Monsieur l'Ambassadeur, notre mission recherche les voies de réforme, les perspectives de la décentralisation à l'horizon 2020 pour articuler nos territoires à la fois en protégeant les exigences de cohésion nationale et en valorisant les capacités locales. Nous croisons de nombreuses problématiques : entre l'urbain et le rural, entre notre territoire et celui des pays voisins européens ...
Nous avons choisi comme méthode de travail de demander à certaines personnalités extérieures à notre système d'organisation territoriale de nous éclairer sur ces sujets. La semaine dernière, un grand patron de la presse régionale nous a exposé son « vécu » de la décentralisation.
Vous même portez un regard extérieur grâce à la « polyculture » qui est la vôtre. Vous êtes un homme politique enraciné et élu, vous avez été ministre des affaires étrangères de votre pays, vous avez mené une carrière politique nationale et locale et, aujourd'hui, vous êtes ambassadeur d'un pays qui parle la même langue que la nôtre mais qui présente beaucoup de différences de culture et d'organisation. Cela ne veut pas dire que nous sommes dans la vision d'un fédéralisme à la française. Ce n'est donc pas la recherche du Canada en tant qu'organisation qui est notre préoccupation première, mais celle de la vision d'un canadien, du regard de quelqu'un qui circule dans le paysage français.
J'ai accepté tout de suite et avec plaisir de répondre à votre invitation car c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur à coeur.
J'ai bien compris le sens de vos travaux. Comment assurer que le partage des pouvoirs et responsabilités entre tous les acteurs et la gouvernance réponde le mieux possible aux besoins de la population ? Comment la décentralisation peut-elle permettre d'être plus efficace, plus responsable et proactif ? Au Canada, au cours d'une partie de ma carrière, j'ai tenté d'apporter des réponses à ces questions.
Dans ma position, vous comprendrez que je ne peux pas commenter la direction que doit prendre la France dans son organisation territoriale.
Les différences institutionnelles entre la France et le Canada sont importantes. Nous n'avons pas la même histoire mais vous me permettrez, avec un clin d'oeil, d'apporter une position de non-ingérence mais aussi de non-indifférence car les réponses que vous proposerez pourront peut-être aussi inspirer ceux qui ailleurs dans le monde, et entre autres au Canada, réfléchissent au même sujet.
J'ai été élu municipal dans la banlieue de Montréal, puis élu provincial, ministre du Québec pour les communications, de nouveau élu municipal, puis un saut dans la politique fédérale -j'ai été ministre des affaires étrangères puis titulaire du portefeuille des transports, des infrastructures et des collectivités-. Dans tous ces postes, j'ai pu voir et vivre le fonctionnement des institutions canadiennes, j'ai été au coeur du partage des pouvoirs canadiens. De toutes ces fonctions, celles qui m'ont servi politiquement sont celles d'élu local.
Je ne vous ferai pas un cours sur le fédéralisme canadien mais, en quelques mots, je vous préciserai que les missions régaliennes (affaires étrangères, droit pénal, système bancaire) relèvent du pouvoir central ; les états provinciaux sont investis de quelques missions spécifiques, l'éducation notamment. Certaines missions appellent les deux niveaux à travailler ensemble ; il existe des responsabilités partagées : la justice pénale -le droit criminel est fédéral, l'administration de la justice relève des provinces- ; la santé -le fédéral veille aux grands principes d'universalité, à l'accès aux soins et finance le système, la gestion et l'administration de la santé sont de la compétence des provinces- ; la communication. C'est vrai aussi pour les grandes infrastructures et les travaux publics ; s'ajoute un autre interlocuteur, le pouvoir municipal qui, constitutionnellement, relève des états provinciaux. Les provinces ont un pouvoir fiscal propre ; elles peuvent directement emprunter sur le marché, elles bénéficient de l'autonomie budgétaire ; les villes ont aussi accès à certaines taxes. Une péréquation est opérée entre provinces.
Donc, au Canada aussi, existent des risques de tension et de mésentente. On peut aussi souffrir d'une définition trop floue des responsabilités et compétences de chacun. La réactivité de notre système au service du bien public n'est pas toujours à la hauteur. Mais globalement, il fonctionne bien.
Mais pour que cela marche, il faut quelques ingrédients. Mon expérience de praticien de la chose politique m'a permis de tirer quelques enseignements. Ils valent pour le Canada. Je ne prétends pas que ce serait bon pour la France ou pour d'autres pays. Je vous les livre bien humblement.
Premier enseignement : le niveau central n'est pas le mieux placé pour comprendre les besoins du terrain et il ne faut pas infantiliser le niveau local. Un exemple : l'état central, qu'il soit fédéral ou provincial, peut vouloir construire des centres sportifs sur tout le territoire ; mais une ville peut avoir plus besoin d'une patinoire ou d'une meilleure installation de traitement des eaux usées. C'est normal, le niveau central veut l'égalité entre les territoires. Je lui préfère l'équité. Tous n'ont pas les mêmes besoins mais tous ont droit à un traitement égal de leurs besoins.
On parle de plus en plus au Canada de subsidiarité. Un arrêt de la Cour suprême a bien résumé ce qui devrait être l'état d'esprit de tout régime décentralisé : dans un monde où les divers niveaux se chevauchent de plus en plus dans la vie réelle, il faut permettre aux différents paliers de légiférer ensemble dans les matières relevant de leur compétence, il faut permettre au palier de gouvernement le plus proche des citoyens d'apporter de la législation complémentaire et d'accompagner avec les circonstances locales sans empiéter sur les compétences de l'autre. Bref tout, une fois de plus, est une question d'équilibre.
Cela m'amène au deuxième enseignement. Entre les divers acteurs concernés, il faut parvenir le plus rapidement possible, dès le début du processus, à une définition commune des objectifs à atteindre sur des critères clairs, rigoureux, transparents, orientés vers les résultats. Il faut établir un plan d'ensemble qui est indispensable pour dégager une communion de pensée et donc une communauté d'action. L'un ne peut exister sans l'autre.
Troisième enseignement. La politique est l'art du possible. Le possible passe par le compromis. Or pour parvenir à un compromis, une solution qui tienne compte des différences de chacun, tout n'est pas obligé de se dérouler sur la place publique. Il y a un temps pour la communication, il y a un temps pour la discussion sérieuse, loin des enjeux médiatiques.
Quatrième enseignement. Je vais terminer mon propos par une énorme banalité : tout cela repose sur la bonne foi de chacun ; quelle que soit la structure de gouvernance, on n'arrive à rien si on ne respecte pas ses partenaires. Il faut d'abord être animé par le bien commun. Il faut comprendre que tous ne gagneront jamais autant que lorsque chacun de nous y gagne. Là, les parlementaires que vous êtes, que j'ai été, peuvent jouer un rôle important.
Au Canada, comme dans toute structure décentralisée, la vérité est multiple entre le maire, le représentant de l'Etat central ou de l'état régional, les intérêts peuvent être divergents et il n'est pas toujours facile de parvenir à un consensus. Les fonctionnaires jouent un rôle primordial d'expertise et de soutien, mais ils ne peuvent pas remplacer ceux qui ont reçu de leurs concitoyens le mandat de les représenter. Au Canada, le parlementaire est souvent cet acteur qui facilite le partage, la communication entre les acteurs ; il vient d'un territoire précis, il connaît les besoins de sa population, il connaît le maire, les autres parlementaires et les élus de sa région. Il est au parlement national et en contact avec les ministres responsables et donc aussi interpellé par la réalité de tout le pays. Son rôle mérite peut-être aussi d'être davantage mis en valeur.
Voilà les quelques réflexions générales que je voulais partager avec vous, celles d'un ambassadeur mais aussi d'un acteur de terrain.
Concernant ce dernier point, pourriez-vous préciser comment le parlementaire est le médiateur de la décentralisation ? Cette question est très importante pour nous, surtout s'il est décidé de mettre en place le mandat unique. En France, souvent, le parlementaire assiste aux manifestations et aux partenariats noués entre le président du Conseil général, du Conseil régional ou le maire, mais ce rôle que vous décrivez du parlementaire, au coeur de la décentralisation, n'existe pas à ce jour. Comment est-il un acteur du consensus par exemple entre la province ou la ville et l'Etat central ?
Pourriez-vous également nous décrire les relations infra-provinciales, entre le comté et la ville ? Quel est le pouvoir du comté, qui est une circonscription électorale, et observe-t-on l'équivalent de la logique départementale existant chez nous, c'est-à-dire une alliance d'un espace urbain et d'un territoire rural ?
Enfin, il y a quelques années, Québec a fusionné des intercommunalités : où en est ce processus et quelles furent les modalités de fusion utilisées ?
Vous avez dit avoir été un élu de la banlieue de Québec, je suis un élu de la banlieue parisienne. Je travaille depuis un certain temps à la constitution d'un « Grand Paris » au sens d'une collectivité territoriale, et c'est très difficile. Il y a quelques années, des collègues sénateurs étaient allés à Toronto se nourrir des expériences locales s'agissant de la métropolisation et des questions de gouvernance. Ils sont revenus avec l'idée selon laquelle il ne fallait pas commencer par des réformes institutionnelles : les initiatives doivent venir du terrain, et les réformes de gouvernance en découleront. Pourriez-vous nous apporter des éclairages sur la méthode mise en oeuvre ? Car aujourd'hui, ici, nous attendons que les projets viennent du terrain, mais personne n'étant d'accord sur le terrain, aucune initiative n'est proposée, et cette « ville monde » qu'est Paris ne dispose toujours pas d'un outil de gouvernance à la hauteur des enjeux.
Je souhaiterais savoir comment est organisée la péréquation, notamment concernant le système de santé : l'Etat donne de grands principes, mais comment sont gérés ce que j'appelle les « égoïsmes provinciaux » ?
Dans le prolongement de la question précédente, pouvez-vous nous indiquer s'il existe une spécialité de l'impôt en fonction des collectivités territoriales, ou si elles prélèvent toutes un impôt sur une base identique.
Par ailleurs, il existe en France un principe constitutionnel selon lequel il ne peut y avoir de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre : qu'en est-il au Canada ?
Le rôle du parlementaire est en effet primordial, car il est le plus familier de l'organisation du territoire et des questions d'actualités. Au Canada, si une localité souhaite la mise en place d'une infrastructure, elle s'appuie sur le parlementaire. Ainsi, dès mon élection comme député fédéral, et sachant qu'il existait un budget d'appoint pour stimuler les projets d'infrastructures, avec mes collègues élus de la région, nous nous sommes réunis, derrière une porte close, pour déterminer, ensemble, les priorités pour le territoire. En effet, 80 % des projets sur un territoire sont réalisés grâce à une intervention financière de la part des trois niveaux de collectivités. Au quotidien, les députés et le maire doivent avoir une ambition partagée. Évidemment, il s'agit d'une logique « gagnant - gagnant » car s'il n'existe pas de consensus au niveau local, les projets n'aboutissent pas.
S'agissant du pouvoir des parlementaires, au Québec, statutairement, il est prévu une rencontre dans le cadre de la Conférence régionale des élus (CRÉ). Le président de la Conférence régionale des élus est un maire, désigné par les autres maires de la région, et sont également représentés le pouvoir provincial, les organismes en faveur du développement économique. Il s'agit d'une conférence institutionnalisée, alors qu'au contraire, les rencontres avec les députés, évoquées précédemment, sont informelles. La CRÉ est une institution mise en place par le Gouvernement provincial, qui fait valoir des recommandations qui sont ensuite acheminées vers les autorités fédérales.
Concernant les fusions, il y a, il est vrai, un très grand nombre de municipalités. Au Québec, à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000, le Parti québécois arrivé au Gouvernement, a proposé beaucoup de regroupements. L'objectif était la mise en commun des équipements, des infrastructures, pour faire des économies d'échelle ; c'est parfois périlleux et difficile, mais, personnellement, je défends cette opération car je crois que le niveau local peut bénéficier grandement de la fusion. Ainsi, une circonscription électorale qui était dans l'Ottawa québécois comportait 45 municipalités : je pense qu'on aurait été mieux servi avec trois, puisque, géographiquement, c'était la grandeur de la Belgique.
Sur la région et l'agglomération de Québec, il faut être conscient qu'avant la fusion, nous disposions d'une communauté urbaine. Le vote était proportionnel à la quote-part de chaque municipalité. Par exemple, lorsque j'étais l'adjoint parlementaire du ministre responsable du développement technologique au Québec, nous avons subi une pression importante pour créer, sur un territoire, relevant à la fois de la ville de Sainte-Foy et de la ville de Québec, un parc technologique. Or, la mairesse de Sainte-Foy était obstinément et délibérément opposée au maire de Québec d'alors, Jean Pelletier. Ce territoire, qui devait être unifié, l'a été, mais pendant plusieurs mois, la mairesse de Sainte-Foy, Andrée Boucher a menacé de voter un taux de taxation plus faible sur sa partie du territoire. Aussi, au niveau provincial, nous avons été obligés d'arbitrer. Lorsque le Gouvernement du Québec a fait sa proposition de fusionner la grande région, l'idée a été bien accueillie pour éviter ce que je pourrais appeler les « chicaneries de carré de sable ».
La fin de l'histoire, c'est qu'Andrée Boucher est devenue maire de Québec !
Tout à fait ! Sur ce point, je pourrais vous en conter bien d'autres, notamment les oppositions des municipalités s'agissant de l'alimentation en eau.
Concernant la péréquation, le Gouvernement fédéral est responsable d'un programme très complexe : il convient d'une part de mesurer la richesse collective d'une province ou d'une région, et d'autre part d'identifier ses besoins, qui peuvent être spécifiques. Dans la mesure où l'Etat fédéral assure le respect du principe d'universalité, notamment dans le domaine des droits à la santé, ce programme vise à équilibrer le système en donnant des ressources additionnelles aux provinces les moins bien nanties. Les bénéficiaires sont donc les provinces moins riches collectivement, comme le Québec par exemple, alors que les provinces de l'Ouest canadien sont au contraire contributrices à ce fonds généralisé.
Sur la question de la tutelle, aujourd'hui, au Québec, la ville de Laval, qui est la troisième en importance, est mise sous tutelle par le Gouvernement du Québec, mais il s'agit d'une procédure très inusitée. Les municipalités relèvent constitutionnellement parlant de l'autorité provinciale, elles sont considérées comme étant des administrations locales, et non un niveau de Gouvernement comme les deux autres. Ce que nous qualifions de tutelle est une procédure sans doute utilisée dans des circonstances extrêmes et peu habituelles. Pour l'essentiel, les municipalités administrent très bien les pouvoirs et les responsabilités qui leur sont dévolus, que ce soit la « cueillette » des ordures ménagères, ou la réalisation des programmes d'infrastructures.
Le Canada étant un vaste pays avec des zones de ruralité et d'hyper ruralité, c'est-à-dire faibles économiquement et démographiquement, existe-t-il des aides systématiques pour ces territoires lorsque des initiatives économiques sont envisagées ? En d'autres termes, les lois générales du pays prévoient-elles une attention particulière pour ces zones excentrées ?
Je constate sinon que, comme en France, il existe beaucoup de strates locales au Canada.
Est-ce une loi ou une consultation qui a engagé le processus de fusion à Québec ?
Par ailleurs, dans les municipalités ou, plus largement, dans un territoire local, qui représente l'État : est-ce le préfet ou son équivalent ou bien un parlementaire ?
Se pose également la question de la place des parlementaires dans le processus de décentralisation. Si on était dans la logique du mandat unique dans quelques années, comment un parlementaire non membre d'un exécutif local serait-il associé ?
Pour revenir à la question de M. Bertrand, c'est une idée très française de considérer qu'un territoire rural est forcément pauvre. Or, au Canada, la ruralité peut être très riche en raison de la présence de matières premières. La question porte plus, si je la comprends bien, sur les territoires défavorisés.
Pour vous rassurer, il existe des territoires à faible densité de population au Québec ainsi que dans d'autres provinces canadiennes. Nos procédures pour l'implantation des activités suivent un processus particulier. Si un industriel présente un projet d'implantation d'une activité économique, se pose d'abord la question de l'application de la loi relative à la protection du territoire agricole, très rigoureuse, destinée à questionner la pertinence du développement et de l'étalement urbains. Les terres agricoles sont en grande partie protégées. S'ensuit la réalisation d'un « plan d'ensemble ». Imaginez un territoire vierge qui est limitrophe à un centre urbain dans lequel on souhaiterait développer des zones d'habitation de 30 à 40 000 habitants. Vont s'y appliquer des règlements de zonage et d'urbanisme. Il faudra par ailleurs s'interroger sur les usages multiples de cette zone pour y favoriser la « localisation domiciliaire ». Doit-on densifier ou non telle zone ? Doit-on privilégier des maisons unifamiliales ? Ensuite, il faudra réfléchir à l'installation d'une école primaire puis secondaire. Se posera également la question de l'implantation des services de santé, tant publics que privés, examinée par la conférence régionale des services de santé. S'agissant des réseaux routiers, ils relèvent de la compétence municipale. S'y ajoute le réseau routier provincial avec la construction d'un carrefour giratoire afin de favoriser la fluidité des transports. Enfin, le Gouvernement fédéral pourra contribuer à la réalisation de ce réseau routier. Tous les niveaux sont donc présents pour la réalisation d'un tel projet.
Cet exemple me permet de répondre à la question de la place des parlementaires. Ces derniers et les conseillers municipaux sont au coeur de ce système. Nous bénéficions d'un processus plus décentralisé que celui de la France. Par ailleurs, nous n'avons pas de préfet mais des représentants du pouvoir fédéral, plus spécialement du ministère des affaires municipales. Pour reprendre mon exemple, la municipalité doit financer l'aménagement de son territoire par un emprunt qui reposera sur une taxe générale ou une taxe sectorielle. Pour cela, elle doit adopter une résolution relative au financement de ce projet. Elle devra obtenir l'autorisation du ministère des affaires municipales qui s'interrogera sur la capacité de la municipalité à rembourser son emprunt sur 20 à 25 ans. Ainsi, ce ministère garde un oeil averti sur les affaires de la municipalité. Toutefois, plus la municipalité est importante, plus elle dispose des moyens nécessaires pour répondre à ces interrogations.
Pour nous, un territoire dans lequel on envisage un tel projet n'est pas considéré comme pauvre mais plutôt comme étant non encore développé et en capacité de le devenir. Un territoire pauvre est un territoire sur lequel aucune activité ne va s'installer sauf s'il existe une volonté d'attirer. La question qui se pose est de savoir comment les « échelons du haut » aident les « échelons du bas » à être plus attractifs.
Combien y a-t-il d'habitants dans la plus petite commune du Québec ?
La commune de La Motte, en Abitibi, dont on a beaucoup parlé lors de la succession du pape Benoît XVI, compte entre 80 et 100 habitants. La présence des médias a multiplié par cent la population de cette municipalité.
Nous avons également de petites agglomérations et de nombreux regroupements de territoires fragiles, comme ceux dont vous avez parlé.
Ces territoires bénéficient-ils d'une solidarité provinciale pour les aider ?
Oui. Une association regroupe d'ailleurs ces territoires. Lorsque j'étais ministre des infrastructures, une enveloppe de 50 milliards de dollars a été distribuée à l'ensemble du Canada, en fonction du pourcentage de population : ainsi, le Québec a bénéficié d'une dotation de 7 milliards de dollars. A l'intérieur même des critères de distribution de ces fonds, une quote-part reposant sur un seuil de population était spécifiquement dédiée à ces municipalités. Ainsi, les dotations dont ont bénéficié Montréal, Québec ou Gatineau étaient différentes de celles des municipalités à faible densité. Gatineau souhaitait avoir une infrastructure sportive alors que La Motte était préoccupée par ses réseaux d'aqueducs, d'égouts et d'eau potable.
Cela ressemble à une discrimination positive.
Je souhaiterai revenir sur deux points. D'une part, pour Québec, comment s'est opérée juridiquement la fusion ? D'autre part, s'agissant de la question de M. de Legge, il existe trois niveaux au Québec : national, provincial et municipal. Chaque niveau dispose-t-il de ses propres impôts ou les trois niveaux partagent-ils les mêmes impôts ?
Sur la question de l'organisation de la gouvernance de la communauté urbaine de Québec, la population était exaspérée par les innombrables chicanes qui opposaient les municipalités. Ainsi, la volonté de regroupement est naturellement venue, d'abord et avant tout, de la population. Le Gouvernement du Québec de l'époque avait proposé à Montréal et à Québec la constitution d'une commission. L'examen de ce projet a été confié à M. Louis Bernard, ancien secrétaire général du conseil exécutif de Québec. Mme Louise Harel, alors ministre des affaires municipales, a proposé une loi pour autoriser la fusion à Québec, ce qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Ces fusions sur l'ensemble du territoire ont été mises en oeuvre à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
C'est donc une commission consultative et une loi qui sont à l'origine de la fusion au Québec, avec une volonté initiale de la population.
S'agissant des ressources des différents niveaux, au niveau municipal, les sources de revenu proviennent de l'impôt foncier dont le taux de taxation est fixé par un règlement municipal. Depuis quelques années, en particulier pour soutenir le transport urbain, le gouvernement fédéral a cédé une part de la taxe sur le carburant aux municipalités, part qui est indexée. Ainsi, les municipalités bénéficient d'une autre source de revenus. Dans certaines provinces, cette part est entièrement dédiée aux transports en commun. Dans d'autres, comme au Québec, elle est affectée aux transports en commun et aux municipalités pour réaliser d'autres projets, ces dernières se trouvant désavantagées en matière de fiscalité. Il existe en outre des dotations du gouvernement fédéral ainsi que des dotations d'appoints qui peuvent être attribuées par le gouvernement provincial. La commission scolaire, responsable de l'implantation et du bon fonctionnement du réseau scolaire, bénéficie également d'une source de financement basée sur la propriété et déterminée par voie réglementaire, chaque année, par le ministre de l'éducation du Québec. Si la collecte est supérieure à ce qui était prévu, le surplus est reversé à la province.
Au niveau provincial, les impôts sont personnels et corporatifs, comme par exemple la taxe à valeur ajoutée qui est une taxe de vente qui s'élève à environ 10 %. A ces sources de revenus qui leur sont propres s'ajoutent les transferts provenant du gouvernement central en matière de péréquation et à destination des régimes de santé et sociaux.
Enfin, le gouvernement fédéral bénéficie du même système de ressources : impôts personnels, taxes sur la consommation, taxes d'accises et taxes de douanes, avec une assiette d'imposition plus large.
Vous avez mentionné des exemples de contrats conclus par consensus entre une municipalité et une province : existe-t-il une volonté de structurer dans le temps de tels accords ?
A l'occasion de vos déplacements dans notre pays, vous avez pu observer des projets, par exemple dans le domaine du tourisme : je pense à la maison de Champlain, en Charente-Maritime, qui fait l'objet de financements tant de la région que du département. La structure française paraît telle simple, ou excessivement complexe ?
Au Québec, une loi de l'exécutif interdit au gouvernement fédéral de traiter directement avec les municipalités, et des projets ont été refusés par le gouvernement provincial sur ce motif : un rapport de force s'instaure parfois sur ce point entre les municipalités et le gouvernement provincial.
Je prendrai l'exemple du contrat d'acquisition de bus conclus par les villes du Québec ; ce contrat est géré par les autorités municipales avec le ministère québécois des transports. Le besoin est évalué à 400 bus par an, et le gouvernement provincial participe financièrement à la réalisation de ce projet.
Je constate que ce type de contrat se distingue par des clauses souvent très complexes, particulièrement au Québec. Peut-être la conclusion du futur accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne permettra-t-elle d'introduire plus de flexibilité dans ce type de contrat.
Autre exemple, le traitement des eaux usées : le gouvernement régional établit, par voie législative, la nature du besoin, et confie sa réalisation aux municipalités. On peut ainsi constater que ces pratiques instaurent des obligations contractuelles entre municipalités et gouvernement provincial.
Lors de vos déplacements en France, quels sont vos interlocuteurs les plus fréquents : les départements ou les régions ?
Le plus souvent, ils sont organisés en concertation avec les municipalités. Mais ils me fournissent également l'occasion de rencontrer les autorités départementales et régionales. J'ai constaté en France à quel point l'autorité de l'Etat est omniprésente en la personne des préfets. La situation est différente au Canada, où c'est la conférence des élus qui est chargée des arbitrages et de la planification des projets sur les territoires.
Je souhaiterai savoir combien de services sont susceptibles d'intervenir au profit d'un projet formulé par une municipalité, et pouvant être soutenu par d'autres niveaux ?
Ils sont nombreux : au niveau de la municipalité, interviennent le plus souvent les services chargés des finances, de l'urbanisme, et des transports. Au niveau provincial, les ministères de la santé, de l'éducation de la culture et de la communication sont souvent mobilisés. De plus le niveau fédéral intervient parfois, sur la base de pratiques coutumières, pour apporter des financements. Je précise que le niveau fédéral a transféré aux provinces une partie de ses compétences en matière de transport en commun.
Vous avez fréquemment fait état du rôle du ministère des affaires municipales : je présume qu'il n'exerce ni contrôle d'opportunité, ni contrôle de légalité ; quel est alors son rôle ?
L'essentiel de ses attributions passe par un contrôle financier, ainsi que par un examen de l'éthique dans l'exercice du pouvoir.
Le cas de la ville de Laval, dont la municipalité a été dissoute pour malversations financières, est heureusement exceptionnel.
Je retiens de nos échanges plusieurs sujets d'intérêt, malgré la disparité de nos systèmes :
· tout d'abord, le rôle du parlementaire dans la gestion du territoire, qui reste à préciser en France ;
· la nette clarification des compétences qui existe, particulièrement au Québec, dans le rôle de chacun des niveaux de collectivités ;
· en matière d'organisation des territoires, votre système fédéral attribue le pouvoir législatif d'adaptation aux provinces. Dans un État unitaire décentralisé comme la France, ce pouvoir d'adaptation pourrait s'exercer au niveau local par voie réglementaire.
Merci, Monsieur l'ambassadeur, de l'éclairage que vous nous avez apporté et qui induit de nombreuses questions sur notre propre système territorial.