Notre plan stratégique, qui a été mis en consultation il y a quelques semaines, sera définitivement arrêté à l'automne. Loin de marquer une rupture, il s'inscrit dans la continuité de celui qu'avait présenté Jean-Pierre Jouyet, mon prédécesseur. Pourtant, bien des choses se sont passées depuis lors, notamment au niveau européen ; aussi croyons-nous utile de repréciser notre posture dans l'action afin de redonner du sens à la finance, qui est indispensable au redémarrage de la croissance. Etant le protecteur naturel des épargnants, l'AMF souhaite contribuer à rétablir leur confiance dans une finance revenue à sa mission de base, le financement de l'économie.
Notre première priorité est de nous investir à fond pour des marchés européens sûrs et transparents. Avec la mise en place de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), la plupart des normes, qu'elles soient de niveau 1 (directives et règlements) ou de niveau moins élevé (code de conduites, directive d'application, etc.) sont d'origine européenne. Nous sommes favorables à une Europe des marchés financiers la plus unie possible, avec une AEMF forte, capable de combler les défaillances de la régulation en promouvant des règles harmonisées et plus précises pour un jeu égal pour tous au sein de l'Europe. Nous souhaitons que la place de Paris soit plus associée à la définition des textes ; c'est pourquoi nous voulons davantage mobiliser les canaux pour expliciter les enjeux, car sur ce point, nous sommes en retard sur les Anglo-Saxons. Nous souhaitons promouvoir une réglementation compatible avec les intérêts des épargnants comme avec ceux de notre industrie financière.
Rétablir la confiance ensuite. Nous traversons une crise de confiance des épargnants, français ou non. Le taux d'épargne augmente avec la crise, mais l'épargne financière, abondante, a tendance à se diriger vers les produits les moins risqués. Notre mission est d'éclairer l'épargnant sur le couple rendement-risque. Le placement le plus sûr et le plus liquide n'est pas toujours dans l'intérêt de l'épargnant, ni dans celui de l'économie...
La faiblesse actuelle des taux d'intérêt rend séduisants des produits atypiques, aux sous-jacents non financiers (manuscrits, oeuvres d'art, vin), aux montages parfois trompeurs, et pour lesquels nous manquons de cadre juridique. Nous aimerions nous doter des moyens d'alerter les épargnants sur les risques et compter des personnalités représentant davantage leur sensibilité dans le collège comme dans la commission des sanctions.
Approfondir les conditions de commercialisation des produits financiers est pour nous une priorité. Nous avons la charge de réguler la profession de conseiller en investissement financier, qui compte 5 000 personnes et nos contrôles restent insuffisamment développés. Nous voulons aussi contribuer à développer la culture économique du public sur des enjeux tels que la stabilité financière, le risque ou la contribution de la finance à l'économie. Nous ne reculons pas devant les sanctions dont - vous avez pu le constater - la sévérité s'accroît. Nous nous efforcerons de cibler les contrôles au maximum et, maintenant que la composition administrative a fait ses preuves, une loi pourrait l'étendre, de sorte que nous soyons plus percutants sur certains dossiers.
Le financement de l'économie enfin. Nous ne pouvons pas être indifférents à l'impact économique de la régulation, ni au défi que représente le fait d'allier efficacité économique et sûreté du paysage financier. Cela passe par la commercialisation, la titrisation et de nouvelles formules telles que la finance participative (crowdfunding) ; au-delà des normes comptables, je plaide pour qu'on adapte les règles aux entreprises moyennes et intermédiaires au lieu de les gêner en les durcissant. Cela peut aussi passer par l'évolution de la place financière et de l'entreprise de marché, à travers l'opportunité historique qui se présente de former à nouveau une bourse dédiée aux entreprises d'une partie de la zone euro.
Une régulation européenne forte avec des règles qui s'appliquent de la même manière dans tous les pays, une action déterminée au service de la protection des épargnants, un souci d'allier celle-ci avec le rétablissement des équilibres de financement, voilà notre état d'esprit.
Nous assistons depuis les années 70 à la construction de normes nationales et européennes pour les offres publiques. Compte tenu du niveau des cours, certaines sociétés, dont le capital est très dispersé, pourraient faire l'objet d'offres publiques si l'inquiétude qui prévaut n'expliquait pas une atonie des opérations de rapprochement d'entreprises en Europe. Des propositions sont sur la table. Longtemps fixé au tiers du capital, notre seuil de déclenchement d'une offre publique d'achat a été abaissé à 30 %. Aller jusqu'à 25 % aurait plus d'inconvénients que d'avantages. Il y a toujours des effets de seuil ; lors du dernier abaissement, il a ainsi fallu prévoir une clause de grand père, pour que les personnes détenant une part de capital comprise entre les deux seuils puissent la conserver sans être tenues de faire une offre. Une telle clause serait nécessaire pour un nouvel abaissement. Non seulement la protection n'en serait pas sensiblement améliorée, mais encore ce seuil de 25 % singulariserait la France en Europe, puisqu'un seul autre pays le pratique.
Contre le contrôle rampant, qui consiste à prendre le contrôle d'une entreprise sans en payer le prix, nous préférons deux mesures techniques. La première est, à l'instar de ce que font les Britanniques, de ne déclarer une offre publique close que lorsque l'initiateur parvient à 50 % et d'obliger celui-ci à rendre les titres dans le cas contraire : de cette manière, l'acquéreur est tenu de formuler une offre assez attrayante pour y parvenir. La seconde consiste à modifier la règle traditionnelle, qui veut que si l'on dépasse le seuil sans aller jusqu'à 50 % du capital, on ne puisse en acheter que 2 % par an ; on pourrait ramener ce pourcentage à 1 %. Enfin, bien qu'importante, la proposition de loi, qui concerne surtout le droit social, ne devrait pas bloquer toute offre.