Intervention de Jacques Gautier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 juillet 2013 : 1ère réunion
Application de garanties en france — Protocole additionnel à l'accord entre la france la communauté européenne de l'énergie atomique et l'agence internationale de l'énergie atomique - examen des amendements au texte de la commission

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, co-président du groupe de travail :

Je vais vous présenter la partie « diagnostic » de ce rapport, puis André Vallini présentera une thérapie que l'on pourrait qualifier d'« idéale » avant que Xavier Pintat ne propose en fin de compte le « traitement » qui n'est pas un « traitement de cheval », mais celui que nous recommandons. Puis Daniel Reiner conclura. Je voudrais dire que cela a été un travail passionnant, difficile, parfois décourageant. Quand nous sommes rentrés de Berlin, nous n'avions pas nécessairement le moral et on s'est demandé si c'était bien la peine de faire un rapport. Nous avons essayé d'apporter une réponse globale.

Cette « Europe de la défense » est une invention « française », puisqu'elle est née en mai 1999. Nous en partageons la paternité avec nos amis allemands puisque c'était au lendemain d'un Conseil franco-allemand, le Conseil de Toulouse. Elle a été utilisée pour la première fois par Alain Richard, alors ministre de la défense, lors d'une interview donnée au journal Le Monde le 14 juillet 1999. Depuis, elle a fait flores.

Il faut dire que c'est une idée à la fois séduisante et ambigüe. Je dirais même séduisante parce qu'ambigüe. Qu'est-ce donc que l'Europe de la défense ? Bien peu de nos concitoyens arriveraient à la définir. Ce n'est pas la « défense de l'Europe », c'est-à dire la défense du territoire européen, car cela est une certitude : la défense de l'Europe c'est l'OTAN - article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Ce n'est pas la « défense européenne », car si elle existait, celle-ci serait non seulement la défense de l'Europe mais aussi « par » l'Europe, et « pour » l'Europe. Ce n'est pas le cas. Ce n'est pas non plus tout à fait la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC, qui est une construction et qui est la projection de forces à l'extérieur du territoire de l'Union européenne pour effectuer des missions de basse intensité dans le cadre d'une « approche globale », « civilo-militaire » et du reste plus « civile » que militaire. C'est donc un « ensemble informe », c'est-à-dire sans forme, une sorte de fatras conceptuel que l'on assaisonne avec toutes les sauces bilatérales ou multilatérales. C'est l'idée qu'il serait possible de faire jouer un rôle aux Européens en matière de défense d'une manière « complémentaire », mais « autonome » par rapport à l'OTAN. Et c'est là que réside son côté séduisant.

Premièrement, on reste dans l'intergouvernemental. Il n'est pas question de s'engager dans des projets que l'on n'aurait pas consentis, ou des expéditions que l'on n'aurait pas souhaitées. Cela a pour corollaire la géométrie variable ou « optionalité ».

Deuxièmement, c'est une démarche progressive : il s'agit d'avancer pas à pas, brique par brique, avancée concrète après avancée concrète.

Enfin, il ne s'agit pas de faire de l'ombre à l'OTAN, condition sine qua non évidemment pour ne pas effrayer nos autres amis européens qui ne conçoivent pas de défense de l'Europe en dehors des Américains. D'où le stade ultime de la promotion de l'Europe de la défense : la réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN.

Tout cela aurait pu marcher et du reste a produit des résultats, des avancées, qu'il faut reconnaître. Du reste, le bilan que nous dressons est beaucoup plus nuancé que celui d'Hubert Védrine. L'Europe de la défense a produit pêle-mêle : EADS, MBDA, l'A400M qui vient de voler au Bourget sous les couleurs françaises, le Meteor, les Aster, Atalanta, l'opération en Somalie et près d'une trentaine d'autres opérations, ou encore l'EATC qui est loin d'avoir donné tous ses fruits. Ce n'est pas rien.

Malheureusement, cela fait dix ans, depuis le lancement en 2003 de l'A400M, que l'Europe de la défense n'avance plus et vit sur ses acquis. MBDA et EADS sont certes des entreprises européennes, mais elles sont loin d'avoir achevé leur intégration industrielle. En Libye, l'Union européenne a été singulièrement absente face à une crise à proximité immédiate de ses frontières ; comme cela avait été le cas il y a dix ans dans les Balkans. Elle n'a même pas été capable de se mettre d'accord pour prendre en charge l'embargo maritime sur les armes, alors que l'OTAN était prêt à l'accepter. Au Mali, les conditions idéales étaient réunies pour permettre le déploiement d'un groupement tactique de l'Union européenne. Et pour beaucoup d'observateurs le Mali constituait un test pour l'Europe de la défense. On ne peut pas dire que l'Europe l'a réussi.

Le fait est qu'il y a en Europe :

- ni capacité militaire « autonome » ;

- ni consolidation de la BITD-E ; c'est chacun pour soi, chacun dans son pays.

- et surtout, plus aucune volonté politique de poursuivre en direction d'une défense européenne.

Non seulement la crise économique n'a pas rapproché les nations européennes, mais elle les a davantage séparées encore, chacune regardant ses emplois, ses usines et ses implantations comme vient de le démontrer le veto mis par l'Allemagne à la fusion EADS-BAE. L'Europe de la défense, comme l'a dit Daniel Reiner, est dans la situation d'une fusée qui aurait épuisé la force propulsive de son premier étage, et qui faute d'allumer son second étage, n'arriverait pas à placer sa charge utile sur orbite.

A quoi cela-tient-il ? Nous avons identifié trois raisons à ce blocage.

La première est l'absence totale de menaces manifestes incitant les Européens à s'unir. En nous privant d'ennemis, les Soviétiques nous ont joué un mauvais tour. Avant, nous avions un ennemi, clairement identifié.

La deuxième est l'absence d'articulation claire entre l'OTAN et l'UE. On peut tourner autour du pot, mais tant que les Européens ne se seront pas approprié l'OTAN et que l'on n'aura pas mis un terme aux vraies duplications comme celle entre la smart defence et le pooling and sharing, on ne progressera pas. On pourrait dire la même chose entre l'opération de lutte contre la piraterie Atalanta de l'Union européenne et Ocean Shield de l'OTAN.

Enfin, et surtout, le principal blocage consistait à croire que l'on pourrait aller vers une défense européenne, à force de petits pas, de petites briques, de petites avancées. Cette idée doit être définitivement abandonnée.

On ne passera pas de l'Europe de la défense à la défense européenne même si on attend « cent cinquante ans ». Tout simplement, parce qu'il n'y a pas de continuum entre L'Europe de la défense, qui est construction intergouvernementale et la Défense européenne qui est d'essence fédérale. Et pour vous le prouver, je déclinerai le paradigme de la copropriété. Les nations européennes sont dans la situation d'individus qui ont construit une maison commune sans se répartir les millièmes de copropriété ni mettre en place une instance capable de prendre des décisions. Il y a bien un vague règlement de copropriété, mais il est si compliqué que personne ne le comprend et que l'assemblée générale des copropriétaires statuant à l'unanimité, chacun reste maître de ne pas financer les travaux avec lesquels il n'est pas d'accord. Ainsi les habitants des étages élevés voudraient refaire la toiture et ceux des étages inférieurs le hall d'entrée, mais rien ne se décide. Il y a bien un syndic. Mais comme personne ne peut lui donner d'ordres, il peine à les exécuter. Tout le monde est insatisfait de la situation et blâme ses propres voisins. Chacun se met à regretter le temps où il avait une maison individuelle. Mais personne n'a plus les moyens de se le permettre.

Voilà où nous en sommes. La situation actuelle est source de frustrations et de mécontentement. Tout le monde sait qu'il faudra mettre en place une « assemblée générale des copropriétaires », mais personne ne le veut, car tous préfèrent s'illusionner qu'ils peuvent continuer à décider tout tous seul, à rester « souverains ».

Pourtant, la situation a considérablement changé et mon collègue André Vallini va vous expliquer pourquoi.

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