Pour bien cerner la réalité du phénomène, rappelons que 49 % seulement des quelque 900 000 auto-entrepreneurs inscrits sont économiquement actifs. Le poids réel de leur activité doit être relativisé : leur chiffre d'affaires en 2012 représentait 0,23 % du PIB. Même si 6,1 % ont déclaré un chiffre supérieur à 30 000 euros, leur chiffre d'affaires annuel moyen reste faible : 41 % des auto-entrepreneurs actifs ont généré moins de 6 000 euros, soit 500 euros mensuels.
D'après les enquêtes de l'Insee, l'impact économique du régime est limité : après trois ans d'activité, 90 % des auto-entrepreneurs dégagent un revenu inférieur au Smic. Les auto-entrepreneurs qui passent à un statut de travailleur indépendant classique sont rares : environ 10 000 en 2011, selon l'Acoss, soit 4,6 % des radiations annuelles. Si l'on retient les seuls cotisants appartenant à la tranche haute, dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 40 000 euros, 40 % des auto-entrepreneurs quittent ce statut pour une autre forme d'entreprise.
Deux missions d'inspection ont effectué un important travail d'évaluation. La première, réalisée en 2010, était parvenue à la conclusion que les difficultés de gestion rencontrées par l'Acoss, la DGFiP et les Urssaf étaient « largement liées au développement rapide et massif du régime » et appelait à traiter « certains problèmes juridiques lourds » comme ceux relatifs aux professions réglementées.
La seconde, confiée à l'IGF et à l'IGAS, a rendu son rapport le 8 avril dernier. Ses auteurs, que nous avons auditionnés, se sont heurtés à la faiblesse du suivi statistique des auto-entrepreneurs - une difficulté que nous avons constatée lors de nos auditions.
Par souci de sécurité juridique, nous préconiserons, non des bouleversements du régime, mais des ajustements pour plus d'équité avec les autres formes d'entreprises.
Le dispositif statistique demeure incomplet. Seul le seul réseau des Urssaf et de l'Acoss dispose des données exhaustives issues du portail d'enregistrement. L'absence de croisement de données entre l'Acoss, la DGFiP et les caisses d'assurance vieillesse ne permet pas d'identifier les fraudes ou sous-déclarations de chiffre d'affaires. Les contrôles sont parcellaires. S'agissant de la fraude à la déclaration d'activité, les Urssaf ont décelé une fréquence de 30 % de redressements, pour un montant moyen de 404 euros par auto-entrepreneur contrôlé. Le gain d'une couverture totale du fichier s'évaluerait à 400 millions d'euros, somme importante, mais trop faible au regard du coût d'un contrôle à grande échelle.
Mieux vaut renforcer la procédure d'inscription et l'information auprès des auto-entrepreneurs. C'est ainsi que nous préviendrons le travail dissimulé. On ne saurait minimiser l'impact de la concurrence des auto-entrepreneurs dans le secteur du bâtiment au seul motif que leur chiffre d'affaires ne représenterait que 0,7 % de l'activité des entreprises du bâtiment de moins de vingt salariés et 1,1 % des entreprises artisanales du bâtiment. Certains schémas de contournement de la franchise de TVA dans le bâtiment seraient pratiqués à grande échelle - et ce n'est pas parce que l'IGF et l'IGAS n'ont pu mesurer le phénomène qu'il n'existe pas.
Sans préjuger des travaux de la commission saisie au fond sur le projet de loi qui sera présenté en juillet prochain, nous avons voulu formuler quelques préconisations. Limiter la durée du statut d'auto-entrepreneur quand il s'agit de l'activité principale nous semble difficile. D'une part, il n'est pas aisé d'établir une distinction entre une activité principale et une activité secondaire, l'une et l'autre pouvant s'inscrire dans la durée. D'autre part, régir indistinctement la mosaïque d'activités que recouvre l'auto-entreprenariat n'est peut-être pas une bonne idée. Pour les auteurs du rapport IGAS-IGF, cette option n'était pas plus pertinente que celle du dépassement des seuils d'activité. De plus, elle introduisait une forte insécurité juridique pour les auto-entrepreneurs, présents et futurs. En période de hausse du nombre des demandeurs d'emploi, un tel message n'est sans doute pas le mieux adapté pour parvenir à inverser la courbe du chômage.
À notre sens, il faut distinguer les auto-entrepreneurs oeuvrant dans les secteurs de l'artisanat et des professions réglementées, qui concentrent l'essentiel des critiques, des autres ; n'imposons pas une limitation générale dans le temps à toutes les catégories.
Premier axe, clarifier le régime. Donnons une base juridique à la dénomination d'auto-entrepreneur en la mentionnant expressément dans les textes d'application de la LME. Nous conforterons ainsi le statut social des personnes qui créent leur activité et renforcerons la lisibilité du cadre juridique dans lequel les prestations sont effectuées. Informons davantage les employeurs sur l'activité d'auto-entrepreneur menée par leur salarié pour améliorer la transparence et la lutte contre le travail dissimulé.
Deuxième axe, la sécurisation de l'entrée dans le régime. Lors de l'inscription, rendons obligatoires la déclaration du caractère principal ou accessoire de l'activité, la déclaration des qualifications professionnelles nécessaires à l'exercice d'une profession artisanale ou réglementée, la déclaration de la souscription d'une assurance en responsabilité civile professionnelle ainsi que des assurances professionnelles requises pour l'exercice de certaines professions. Ensuite, instaurons un contrôle automatisé de la concordance des éléments déclaratifs avec les conditions d'accès à l'activité déclarée avant la validation de l'inscription et l'attribution par l'Insee du numéro d'immatriculation. Enfin, instaurons une déclaration sur l'honneur de la véracité des informations fournies. Le but est de maintenir la simplicité du système déclaratif tout en responsabilisant les bénéficiaires du régime.
Troisième axe, désignons l'Acoss chef de file du suivi statistique de l'activité d'auto-entrepreneur.
Quatrième et dernier axe, accompagner les auto-entrepreneurs vers le droit commun de l'entreprise individuelle. Mettons en place un suivi des auto-entrepreneurs susceptibles d'accéder au statut de droit commun à compter d'un seuil de 50 % du plafond de chiffre d'affaires autorisé en fonction de l'activité d'auto-entrepreneur - une population estimée entre 50 000 et 70 000 auto-entrepreneurs. Assurons le financement de ce dispositif en mobilisant les fonds de la formation professionnelle, évalués à 10 millions, ainsi que l'Agence pour la création d'entreprises (APCE) en lien avec les acteurs consulaires et le réseau des experts comptables. Différencions l'accompagnement et les conditions de sortie du régime vers le droit commun selon que les activités relèvent de l'artisanat, pour lesquelles une durée limitée dans le temps peut se justifier, ou des professions libérales et du commerce. Désignons l'APCE tête de réseau de l'accompagnement des auto-entrepreneurs.
L'objectif est de mettre en place une chaîne vertueuse de développement de l'activité par une meilleure préparation des auto-entrepreneurs présentant un potentiel d'entrée dans le cadre général, un lissage des effets de seuils et une simplification des formalités de création d'entreprise dans le droit commun.