Nous partageons le constat posé par MM. Deprost et Laffont mais nous n'en tirons pas tout à fait les mêmes conclusions.
Le régime de l'auto-entrepreneur a été lancé pour promouvoir l'esprit d'entreprise en France. Outre la mise en place d'une procédure simplifiée de déclaration d'activité, son intérêt consistait essentiellement en un mode de calcul et de paiement simplifié des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu. Ce dispositif a connu un grand succès : 320 000 auto-entreprises créées la première année, 900 000 dénombrées en février 2013.
Plus de quatre ans après son entrée en vigueur, le moment était venu d'en dresser un bilan et de proposer des pistes pour le corriger et assurer un meilleur développement de l'activité.
L'application de ce régime n'a pas été un long fleuve tranquille. Son application à marche forcée, moins de six mois après la promulgation de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME), a immédiatement posé des problèmes de gestion administrative. Peut-être n'aurait-il pas fallu accorder priorité à la simplification aux dépens de la cohérence.
La notion d'auto-entrepreneur trouve son origine dans le rapport « En faveur d'une meilleure reconnaissance du travail indépendant » que François Hurel a remis le 10 janvier 2008 à Hervé Novelli, alors secrétaire d'État en charge des entreprises. Ces travaux répondaient à une lettre de mission appelant à esquisser « une politique ambitieuse d'incitation à l'initiative individuelle, fondée notamment sur un passage facilité et sécurisé du statut de salarié au statut d'indépendant ». Ce nouveau régime devait donc répondre à deux objectifs parfois difficilement conciliables : la simplicité et la sécurité.
D'emblée, l'accent a été mis sur la simplification de l'environnement fiscal et social. Ce dispositif phare du précédent Gouvernement, placé en ouverture de la LME, autorisait l'auto-entrepreneur à déclarer la création de son entreprise auprès du centre de formalités des entreprises, via un site internet géré par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), sans obligation de s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.
Concrètement, ce régime simplifié se présentait sous la forme d'un prélèvement libératoire fiscal et social, sur une base mensuelle ou trimestrielle, égal à 13 % du chiffre d'affaires pour les activités de commerce et à 23 % pour les activités de services. En réalité, le dispositif n'était pas si simple que le laissait paraître la procédure d'inscription puisqu'il s'adossait à des régimes sociaux et fiscaux complexes.
Sa montée en puissance a été rapide. La première année, en 2008, 328 000 auto-entrepreneurs se sont inscrits pour un chiffre d'affaires global approchant le milliard d'euros. L'Insee a enregistré un niveau record de création d'auto-entreprises l'année suivante - 580 200 entreprises, soit une hausse de 75 % - tandis que le nombre de créations d'autres formes de sociétés diminuait par effet de substitution.
Cette mise en oeuvre accélérée du système de traitement des inscriptions a généré de multiples difficultés pratiques. La détermination des activités éligibles au régime de l'auto-entrepreneur s'est révélée délicate, l'inscription reposant sur une déclaration. Par définition, la véracité des informations déclarées n'est pas garantie puisque les activités exercées se déclarent en ligne et que les distinctions demeurent complexes. Par exemple, il est possible d'être agent commercial mais non agent immobilier.
En outre, la chaîne de gestion de l'information recélait et recèle encore des points de blocage et d'incohérence. Ainsi l'Insee donne-t-elle systématiquement un numéro d'identification, même si l'activité ne donne pas lieu à immatriculation ultérieurement. On constate des doublons en matière de couverture maladie dus à la mauvaise compréhension du questionnaire en ligne, notamment sur le caractère accessoire ou principal de l'activité et le régime maladie de rattachement préalable à l'adhésion. Les caisses prestataires retraitent et réexaminent les données de l'Acoss de manière à garantir la bonne affectation du bénéficiaire - sections professionnelles du RSI et de la CIPAV- avant de les injecter dans leurs systèmes d'information respectifs. Les échanges de fichiers représentent une lourde charge pour les organismes qui doivent saisir la déclaration initiale, les modifications et radiations. Enfin, la chaîne de traitement statistique répartie entre l'Acoss, l'Insee et les caisses d'affiliation n'assure pas un suivi fiable et complet des données.
La précipitation dans laquelle le dispositif a été mis en oeuvre explique les multiples ajustements réglementaires et législatifs intervenus depuis 2009. La dernière modification, qui date de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, a consisté à aligner les taux de cotisations sociales des auto-entrepreneurs sur le régime de droit commun du travailleur indépendant.
C'était tenter d'apporter une réponse à certaines critiques. Dès sa mise en oeuvre, le régime a été fortement contesté. Le réseau consulaire des chambres de métiers s'est ému de cette nouvelle catégorie de ressortissants exemptés temporairement de taxe pour frais de chambre de métiers. Les artisans ont rapidement fait part de leur soupçon de fraude au chiffre d'affaires et dénoncé une concurrence déloyale. De là des adaptations législatives. Entre autres : l'obligation d'immatriculation au registre des métiers des auto-entrepreneurs exerçant à titre principal une activité artisanale assortie d'une exonération du paiement de la taxe pour frais de chambre de métiers les trois premières années ; la radiation automatique du régime des auto-entrepreneurs ne déclarant pas de chiffre d'affaires pendant deux ans, au lieu de trois auparavant, à compter du 1er janvier 2011 ; enfin, l'obligation d'une déclaration au moins trimestrielle, même en l'absence de chiffre d'affaires - disposition prise à l'initiative du Sénat. Le législateur est même revenu sur des modifications antérieures. Ainsi, l'exonération de contribution à la formation professionnelle, instaurée en 2009, a été supprimée en loi de finances pour 2011.
En dépit des onze modifications législatives et des sept décrets pris en quatre ans, et malgré la réduction des avantages sociaux accordés aux auto-entrepreneurs par la loi de financement pour 2013, le dispositif n'a pas atteint son point d'équilibre. En témoigne la fronde, toujours vive, des artisans et la volonté du Gouvernement d'adapter le dispositif. Après la remise du rapport d'évaluation confié à l'IGAS et à l'IGF en avril dernier, il a annoncé, lors du Conseil des ministres du 12 juin dernier, une réforme visant à limiter le régime dans le temps pour le faire glisser progressivement vers les statuts classiques et à créer un statut permanent adapté à l'exercice d'une activité complémentaire permettant un revenu d'appoint, d'un montant plus limité. Enfin, la question de l'exonération de contribution foncière des entreprises, prolongée pour un an en loi de finances pour 2013, sera abordée en loi de finances pour 2014.
Sans remettre en cause la finalité du dispositif, nous regrettons son application quelque peu expérimentale ainsi que l'insécurité juridique liée aux incessantes modifications depuis 2009.