Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 25 juin 2013 à 21h45
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Jean-Claude LenoirJean-Claude Lenoir :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, messieurs les présidents de commission que je vois nombreux dans cet hémicycle, mes chers collègues, la fonction de contrôle confiée au Parlement s’est affirmée dans le temps. Depuis plusieurs dizaines d’années en effet, nous, parlementaires, sommes conduits à mieux contrôler l’action de l’exécutif et, aujourd’hui, nous nous appliquons à contrôler l’application des lois que nous votons.

Je porterai ici la voix du groupe UMP – c’est la première partie de mon exposé. Je tiens à vous rassurer, monsieur le président : avec votre autorisation, je n’utiliserai pas complètement le temps de parole qui m’est imparti, puisqu’un de mes collègues m’a chargé d’exprimer son point de vue. Je ferai part, dans la seconde partie, d’un certain nombre d’observations personnelles sur le sujet qui nous réunit.

D’abord, je rappelle que, s’il existe une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, c’est parce qu’il y a eu une réforme constitutionnelle en 2008 et que le gouvernement de François Fillon a fait qu’une exigence est apparue, celle de rendre les lois applicables dans un délai de six mois.

J’entends bien – cela a d’ailleurs été exprimé à cette tribune – que ce délai paraît un peu court, et sans doute aussi trop formel. Mais puisqu’il n’est pas forcément respecté, nous pouvons toujours nous en tenir au principe ; l’application suivra...

On peut aborder la question sous l’angle quantitatif. Les statistiques démontrent qu’un effort a été fait depuis plusieurs années par les gouvernements précédents, et par le gouvernement actuel ; encore faudra-il juger l’action de ce dernier dans la durée...

Vous l’avez dit, monsieur le président Assouline, il s’est produit au cours des derniers mois du gouvernement Fillon ce que vous avez appelé un « gonflement » du nombre de décrets d’application, comme si le gouvernement était attaché – selon moi, il l’était fondamentalement – à ce que les lois qui avaient été votées fussent applicables dans des délais compatibles avec l’exercice du mandat dont il disposait.

Vous avez également dit qu’il y avait des lois qui étaient applicables totalement ou partiellement. Je dirai que toutes les lois sont dans ce cas de figure : il suffit de quelques décrets d’application pour qu’elles soient rangées dans la catégorie des lois partiellement applicables.

Sortons à présent de l’analyse quantitative.

Lors d’une réunion que vous avez présidée voilà quelques mois, le Secrétaire général du Gouvernement s’était attaché, afin de répondre à une critique formulée lors d’une précédente séance, un an auparavant, à donner une analyse qualitative des textes réglementaires pris ainsi que des lois votées.

Aujourd’hui, nous devons répondre à un certain nombre de questions touchant, finalement, à l’applicabilité des lois.

Pour qu’une loi soit applicable, il faut d’abord qu’elle soit bonne.

Je siège depuis trop peu de temps dans cette assemblée pour me permettre de porter le moindre jugement sur la qualité des lois que nous votons. On peut toujours s’améliorer et, à cet égard, je formulerai quelques propositions.

Pour rendre les lois plus applicables, nous pouvons tout d’abord faire en sorte qu’elles soient simples. Sur ce point, nos marges de progrès sont considérables.

Bien qu’elle ne concerne pas directement le sujet, vous avez évoqué la question, reprise par plusieurs orateurs, de la simplification des lois existantes et des « coups de balai » qui peuvent être donnés dans le code.

Vous avez jugé avec un peu de sévérité, les uns et les autres, les initiatives prises par Jean-Luc Warsmann, le précédent président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui appartenait à l’ancienne majorité.

Je crois pourtant que son initiative était intéressante. Il proposait un certain nombre de suppressions et de modifications, auxquelles d’autres se sont ajoutées, ce qui est le jeu normal de la discussion parlementaire.

Cet exercice était malgré tout utile. Au final, les quatre lois de simplification votées lors de la précédente législature ont permis de supprimer plusieurs centaines de dispositions complètement obsolètes.

Je me souviens de la première de ces dispositions, qui obligeait les couples désireux de se marier devant M. le maire à présenter un certificat prénuptial. Elle a été ôtée de notre législation, comme tant d’autres devenues parfaitement inutiles.

Certains ont considéré que cette initiative était superflue, qu’elle avait été dévoyée, comme l’avait relevé M. Vidalies lors d’une réunion de la commission. Force est de reconnaître que tout n’était pas forcément rédigé dans les meilleures conditions. Néanmoins c’était utile. D’ailleurs, aucun gouvernement ne s’est privé de présenter des textes portant « diverses dispositions » d’ordre économique, financier, social, ou que sais-je encore, qui sont des fourre-tout nécessaires puisqu’ils permettent de régler un certain nombre de situations.

S’il convient de rendre les lois plus simples, il faut également faire en sorte que le Parlement soit éclairé dans les meilleures conditions.

À cet égard, il existe deux types de rapports : ceux, dont je parlerai dans un instant, qui sont inscrits dans la loi que nous votons, et ceux qui nous sont utiles pour édifier nos convictions et pour, éventuellement, constituer le point de départ d’un projet ou d’une proposition de loi.

Maints exemples montrent qu’un travail mûri par des parlementaires appartenant, l’un, à la majorité et, l’autre, à l’opposition sur des sujets dont nous avons à débattre est une excellente initiative, car cela consolide du point de vue politique une conviction qui peut être partagée, et permet d’avancer sur un terrain qui a été parfaitement balisé.

J’en viens aux rapports qui viennent encombrer les textes. Nous en sommes les responsables ! Nous ne nous privons pas en effet, car tel est notre bon plaisir – et le président Marini a fustigé ces comportements ! –, d’inscrire dans la loi qu’un rapport devra être présenté, qui plus est dans un délai extrêmement court.

Or il s’agit, permettez-moi de vous le dire, d’un travail supplémentaire qui devrait tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

Lorsque j’appartenais à l’administration centrale, dans une vie déjà ancienne, je voyais arriver, avec mes collègues, des textes de loi sur lesquels nous devions rédiger des rapports. Pour le fonctionnaire chargé de cette tâche, c’était un travail supplémentaire. Cela entraînait par ailleurs des frais, notamment de publication.

Nous devrions nous raisonner collectivement afin de ne pas tomber dans le piège consistant à se faire plaisir en demandant des rapports à l’administration.

Voilà pour les améliorations à apporter.

J’en arrive à la partie de mon exposé plus personnelle, qui concerne le contrôle de l’application des lois.

On a évoqué les décrets et les arrêtés. Je voudrais, quant à moi, parler des circulaires.

La circulaire, nous le savons, n’a aucune portée juridique. Pour autant, dans les territoires, les régions et les départements, l’administration éclaire ses fonctionnaires et les organismes publics chargés de mettre en œuvre la loi en leur envoyant non pas le texte de la loi, mais une circulaire. Les exemples en sont très nombreux. Vous me permettrez d’en donner quelques-uns, sans retarder l’issue de cette séance et vous ennuyer.

Par souci d’équité, je citerai certains exemples, plus nombreux, qui relèvent de votre responsabilité et d’autres, moins nombreux – en fait, un seul –, qui relèvent de la nôtre.

Lorsque la loi relative à la solidarité et de renouvellement urbain, dite « loi SRU », a été votée, sous le gouvernement Jospin, je siégeais à l’Assemblée nationale. Nous avions alors été nombreux, et le Sénat nous avait soutenu sur ce point, à réclamer davantage de souplesse pour la délivrance des certificats d’urbanisme et des permis de construire en milieu rural. Cette disposition ne correspondait absolument pas au projet de loi. Or nous avons observé, à l’époque, que les services de l’urbanisme avaient commenté non pas la loi qui avait été votée, mais le projet de loi qui avait été présenté, et finalement avaient « pondu » une circulaire disant exactement le contraire de la loi.

Pour corriger cette situation, il a fallu voter une nouvelle loi pour rédiger un texte qui valait suppression de la circulaire, ce qui fut fait après les élections, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il s’agissait de la loi « urbanisme et habitat », dont l’article 33 corrigeait la fameuse circulaire. C’est un premier exemple.

Je prendrai un deuxième exemple, parfaitement scandaleux, cette fois dans notre camp, allais-je dire.

La loi de modernisation de l’économie, dite « loi LME », contenait des dispositions concernant l’urbanisme commercial. Les parlementaires avaient ainsi souhaité, de façon constante, limiter le développement des grandes surfaces à la périphérie des villes.

Au mois d’août suivant, en 2009, le directeur d’une administration centrale a cru pouvoir rédiger une circulaire précisant que, si l’on interprète l’esprit dans lequel la loi a été votée, on peut considérer que les grandes surfaces peuvent augmenter de 1 000 mètres carrés en une seule fois les surfaces dont elles disposent. En l’espace de quelques semaines, 500 000 mètres carrés ont ainsi été construits, sur la base d’un texte qui disait exactement le contraire de la loi !

J’ajoute, pour votre information, que ce directeur a été convoqué devant la commission compétente de l’Assemblée nationale et sans doute aussi devant celle du Sénat, et libéré de ses obligations professionnelles à la fin de cette année-là. Il aurait d’ailleurs pu être traduit devant la Cour de discipline budgétaire et financière, voire devant les tribunaux dans le cadre d’une procédure pénale.

Après qu’un décret eut bloqué le développement sauvage des mètres carrés de grandes surfaces, il a fallu une proposition de loi de Patrick Ollier pour arrêter définitivement le flux créé par cette interprétation non seulement erronée, mais particulièrement déplacée, de la part de l’administration.

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