Intervention de Lawrence Cannon

Mission commune d'information Avenir de l'organisation décentralisée de la République — Réunion du 18 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Lawrence Cannon ambassadeur du canada en france

Lawrence Cannon, ambassadeur du Canada en France :

J'ai accepté tout de suite et avec plaisir de répondre à votre invitation car c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur à coeur.

J'ai bien compris le sens de vos travaux. Comment assurer que le partage des pouvoirs et responsabilités entre tous les acteurs et la gouvernance réponde le mieux possible aux besoins de la population ? Comment la décentralisation peut-elle permettre d'être plus efficace, plus responsable et proactif ? Au Canada, au cours d'une partie de ma carrière, j'ai tenté d'apporter des réponses à ces questions.

Dans ma position, vous comprendrez que je ne peux pas commenter la direction que doit prendre la France dans son organisation territoriale.

Les différences institutionnelles entre la France et le Canada sont importantes. Nous n'avons pas la même histoire mais vous me permettrez, avec un clin d'oeil, d'apporter une position de non-ingérence mais aussi de non-indifférence car les réponses que vous proposerez pourront peut-être aussi inspirer ceux qui ailleurs dans le monde, et entre autres au Canada, réfléchissent au même sujet.

J'ai été élu municipal dans la banlieue de Montréal, puis élu provincial, ministre du Québec pour les communications, de nouveau élu municipal, puis un saut dans la politique fédérale -j'ai été ministre des affaires étrangères puis titulaire du portefeuille des transports, des infrastructures et des collectivités-. Dans tous ces postes, j'ai pu voir et vivre le fonctionnement des institutions canadiennes, j'ai été au coeur du partage des pouvoirs canadiens. De toutes ces fonctions, celles qui m'ont servi politiquement sont celles d'élu local.

Je ne vous ferai pas un cours sur le fédéralisme canadien mais, en quelques mots, je vous préciserai que les missions régaliennes (affaires étrangères, droit pénal, système bancaire) relèvent du pouvoir central ; les états provinciaux sont investis de quelques missions spécifiques, l'éducation notamment. Certaines missions appellent les deux niveaux à travailler ensemble ; il existe des responsabilités partagées : la justice pénale -le droit criminel est fédéral, l'administration de la justice relève des provinces- ; la santé -le fédéral veille aux grands principes d'universalité, à l'accès aux soins et finance le système, la gestion et l'administration de la santé sont de la compétence des provinces- ; la communication. C'est vrai aussi pour les grandes infrastructures et les travaux publics ; s'ajoute un autre interlocuteur, le pouvoir municipal qui, constitutionnellement, relève des états provinciaux. Les provinces ont un pouvoir fiscal propre ; elles peuvent directement emprunter sur le marché, elles bénéficient de l'autonomie budgétaire ; les villes ont aussi accès à certaines taxes. Une péréquation est opérée entre provinces.

Donc, au Canada aussi, existent des risques de tension et de mésentente. On peut aussi souffrir d'une définition trop floue des responsabilités et compétences de chacun. La réactivité de notre système au service du bien public n'est pas toujours à la hauteur. Mais globalement, il fonctionne bien.

Mais pour que cela marche, il faut quelques ingrédients. Mon expérience de praticien de la chose politique m'a permis de tirer quelques enseignements. Ils valent pour le Canada. Je ne prétends pas que ce serait bon pour la France ou pour d'autres pays. Je vous les livre bien humblement.

Premier enseignement : le niveau central n'est pas le mieux placé pour comprendre les besoins du terrain et il ne faut pas infantiliser le niveau local. Un exemple : l'état central, qu'il soit fédéral ou provincial, peut vouloir construire des centres sportifs sur tout le territoire ; mais une ville peut avoir plus besoin d'une patinoire ou d'une meilleure installation de traitement des eaux usées. C'est normal, le niveau central veut l'égalité entre les territoires. Je lui préfère l'équité. Tous n'ont pas les mêmes besoins mais tous ont droit à un traitement égal de leurs besoins.

On parle de plus en plus au Canada de subsidiarité. Un arrêt de la Cour suprême a bien résumé ce qui devrait être l'état d'esprit de tout régime décentralisé : dans un monde où les divers niveaux se chevauchent de plus en plus dans la vie réelle, il faut permettre aux différents paliers de légiférer ensemble dans les matières relevant de leur compétence, il faut permettre au palier de gouvernement le plus proche des citoyens d'apporter de la législation complémentaire et d'accompagner avec les circonstances locales sans empiéter sur les compétences de l'autre. Bref tout, une fois de plus, est une question d'équilibre.

Cela m'amène au deuxième enseignement. Entre les divers acteurs concernés, il faut parvenir le plus rapidement possible, dès le début du processus, à une définition commune des objectifs à atteindre sur des critères clairs, rigoureux, transparents, orientés vers les résultats. Il faut établir un plan d'ensemble qui est indispensable pour dégager une communion de pensée et donc une communauté d'action. L'un ne peut exister sans l'autre.

Troisième enseignement. La politique est l'art du possible. Le possible passe par le compromis. Or pour parvenir à un compromis, une solution qui tienne compte des différences de chacun, tout n'est pas obligé de se dérouler sur la place publique. Il y a un temps pour la communication, il y a un temps pour la discussion sérieuse, loin des enjeux médiatiques.

Quatrième enseignement. Je vais terminer mon propos par une énorme banalité : tout cela repose sur la bonne foi de chacun ; quelle que soit la structure de gouvernance, on n'arrive à rien si on ne respecte pas ses partenaires. Il faut d'abord être animé par le bien commun. Il faut comprendre que tous ne gagneront jamais autant que lorsque chacun de nous y gagne. Là, les parlementaires que vous êtes, que j'ai été, peuvent jouer un rôle important.

Au Canada, comme dans toute structure décentralisée, la vérité est multiple entre le maire, le représentant de l'Etat central ou de l'état régional, les intérêts peuvent être divergents et il n'est pas toujours facile de parvenir à un consensus. Les fonctionnaires jouent un rôle primordial d'expertise et de soutien, mais ils ne peuvent pas remplacer ceux qui ont reçu de leurs concitoyens le mandat de les représenter. Au Canada, le parlementaire est souvent cet acteur qui facilite le partage, la communication entre les acteurs ; il vient d'un territoire précis, il connaît les besoins de sa population, il connaît le maire, les autres parlementaires et les élus de sa région. Il est au parlement national et en contact avec les ministres responsables et donc aussi interpellé par la réalité de tout le pays. Son rôle mérite peut-être aussi d'être davantage mis en valeur.

Voilà les quelques réflexions générales que je voulais partager avec vous, celles d'un ambassadeur mais aussi d'un acteur de terrain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion