Intervention de Yves Rome

Réunion du 25 juin 2013 à 21h45
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Yves RomeYves Rome :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étendue des compétences de notre commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, chargée de veiller à la bonne application des textes votés par le Parlement dans leur mise en œuvre concrète sur le terrain, nous appelle à une grande responsabilité et à beaucoup de minutie pour mener à bien cette mission.

C’est dans cet esprit que j’ai souhaité, en tant que membre de cette nouvelle commission sénatoriale présidée par notre excellent collègue David Assouline, établir un état des lieux de la législation en matière d’aménagement numérique du territoire, en dressant un bilan de l’application des dispositions organisant l’action des collectivités territoriales dans les domaines du haut et du très haut débit. Mon collègue Pierre Hérisson et moi-même avons auditionné les principaux acteurs de la filière et rendu en mars dernier notre rapport intitulé État, opérateurs, collectivités territoriales : le triple play gagnant du très haut débit.

Ce contrôle, à mon sens, ne doit pas se cantonner à considérer les effets de la législation existante, mais doit nous amener, lorsque cela est nécessaire, à proposer des cadres législatifs plus adaptés. Telle est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus dans notre rapport : l’impérieuse nécessité de redéfinir le paradigme normatif pour la couverture du territoire français en très haut débit.

Plus largement, ce rapport témoigne de l’importance pour le Parlement – et, partant, pour le Sénat – de veiller de manière soutenue à l’application de la législation, mais aussi de porter un œil attentif à la régulation du secteur des communications électroniques. Tout le monde comprendra que je veux évoquer ici l’importance du rôle joué par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP.

En effet, l’évaluation de la loi de 2004, de la loi de modernisation de l’économie puis de la loi Pintat, nous amène à constater un décalage entre le modèle économique du déploiement du très haut débit et les objectifs visés par lesdites dispositions. Le programme national en faveur du très haut débit de l’ancien gouvernement, reprenant des décisions antérieures de l’ARCEP et de l’Autorité de la concurrence, a provoqué une importante fracture territoriale, en laissant aux opérateurs le soin d’équiper en fibre optique les zones les plus denses et les plus attractives commercialement et en renvoyant 80 % du territoire au financement des collectivités territoriales.

Les évolutions récentes vont dans le sens des préconisations de notre rapport, qui appelait au retour de l’État stratège. Des signaux positifs ont depuis été envoyés, sans pour autant bouleverser le dispositif antérieur afin de ne pas retarder l’atteinte de l’objectif. Le rôle majeur des collectivités locales a été confirmé et mieux pris en compte dans le nouveau dispositif mis en place par le Gouvernement. Je tiens, en particulier, à me féliciter du choix d’avenir clairement exprimé par le Président de la République, le Premier ministre et la ministre déléguée à l’économie numérique, celui de la fibre optique.

La mission sur le très haut débit, confiée à Antoine Darodes, préfigurant la création d’un futur établissement public pour répondre plus efficacement aux engagements du Président de la République, à savoir l’équipement de tout le territoire en fibre optique en dix ans, témoigne encore de cette mobilisation de la puissance publique.

De plus, le choix technologique de la fibre a été conforté par l’installation de la mission présidée par M. Champsaur, ancien président de l’ARCEP, reconnu pour son expertise en la matière, réunissant parlementaires, dont Pierre Hérisson, et spécialistes sur le sujet déterminant pour l’avenir du dispositif : l’extinction du fil de cuivre de France Télécom.

Pour autant, un long chemin reste à parcourir pour que l’État retrouve toute sa place dans le nouveau dispositif : quelques dizaines de spécialistes seulement peuplent à ce jour l’administration centrale, alors que, au même moment, en vertu de je ne sais quelle indépendance, plusieurs agences ou autorités captent l’essentiel des moyens et de l’expertise : 168 agents à l’ARCEP, plus de 300 à l’Agence nationale des fréquences et autant au CSA ! Aussi, le risque est que l’État, dépourvu de moyens, confie indirectement le pilotage du déploiement du très haut débit à ces autorités qui n’obéissent à personne, sinon à elles-mêmes.

Les moyens existent : ne serait-il donc pas judicieux de les regrouper dans un établissement public pour le déploiement de la fibre ? Sur une matière aussi déterminante pour l’avenir de notre société, j’en appelle au renforcement de l’État stratège et je réclame que, dans l’esprit qui a présidé à la création de notre commission, ces sujets fassent l’objet d’une évaluation permanente par le Parlement.

Alors même que le numérique envahit tous les moments de la vie par l’augmentation exponentielle de ses usages, il est grand temps que la représentation nationale redonne de la cohérence à tous ces savoir-faire que je viens de rappeler.

C’est pour toutes ces raisons que je souhaite ardemment qu’une grande loi sur le numérique voie le jour le plus rapidement possible, pour traiter des infrastructures, de la fiscalité et, bien sûr, des usages numériques. Leur inscription dans le marbre de la loi confortera ainsi les dispositifs destinés à accompagner l’effort des collectivités territoriales, sécurisées qu’elles seront grâce aux possibilités d’emprunt à long terme à des conditions avantageuses.

Fort de ces avancées et clarifications, le conseil général de l’Oise, que je préside, a fait sien, avec l’esprit pionnier qui le caractérise, les objectifs du législateur en termes d’accès au très haut débit pour tous, afin de renforcer l’attractivité du territoire et lutter contre les fractures territoriales. Nous avons fait le choix de la clarté technologique, celui de la fibre optique. Notre schéma directeur territorial d’aménagement numérique, ou SDTAN, a été adopté à l’unanimité et le syndicat mixte « Oise très haut débit », créé dernièrement, a reçu la même approbation unanime.

Notre ambition pour la France doit s’insérer dans un cadre beaucoup plus large, celui de l’Europe, comme l’ont exprimé avec force Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, pas plus tard qu’hier, dans une tribune des Échos, intitulée « Pour une Europe des télécoms tournée vers l’investissement ». Cela me laisse penser que le travail que nous avons mené au Sénat n’a pas été inutile ! Je cite nos ministres : « nouveau souffle », « changement de paradigme », « créer les conditions favorables à l’investissement en privilégiant le co-investissement », « nouvelles règles […] simples, stables et visibles » pour « investir dans les réseaux de nouvelle génération à très haut débit » parce que, je cite une fois encore, « le numérique constitue l’un des principaux leviers pour le retour à la croissance de l’Europe ».

Je crois avoir prononcé ces mêmes mots à plusieurs reprises, dans cet hémicycle, devant vous, mes chers collègues ! Je me réjouis de constater que nous nourrissons tous la même ambition d’une économie numérique innovante, porteuse de croissance, d’emplois, et donc d’un avenir meilleur.

Si le numérique est la marque de l’esprit pionnier qui anime les territoires, il en va de même de bien d’autres sujets, sur lesquels les collectivités expérimentent et se rassemblent pour rendre le meilleur service au public. Dans l’Oise, c’est sur ce modèle que fonctionnent le huitième aéroport de France, celui de Beauvais-Tillé, qui voit passer près de 4 millions de voyageurs par an, ou l’établissement public foncier local pour le logement, et je pourrais citer bien d’autres exemples de partenariats fructueux entre les divers échelons territoriaux qui rassemblent leurs moyens financiers, leurs expertises et leurs forces vives au service d’un territoire et de ses habitants.

Comment, dans ces circonstances peut-on encore stigmatiser un prétendu « millefeuille » territorial et appeler à une répartition plus stricte des compétences ? Où est le manque de clarté lorsque les projets avancent grâce aux partenariats féconds que les collectivités savent nouer entre elles ? La clause de compétence générale a fort heureusement été préservée pour les collectivités et je m’en félicite, car c’est bien cette clause qui nous permet d’agir, de corriger des défauts de la législation ou de la réglementation existantes et de pallier également les défaillances de l’État qui n’a plus aujourd’hui les moyens d’embrasser tous les champs de l’action publique.

Enfin, l’application de la loi portant création des emplois d’avenir votée en octobre 2012, engagement fort du Président de la République, doit fournir l’occasion, une fois de plus, de prouver l’inventivité et l’utilité des collectivités locales. Le département de l’Oise s’est engagé avec détermination dans la mise en œuvre de ce dispositif, convaincu qu’il constituait une piste d’avenir. À nos côtés, les communes et le tissu associatif se mobilisent, mais également la région, que nous allons par ailleurs accompagner dans la mise en place du volet « formation » de la loi.

Ce que j’avais appelé il y a quelques mois « le sel des territoires » est plus que jamais d’actualité : les collectivités locales sont des atouts majeurs pour notre pays, nos investissements et notre croissance, dans le cadre de la mise en œuvre du très haut débit, de la mobilité, mais aussi de la lutte pour l’emploi.

C’est la raison pour laquelle, cher président Assouline, j’appelle de mes vœux la constitution, au sein de la commission pour le contrôle de l’application des lois, d’une mission d’évaluation des nombreuses innovations soutenues par les collectivités territoriales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion