Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 2 juillet 2013 à 14h30
Accord avec l'agence internationale de l'énergie atomique — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si la volonté politique donne naissance au droit, c’est son contrôle et sa sanction qui le nourrissent.

Tel est l’objet du projet de loi n° 328 portant application du protocole additionnel à l’accord entre la France, la Communauté européenne de l’énergie atomique et l’Agence internationale de l’énergie atomique relatif à l’application de garanties en France, signé à Vienne le 22 septembre 1998, qui permet de renforcer notre engagement international pour lutter contre le développement de programmes nucléaires clandestins.

Mes chers collègues, je présenterai mes observations en deux temps, m’attachant à démontrer l’apport du protocole additionnel, puis celui du projet de loi, puis j’évoquerai les seize amendements déposés sur le texte qui nous est soumis.

En ce qui concerne le protocole, je rappelle, à titre liminaire, que celui-ci vient compléter le mécanisme de garanties international prévu par l’accord avec la Communauté européenne de l’énergie atomique, la CEEA, et l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, qui a été mis en œuvre dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, de 1968.

Ces garanties visent, au premier chef, les États non dotés de l’arme nucléaire, les fameux ENDAN, afin de s’assurer qu’ils ne détournent pas les matières ou les équipements nucléaires de leur usage pacifique.

La France, qui figure parmi les cinq États officiellement dotés de l’arme nucléaire – officieusement, il y en a d’autres, on le sait –, a souhaité conclure un tel accord sur une base volontaire pour participer à la démarche internationale de non-prolifération.

Elle a donc signé avec l’AIEA un protocole additionnel à l’accord en 1998, qui a été ratifié en 2003. Ce nouvel instrument permet de détecter de manière plus efficace d’éventuelles activités nucléaires militaires clandestines menées dans un État non doté de l’arme nucléaire.

Ainsi, il impose la transmission à l’AIEA de renseignements supplémentaires sur les activités menées avec les ENDAN et pas seulement la transmission d’informations sur la comptabilisation des matières nucléaires, prévue par l’accord de garanties et qui est déjà, vous le savez, dépassée.

En effet, le mécanisme déclaratif des matières nucléaires par les États a véritablement atteint ses limites. Il s’est révélé insuffisant pour détecter certains programmes militaires clandestins. Il importe de pouvoir croiser les informations provenant de différentes sources, dont la France, avec les renseignements fournis parallèlement par les ENDAN.

Cela permet non seulement de vérifier la sincérité des déclarations faites par ces États, mais également d’identifier la nature des technologies que ceux-ci cherchent à acquérir, ainsi que leur niveau de maturité. Pour ce faire, il faut déclarer plus que les matières nucléaires.

C’est pourquoi les nouvelles obligations imposées par le protocole sont de deux ordres.

La première obligation consiste à transmettre des informations à l’AIEA sur les activités menées en relation avec un État non doté de l’arme nucléaire, lorsque celles-ci interviennent en appui du cycle du combustible.

Je vous le rappelle, mes chers collègues, ce cycle concerne non seulement la transformation des matières nucléaires, la fabrication du combustible et le traitement des déchets, mais également les activités de fabrication et d’exploitation liée aux réacteurs. La production de boulons pour des centrifugeuses, par exemple, doit être vérifiée.

Le champ des opérations visées comprend, notamment, les activités de recherche et développement, publiques comme privées, liées au cycle du combustible nucléaire, celles de fabrication de certains équipements et matières non nucléaires, énumérées en annexe du protocole, les importations et exportations de certains déchets ou équipements lorsqu’elles sont réalisées en dehors de la Communauté, depuis ou vers un État non doté de l’arme nucléaire.

La seconde obligation consiste à accorder un droit d’accès dit « complémentaire » aux inspecteurs de l’AIEA. Ce droit, qui s’exerce dans le cadre des vérifications prévues par le protocole, est complémentaire, car il s’ajoute au droit d’inspecter, déjà inscrit dans l’accord de garanties.

D’une manière générale, les obligations inscrites dans le protocole couvrent donc un champ d’application plus large que celui de l’accord de garanties. Ainsi, les minerais, en amont du cycle du combustible, et les déchets, en aval de celui-ci, sont concernés par sa mise en œuvre.

Mes chers collègues, vous constaterez que l’approche du protocole est également beaucoup plus dynamique et qualitative que celle de l’accord de garanties. Il s’agit de permettre à l’AIEA d’avoir une vision d’ensemble du cycle du combustible nucléaire, pour avoir connaissance non seulement de la détention par un État non doté de l’arme nucléaire de ces matières nucléaires brutes, mais également de la production et de la transformation de ces matières pour des applications nucléaires et non nucléaires, aux différents stades du cycle.

J’en viens au second point relatif à l’apport de ce projet de loi.

Le protocole est entré en vigueur en 2004. Depuis cette date, la France fournit à l’AIEA les renseignements requis par ce texte. Le comité technique Euratom, chargé de son application, recueille auprès des différentes personnes concernées les renseignements prescrits par l’accord.

Deux raisons conduisent aujourd’hui le Gouvernement à traduire ses engagements internationaux au niveau interne. Elles tiennent toutes deux en un mot : la sécurité, aussi bien juridique qu’internationale.

Le premier motif, celui de la sécurité juridique, réside dans la nature et la portée particulièrement large de l’obligation déclarative et du droit d’accès complémentaire. Ces obligations ont été créées à l’échelle internationale entre la France et l’AIEA. Elles doivent donc logiquement être complétées en droit interne.

Au-delà des exploitants nucléaires, toute personne, publique ou privée, est susceptible d’être concernée et de devoir procéder à ces déclarations ou d’accorder un droit d’accès aux inspecteurs.

À titre d’illustration, une entreprise qui exporterait vers un État non doté de l’arme nucléaire des éléments nécessaires à la construction d’une centrifugeuse – j’en reviens à mon exemple des boulons – et pouvant servir à enrichir l’uranium doit en informer les autorités françaises, afin que celles-ci puissent communiquer ce renseignement à l’AIEA.

Un directeur de laboratoire de recherche et développement travaillant en coopération avec un tel État doit autoriser l’accès des inspecteurs de l’AIEA à ses locaux, afin qu’ils vérifient la nature de ces recherches. En effet, il ne sait pas si des éléments de recherche sont transmis à des ENDAN.

Ce droit n’a, d’ailleurs, pas encore été mis en œuvre. C’est pourquoi il est souhaitable de l’inscrire expressément dans notre dispositif législatif et d’en préciser les modalités. Le projet de loi vise ainsi à compléter les stipulations du protocole, en prévoyant une autorisation du président du tribunal de grande instance en cas d’opposition totale ou partielle à la vérification.

La commission a étendu cette autorisation judiciaire en cas de refus d’accès aux représentants de l’AIEA dans le cadre d’une inspection.

En outre, toute obligation n’a de portée effective que lorsqu’elle est sanctionnée. Le projet de loi a également pour objet de prévoir une sanction pénale pour prévenir ou condamner tant le refus de transmettre les informations que celui d’accorder l’accès aux inspecteurs de l’AIEA, dans les conditions fixées par le juge judiciaire. Refuser l’accès des inspecteurs aux locaux signifie qu’on leur cache quelque chose. Quand on ne cache rien, il n’y a pas de raisons de le leur refuser !

D’autres pays, comme les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Espagne ont d’ailleurs prévu de telles sanctions.

La seconde raison qui me conduit à vous proposer d’adopter le présent projet de loi, mes chers collègues, tient au contexte international. La lutte contre le détournement de l’usage pacifique de la technologie nucléaire constitue, en effet, une priorité.

Les incertitudes relatives à l’état d’avancement dans la maîtrise de ces technologies et de leur utilisation par l’Iran et la Corée du Nord, par exemple, conduisent les puissances occidentales, dont la France, à vouloir renforcer la capacité de l’AIEA à disposer d’informations supplémentaires de nature à lui permettre de lutter contre les activités clandestines en ce domaine.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la traduction en droit interne de notre engagement international est essentielle, d’autant qu’elle aura également, nous l’espérons, valeur d’exemple.

Pour ce qui concerne les amendements, j’exposerai dans le cours du débat la position de la commission. §

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