Intervention de Corinne Bouchoux

Réunion du 25 juin 2013 à 21h45
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, à cette heure tardive, on va essayer de faire ni de l’autosatisfaction ni de l’autoflagellation !

Le travail de cette commission est nécessaire, car il permet un certain recul sur la façon dont les lois s’appliquent. Il permet, plus largement, de vérifier si les objectifs que nous poursuivons sont bien atteints ou si d’autres voies plus efficientes pourraient être recherchées.

Un mérite, qui n’est pas des moindres de cette commission, est qu’il nous oblige à porter nous-mêmes un regard critique et autocritique sur notre travail un temps bref après le vote d’une loi. Un zoom, une focale sur le sens de notre travail.

Même si ce n’est pas toujours agréable, on découvre, lors de ce travail de déconstruction d’un texte et de son application, les lacunes initiales, les « pas entendus » ou les « mal entendus » qui, mis bout à bout, peuvent parfois rendre notre travail imparfait malgré les regards bienveillants et experts de nos collaborateurs et la haute qualité des équipes administratives de la Haute Assemblée, que je souhaite saluer ici. Enfin, nos textes sont quelquefois de subtils équilibres qui, à force d’acrobaties, à force de vouloir concilier des injonctions très contradictoires, peuvent parfois confiner à des choses difficilement applicables.

L’autre éclairage précieux de ce travail collectif, associant, comme cela a été dit, des duos hautement improbables aux sensibilités différentes, et l’acquis des tables rondes fort intéressantes, dont on pourra lire le compte rendu dans la publication, est que l’on y découvre, par exemple, les treize étapes qui vont de la loi à son application via un décret en Conseil d’État. Et on peut ainsi identifier les divers blocages potentiels dont l’un des moindres n’est pas, à nos yeux, l’interministériel qui doit faire travailler en commun des cultures administratives très variées et, parfois, contraires. C’est souvent, selon nous, le nœud du problème.

Indépendamment de la grande qualité des personnes, indépendamment de la qualité des formations, la conjonction du nœud interministériel et de certains lobbies, je citerai, à tout hasard, l’Association des énarques ou certains grands corps de l’État, rend parfois extrêmement difficile l’application de certains textes qu’ils sont censés faciliter. Cela reste selon nous un tabou que notre commission gagnerait à explorer utilement.

Tel des Sherlock Holmes, nous, les membres de la commission, traquons les « pertes en ligne ». Nous recherchons, en quelque sorte, les symptômes et causes des limites de notre action, un exercice salutaire mais peut-être périlleux.

Nous votons trop de lois bavardes qui restent parfois caduques, que nous ne savons pas abroger.

Je reprendrai ici, même si elle n’est plus là, l’exemple cité par notre collègue la sénatrice Isabelle Debré lors de notre dernière réunion en commission. Elle évoquait l’exemple d’un texte archaïque, le serpent de mer qui interdit le port du pantalon aux femmes. Le texte en question est une ordonnance, contrairement à ce qui a pu être dit et répété, celle du 16 brumaire an IX, 7 novembre 1800, qui dispose que « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé ».

Le 31 janvier 2013 le ministère des droits des femmes a fait savoir, par un communiqué, que l’ordonnance est « implicitement abrogée ».

Il s’agit, selon nous, d’un commentaire, d’un avis, mais le ministère n’a pas le pouvoir d’abroger ce texte. L’avis rendu s’est borné à constater que l’ordonnance était incompatible avec le préambule de la Constitution de 1946 et qu’elle ne pouvait plus recevoir application. L’abrogation a été implicite, mais elle n’est pas de fait. Car, en droit administratif, l’abrogation explicite devrait être décidée par l’auteur de l’acte, à savoir le préfet de police. Or ce dernier n’a pas encore jugé bon, en 2010, de le faire, arguant, ce qui peut s’entendre, qu’il n’était pas là pour faire de l’archéologie législative.

Dans un registre moins symbolique mais tout aussi important, nous attirons votre attention sur les demandes sans cesse croissantes de nos concitoyens en direction de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, sur les causes de la non-application de lois à travers la demande de documents ponctuels. À cette occasion, j’aimerais nous interroger collectivement sur l’application de la loi de 1978, qui mériterait sans doute d’être revisitée.

Grâce aux nouvelles technologies et à une meilleure information, nos concitoyens connaissent de mieux en mieux les textes, les lois, et leur intolérance est grande face aux lois inappliquées ou inapplicables.

Un autre point à améliorer, qui apparaît en filigrane dans les rapports, est, selon nous, la consultation en amont du travail législatif. Il y a une profusion de consultations ça et là, dans tous les sens, mais il y manque une mise en perspective et, surtout, une lisibilité et une visibilité de toutes ces consultations.

Enfin, – il faudrait vérifier ce chiffre – il se dit que les préfets devraient prendre en compte 80 000 pages de circulaires par an. Comme on a pu l’entendre lors d’une table ronde, on comprendrait presque qu’ils n’en lisent aucune !

Nous ne pouvons, au bout du compte, que saluer le travail de cette commission qui oblige au retour d’expérience, ou « retex », pour reprendre le terme employé dans un ministère, et à plus de transversalité, notamment à travers un travail en commun, « intercommissions ».

La tentation est grande pour le législateur de faire des lois pour montrer qu’il existe. Toute la question, et elle est complexe, est de ne voter que des lois utiles et strictement nécessaires.

Enfin, et en conclusion, il nous semble que l’inégale application des lois sur notre territoire, et donc l’inégalité géographique, est un sujet que nous pourrions creuser. La cartographie permettrait sans doute de dire autrement ce que la mise en mots exprime difficilement. L’étude de cette inégalité territoriale est, selon nous, un enjeu majeur, car il s’agit d’un mal peut-être plus dommageable que la non-application des lois. §

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