La réforme intervient dans un contexte que chacun connaît et qu’il faut cependant rappeler : celui de la crise, ou des crises auxquelles sont confrontées plusieurs filières de la production agricole, et en particulier, cela a été souligné, les filières animales.
Depuis le printemps de l’année 2008 et la crise de la production laitière, les tensions se sont multipliées. Les raisons en sont connues : flambée des prix des céréales sur le marché mondial, aggravée parfois par la spéculation, qui pénalise directement nos productions animales ; situation chronique de sujétion des producteurs aux centrales d’achat de la grande distribution, d’ailleurs confortées par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ; réponses timorées de la loi de modernisation de l’agriculture, qui n’a pas suffisamment rééquilibré ces relations ; distorsions au sein même de l’Europe, qui sont évidemment inacceptables.
Il faudra apporter des réponses à ces questions fondamentales, monsieur le ministre.
Comme d’autres, j’ai récemment été interpellé par les producteurs de ma région, grande région agricole : aviculteurs, éleveurs de vaches laitières, de porcs, etc., tous font part de leurs difficultés et, souvent, expriment leur désespérance.
La France, par la voix du Président de la République, s’était engagée à peser de tout son poids dans les négociations en cours. On peut toujours minimiser le résultat obtenu. Il n’en demeure pas moins que, sur un premier point, qui était aussi un préalable, car il conditionnait la suite, la France a obtenu, en dépit de fortes résistances, le maintien du budget de la PAC à son niveau antérieur ; cela est à porter au crédit de l’action gouvernementale. Il s’agit d’une manifestation concrète de l’importance que notre pays accorde à son agriculture, ainsi qu’à ses filières agroalimentaires.
Telle que nous l’avons vu fonctionner, la PAC antérieure a été source d’inégalités, souvent dénoncées par les agriculteurs eux-mêmes. À cet égard, je souhaite insister fortement sur plusieurs avancées qui me semblent primordiales au regard de l’équité et que notre pays pourra, devra mettre en œuvre dans l’application de la future politique agricole commune.
En premier lieu, la majoration des aides aux 50 premiers hectares est une bonne disposition. Elle favorise à l’évidence les petits et moyens producteurs, alors que ce sont a contrario les grosses exploitations qui ont bénéficié jusqu’à présent d’une sorte d’effet d’aubaine, combinant à la fois volumes et primes. Il s’est produit de la sorte une captation des aides européennes au profit – cela a été souvent dénoncé – d’une agriculture qui n’a rien à voir avec le modèle le plus répandu dans nos territoires, fait d’un tissu d’exploitations de dimension humaine.
Cette disposition sera prolongée par le taux renforcé des aides couplées, liant plus étroitement la production effective et l’attribution des droits à prime. Ce n’est pas la moindre des aberrations, en effet, que ces droits puissent être versés et perçus au nom d’une situation historique et en dehors de tout rapport avec la production.
Bien entendu, nous souscrivons pleinement à la mesure, complémentaire du dispositif existant, qui a été prise pour soutenir les jeunes agriculteurs. La volonté des jeunes de s’installer est loin de manquer, mais comment le faire dans un contexte rempli d’incertitudes et où les perspectives de rémunération sont insuffisantes, alors que le coût de l’installation est allé en augmentant ? L’avenir de l’agriculture telle que nous la voulons ne peut se concevoir qu’à travers une politique volontariste d’installation de jeunes agriculteurs. Je partage, et le groupe socialiste avec moi, votre conviction et votre ambition sur ce point, monsieur le ministre.
Un autre point a fait débat, et le fait encore : le verdissement des aides de la PAC. Cependant, la réflexion progresse la matière. En Bretagne, région que je connais bien, le concept d’« agriculture écologiquement productive » est aujourd’hui porté par les professionnels, ce qui témoigne d’une volonté de quitter la posture défensive et d’avancer positivement sur ces questions prégnantes.
Au-delà de l’agriculture elle-même, ce sujet rejoint les préoccupations sociétales sur les conséquences environnementales des activités agricoles. Bien des progrès ont été réalisés par les agriculteurs. Il n’est que de regarder sans a priori la courbe de la présence des nitrates dans les cours d’eaux bretons ; elle fait apparaître une diminution constante des taux depuis plusieurs années.
Il a manqué jusqu’à aujourd’hui une incitation financière significative pour permettre aux producteurs de faire évoluer leur modèle économique, en particulier dans cette période difficile. Permettre d’avancer sur le respect d’une meilleure agronomie et d’une meilleure prise en compte de l’agriculture dans son rapport à l’environnement ne pourra que contribuer à répondre aux attentes sur ces questions complexes et souvent polémiques.
Parallèlement, le citoyen-contribuable peut légitimement s’interroger sur les contradictions des politiques conduites, qui tendent, d’une part, à subventionner un modèle de production et, d’autre part, à financer les conséquences de ses excès.
L’application des règles de la PAC a, de fait, pu conduire à des résultats paradoxaux. Ainsi, l’approche très tatillonne de l’administration sur les surfaces primables, nées parfois de la prise en compte insuffisante dans la déclaration de la présence d’un talus, a pu déboucher sur des pénalités appliquées à l’exploitant et, l’année suivante, à la destruction du bocage, ce qui mettait un terme définitif à toute discussion éventuelle.
L’élargissement des aides à des surfaces jusqu’à présent exclues – cela concerne également les pâturages extensifs – relève manifestement de la même démarche tendant à concilier activité agricole et environnement : c’est le bon sens !
À présent, il faut que les textes soient interprétés avec intelligence. Pourriez-vous nous préciser, à ce sujet, monsieur le ministre, votre vision de l’avenir des installations ?
Je souhaite également vous alerter sur la question des outils de régulation des marchés. Dans le contexte que j’ai évoqué à titre liminaire, celui de crises récurrentes et de grande volatilité des prix, de concurrence mondiale exacerbée, l’Europe doit se donner les moyens de continuer à agir en faveur de ses productions comme d’autres pays à travers le monde le font sans beaucoup d’états d’âme, fussent-ils libéraux de doctrine.
Je veux attirer votre attention sur les conséquences économiques de certaines décisions. L’abandon des restitutions était, certes, annoncé de longue date puisque M. Barnier en avait confirmé ici même la disparition en 2008. Cependant, il y a des risques évidents d’effondrement de pans entiers de certaines économies régionales. Aujourd'hui, pour la Bretagne, deux entreprises, deux abattoirs, qui, je vous l’accorde, n’ont pas suffisamment anticipé l’échéance programmée, pourraient entraîner dans leur éventuel naufrage la perte de 4 000 à 5 000 emplois directs et indirects pour leur seul champ d’activité et, par effet domino, déstabiliser l’ensemble des entreprises de la filière.
Monsieur le ministre, face aux inquiétudes qui montent dans une région où les difficultés s’amoncellent déjà – il a été fait référence à l’abattoir Gad, avec un nombre impressionnant de suppressions d’emplois annoncées à Lampaul-Guimiliau et à Saint-Nazaire –, on est particulièrement impatient de connaître vos intentions, à un moment où débute un programme de modernisation des bâtiments de l’élevage en région.
Dans le cadre de la négociation de la future PAC, vous avez obtenu des résultats significatifs et des moyens de redonner des perspectives à l’agriculture, ou plutôt aux diverses agricultures de notre pays, qui doutent de leur avenir. Il reste à mettre ces dispositions en œuvre. Je veux donc vous exprimer tout notre soutien et vous prodiguer nos encouragements dans la poursuite de votre action. §