration ne semble pas se précipiter pour chausser ses bottes et rédiger les textes d’application...

Je regrette également que la loi relative aux certificats d’obtention végétale ne soit, à ce jour, toujours applicable qu’à hauteur de 12 %. On peut d’autant plus dénoncer cette lenteur qu’il s’agit, là encore, d’un texte d’initiative sénatoriale, déposé par notre collègue Christian Demuynck. Certes, ce texte n’a pas fait l’objet du même consensus politique que la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique, comme en témoigne le débat qui a eu lieu dans cet hémicycle le 27 mars dernier, mais, a priori, le ministre de l’agriculture s’est engagé à publier prochainement les décrets à l’issue d’une concertation avec les parties prenantes, et je sais qu’elle a lieu. Je souhaite, monsieur le ministre, avoir confirmation de cet engagement.

Je souhaite également insister sur le fait qu’une majorité de nos lois en stock n’est que partiellement applicable, ce qui est loin d’être satisfaisant. Dans certains cas, d’importants retards sont à déplorer. Il en est ainsi de la loi de 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, qui n’est applicable qu’à hauteur de 88 %, et de la loi, également de 2005, relative à la régulation des activités postales – la durée des débats sur ce texte nous laisse à tous un souvenir particulier –, applicable à seulement 80 %.

La loi de 2010 portant réforme du crédit à la consommation n’est, quant à elle, applicable à ce jour qu’à hauteur de 89 %. Même si les mesures restant à prendre ne portent pas sur les aspects fondamentaux du texte, il faut déplorer que les modalités de procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires des mutuelles et des institutions de prévoyance ne puissent, faute de mesures réglementaires, être concrètement envisagées.

Dans quelques jours, nous commencerons l’examen du projet de loi relatif à la consommation, dans lequel un amendement du Gouvernement a introduit le registre national des crédits aux particuliers. Il eut été peut-être pertinent de pouvoir évaluer auparavant l’efficacité de tous les dispositifs précédents, plus simplement de la loi dite « Lagarde ».

Comme l’année dernière, je tiens également à déplorer les « défaillances » de l’administration s’agissant du dépôt des rapports au Parlement prévus par les différents textes de loi. Et la remise de tels rapports n’est pas plus effective lorsqu’il s’agit d’une disposition initiale du Gouvernement. Tout le monde est donc logé à la même enseigne, monsieur le ministre, mais cela donne à réfléchir : il faut absolument combattre cette solution de facilité qui consiste à prévoir un rapport sur un dispositif qui ne peut être adopté dans la loi. Je ne reviendrai pas sur le débat relatif au nombre de rapports demandés : vous connaissez ma position. Il me semble regrettable de réclamer la remise d’un rapport sur un texte relativement important dans les six mois suivant son entrée en vigueur, car on sera incapable non seulement de le produire, mais aussi d’évaluer les effets proprement dits de la loi.

Je constate encore que le projet de loi relatif à la consommation tel qu’adopté ces jours-ci par la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale n’échappe pas à ce travers.

Pour notre bilan 2011-2012, les chiffres sont éloquents : sur les 52 rapports prévus par les 24 lois suivies par notre commission des affaires économiques, seuls 20 avaient été déposés au 31 mars dernier ! Certains rapports attendus sont prévus par des lois datant de 2004... Or 7 rapports prévus par la loi de 2008 de modernisation de l’économie n’ont, par exemple, toujours pas été déposés.

Cette remarque m’amène, comme la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, à m’interroger sur le devenir de mesures législatives anciennes, qui, au bout de sept ou huit ans, ne sont toujours pas applicables. À titre d’exemple, je citerai, dans le secteur de l’énergie, la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique : a priori, trois décrets en Conseil d’État sont encore attendus pour appliquer les articles 60, 94 et 100 et l’administration a fait part de ses interrogations sur le bien-fondé même de ces dispositifs et sur les risques d’effets contre-productifs, liés à l’évolution du contexte économique, des technologies, que je peux comprendre. Mais dans un tel cas de figure, il faut supprimer les mesures en cause ! Le statu quo au bout de huit ans n’est plus acceptable et il faut éventuellement que le Gouvernement propose une modification de la loi elle-même si la nécessité d’adapter ces dispositifs s’impose. À propos également du domaine de l’énergie, lors de la discussion de la future loi sur la transition énergétique, ne pourrait-on pas faire le ménage sur les lois antérieures ?

Bien plus, lorsque de tels retards sont constatés, ne faudrait-il pas engager une réflexion sur « l’obsolescence » de telle ou telle mesure législative en déshérence ? C’est pourquoi j’ai déjà proposé à maintes reprises dans cette enceinte que les textes soient « biodégradables » au bout de cinq ans si l’ensemble des décrets ne sont pas parus et appliqués. Je le reconnais, mon propos est quelque peu provocateur, mais il faut fixer un délai raisonnable de parution des décrets, faute de quoi plus personne ne saura quelles dispositions de la loi en question sont réellement applicables. Bien sûr, je connais l’adage selon lequel nul n’est censé ignorer la loi, mais comment comprendre celle-ci lorsque les décrets d’application ne sont pas parus ?

En conclusion, je souhaite insister sur la coopération très intéressante qui s’établit en matière de contrôle de l’application des lois, à travers les rapports d’information thématiques confiés à des binômes, voire des trinômes, de sénateurs.

Notre collègue Jean-Jacques Lasserre participe ainsi actuellement, aux côtés de nos collègues Luc Carvounas et Louis Nègre, à la rédaction du rapport sur l’application de la loi de 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, que nous devrions examiner au début du mois prochain.

Au-delà de l’examen strictement quantitatif du bilan des textes d’application, ces rapports permettent d’apprécier l’effectivité de l’application d’une loi au regard des objectifs fixés par le législateur. C’est comme cela que doit s’entendre la fonction de contrôle du Parlement reconnue par la réforme constitutionnelle de 2008. §

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