Merci de me recevoir à nouveau. Il y a presque un an, j'avais évoqué les grandes lignes de l'action de mon ministère pour l'égalité des territoires. Celle-ci poursuit trois objectifs : la réparation des territoires fragilisés, leur remise en capacité par le soutien au dynamisme économique et aux services publics, et la solidarité, grâce à la péréquation. Il est trop tôt pour dresser un bilan définitif, mais l'on peut identifier les étapes franchies et celles à venir.
Trois initiatives d'importance ont été lancées. D'abord, le renforcement substantiel de la péréquation. La dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ont chacune été augmentées de 9 %, contre 4,5 % en 2012. La dotation nationale de péréquation a progressé de 10 millions d'euros ; les dotations de péréquation des départements ont augmenté de 20 millions d'euros, et celle des régions de 10 millions d'euros. Dans les territoires de montagne, la longueur de voirie prise en compte pour le calcul des dotations a été doublée. J'ai conscience du caractère modeste de ces évolutions, et il faudra sans doute faire davantage, voire discuter à nouveau du mode de calcul de la dotation globale de fonctionnement. Même en cette période de forte contrainte budgétaire, je serai attentive à ces questions, et je sais que vous le serez également : je garde en mémoire l'émoi suscité ici par l'amendement déposé à l'Assemblée nationale.
Deuxième chantier ouvert : le très haut débit. L'engagement du président de la République visant à permettre la couverture en très haut débit de l'ensemble du territoire d'ici dix ans a été tenu . Les moyens d'y parvenir ont été débloqués : 20 milliards d'euros sur dix ans, dont 4,7 milliards d'euros d'ici 2017. Le plan Très haut débit soumet les engagements d'investissement des opérateurs privés à davantage de contraintes temporelles, et définit un barème de subventions qui renforce la péréquation en faveur des territoires ruraux : le taux de subvention est par exemple de 62 % dans la Creuse, contre 33 % à Paris. Les spécificités de l'Outre-mer ont été prises en compte, et les bonnes pratiques seront encouragées par une bonification pour les projets pluri-départementaux. Le très haut débit ne se résume toutefois pas aux infrastructures. J'ai d'ailleurs confié à Claudy Lebreton une mission destinée à réfléchir simultanément sur les services et les usages numériques.
Dernier volet en cours de mise en oeuvre : favoriser la mixité sociale et lutter contre l'artificialisation des sols pour un développement équilibré de tous les territoires. La loi du 18 janvier 2013 a modifié celle relative à la solidarité et au renouvellement urbain, en portant de 20 à 25 % le taux minimum de logements sociaux des communes de plus de 3 500 habitants. Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) que nous examinerons ensemble courant octobre contient d'autres outils destinés à favoriser la construction de logements tout en préservant les terres agricoles et naturelles. Je ne reviendrai pas sur tout ce que nous avons réalisé en matière d'accès au logement et de rénovation énergétique des bâtiments, avec notamment la décision d'abaisser à 5 % la TVA dans le secteur du logement social dès le 1er janvier 2014.
D'autres actions sont sur le point d'être finalisées. Le rapport d'Eloi Laurent fera date, car l'analyse qu'il dresse de la situation et les pistes qu'il recommande d'emprunter posent les bases d'une véritable politique d'égalité des territoires. Celui de Thierry Wahl a quant à lui déjà fait l'objet d'une décision du Premier ministre, sur la naissance du CGET.
La version initiale du projet de loi de décentralisation comprenait un titre consacré à l'égalité des territoires. J'avais souhaité faire vite, en y incluant les dispositions relatives au numérique et à l'accès aux services publics. Le découpage en trois projets de loi finalement retenu les a déplacées dans son troisième volet. Il n'est pas à exclure que ces dispositions, ainsi que celles portant création du CGET soient insérées dans un projet de loi sur l'égalité des territoires, ce qui irait dans le sens de la résolution portée par le groupe RDSE et votée par votre assemblée. Nous leur adjoindrons le fruit de nos réflexions sur les services et usages du très haut débit.
La mise en oeuvre d'un schéma d'accessibilité aux services publics, établi par le conseil général et le préfet, sera rendue obligatoire. Longtemps appréhendé dans une logique de silos, à l'application parfois brutale, le maillage territorial des services publics doit être repensé. Le numérique est un moyen d'institutionnaliser des espaces mutualisés de services au public. J'ai défendu aujourd'hui même devant le président de la SNCF la préservation des gares peu fréquentées sous réserve que l'agent du guichet assure, au moyen des nouvelles technologies, de nouveaux services aux usagers en lien avec la caisse d'allocation familiale ou le Trésor public. Confier la gestion de ces espaces mutualisés aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre leur conférera des obligations de nature à renforcer leurs liens avec les autres acteurs locaux. L'accès par Internet ne suffit toutefois pas à lui seul : il faut être inventif tout en renouant avec un maillage territorial de proximité.
Le projet de loi rendra possible la mise à disposition des espaces de services au public, de personnels des collectivités territoriales, fonctionnaires et agents non titulaires employés pour une durée déterminée ou indéterminée. Bref, nous levons les obstacles au travail commun des collectivités et opérateurs locaux. Enfin, un fonds national de développement de ces espaces sera créé, et la possibilité sera ouverte de contractualiser une part de la dotation d'équipement aux territoires ruraux pour financer leur création.
La création du CGET met fin à dix ans de chahut des différentes directions interministérielles chargées des territoires et de la ville. En 2013, soit plus de trente ans après la première loi de décentralisation, l'organisation administrative s'adapte aux nouvelles relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Au terme d'une réflexion conduite en lien avec d'autres ministères ainsi qu'avec le Premier ministre, aujourd'hui compétent sur la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire (Datar), la commission présidée par Thiery Wahl a proposé différents scenarios d'évolution.
Force est de constater que la Datar, le secrétariat général du comité interministériel des villes et l'Agence nationale pour la cohésion sociale (Acsé) ont des compétences similaires et travaillent de concert lorsque la situation impose sur un territoire donné une réponse exorbitante du droit commun. Le message ainsi envoyé évite l'opposition entre métropoles et zones rurales. Dans ces dernières en effet, le choix de consacrer le premier volet du projet de loi de décentralisation aux métropoles a parfois été ressenti comme un délaissement. L'urbanisation et la métropolisation sont des états de fait, mais on ne peut pour autant imaginer leur développement sans espaces ruraux. Irréductibles à de simples espaces récréatifs, ils sont d'abord des lieux de vie et de production, auxquels les nouveaux usages numériques ne manqueront pas de conférer de nouvelles fonctions.
Le CGET sera doté d'un commissaire général qui chapeautera les missions relatives à l'aménagement du territoire et au développement économique. Il sera secondé par un commissaire général délégué à la cohésion et à la solidarité urbaine, car les villes sont des interlocuteurs de premier plan. Les fonctions support seront bien sûr mutualisées. Enfin, un préfigurateur sera bientôt nommé pour travailler à l'organisation de cette nouvelle structure.
Un mot sur les chantiers d'avenir. La question des territoires ruraux doit faire l'objet d'une prise en considération politique. Focalisés sur l'organisation institutionnelle, mes propres collègues ne semblent pas tous également convaincus de l'urgence de remettre les territoires en capacité. Ce sujet aussi complexe que peu médiatique - la fermeture d'une station service fait rarement la une du journal de vingt heures - doit être porté par les parlementaires, sans quoi il ne sera qu'un facteur de déséquilibre de notre société.
Le projet de loi que je vous présenterai répond notamment à la demande du groupe RDSE de s'appuyer sur un véhicule juridique adapté. Outre les éléments que j'ai mentionnés, il contiendra le principe du community reinvestment act américain, défendu par un amendement des députés Christian Paul et Razzy Hammadi au projet de loi bancaire, c'est-à-dire l'outil permettant de rapporter l'investissement réalisé sur un territoire à l'épargne qu'il produit. Les défiscalisations des fonds d'investissement de proximité seront plus favorables à ceux qui prennent le risque d'investir dans les territoires ruraux fragiles.
D'autres sujets restent à discuter. Je suis favorable à l'ouverture du débat, sans toutefois précipiter le calendrier parlementaire. Nous savons que le sentiment de relégation lié à persistance d'inégalités entre les territoires a la conséquence triste et regrettable de faire progresser les voix de l'extrême droite dans les zones les plus éloignées des centres urbains. Lutter contre ce sentiment est par conséquent une urgence démocratique.