La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'AMF.
Nous vous avions auditionné l'an dernier en tant que candidat désigné à la présidence de l'AMF. Nous vous recevons maintenant dans cette fonction, accompagné de Benoît de Juvigny, secrétaire général. Vous pourrez nous présenter non seulement un bilan de l'année passée, mais surtout les orientations du document stratégique 2013-2016, qui porte un très beau titre : « Redonner du sens à la finance ».
Deux sujets en particulier auraient besoin d'être éclairés : faut-il tout d'abord retoucher la législation française sur les offres publiques ? Les capitalisations boursières, souvent faibles, peuvent susciter des appétits, pas toujours sains. Une proposition de loi portant notamment sur les seuils a été déposée à l'Assemblée nationale. Peut-être doit-on aussi soulever la question de la régulation de la vitesse d'acquisition ou le cas des offres publiques infructueuses.
La seconde question, d'ordre industriel, a trait à la compétitivité de la place de Paris et au rôle qu'Euronext est susceptible d'y jouer, au moment où se présente une opportunité de faire revenir cette dernière dans le giron européen.
Notre plan stratégique, qui a été mis en consultation il y a quelques semaines, sera définitivement arrêté à l'automne. Loin de marquer une rupture, il s'inscrit dans la continuité de celui qu'avait présenté Jean-Pierre Jouyet, mon prédécesseur. Pourtant, bien des choses se sont passées depuis lors, notamment au niveau européen ; aussi croyons-nous utile de repréciser notre posture dans l'action afin de redonner du sens à la finance, qui est indispensable au redémarrage de la croissance. Etant le protecteur naturel des épargnants, l'AMF souhaite contribuer à rétablir leur confiance dans une finance revenue à sa mission de base, le financement de l'économie.
Notre première priorité est de nous investir à fond pour des marchés européens sûrs et transparents. Avec la mise en place de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), la plupart des normes, qu'elles soient de niveau 1 (directives et règlements) ou de niveau moins élevé (code de conduites, directive d'application, etc.) sont d'origine européenne. Nous sommes favorables à une Europe des marchés financiers la plus unie possible, avec une AEMF forte, capable de combler les défaillances de la régulation en promouvant des règles harmonisées et plus précises pour un jeu égal pour tous au sein de l'Europe. Nous souhaitons que la place de Paris soit plus associée à la définition des textes ; c'est pourquoi nous voulons davantage mobiliser les canaux pour expliciter les enjeux, car sur ce point, nous sommes en retard sur les Anglo-Saxons. Nous souhaitons promouvoir une réglementation compatible avec les intérêts des épargnants comme avec ceux de notre industrie financière.
Rétablir la confiance ensuite. Nous traversons une crise de confiance des épargnants, français ou non. Le taux d'épargne augmente avec la crise, mais l'épargne financière, abondante, a tendance à se diriger vers les produits les moins risqués. Notre mission est d'éclairer l'épargnant sur le couple rendement-risque. Le placement le plus sûr et le plus liquide n'est pas toujours dans l'intérêt de l'épargnant, ni dans celui de l'économie...
La faiblesse actuelle des taux d'intérêt rend séduisants des produits atypiques, aux sous-jacents non financiers (manuscrits, oeuvres d'art, vin), aux montages parfois trompeurs, et pour lesquels nous manquons de cadre juridique. Nous aimerions nous doter des moyens d'alerter les épargnants sur les risques et compter des personnalités représentant davantage leur sensibilité dans le collège comme dans la commission des sanctions.
Approfondir les conditions de commercialisation des produits financiers est pour nous une priorité. Nous avons la charge de réguler la profession de conseiller en investissement financier, qui compte 5 000 personnes et nos contrôles restent insuffisamment développés. Nous voulons aussi contribuer à développer la culture économique du public sur des enjeux tels que la stabilité financière, le risque ou la contribution de la finance à l'économie. Nous ne reculons pas devant les sanctions dont - vous avez pu le constater - la sévérité s'accroît. Nous nous efforcerons de cibler les contrôles au maximum et, maintenant que la composition administrative a fait ses preuves, une loi pourrait l'étendre, de sorte que nous soyons plus percutants sur certains dossiers.
Le financement de l'économie enfin. Nous ne pouvons pas être indifférents à l'impact économique de la régulation, ni au défi que représente le fait d'allier efficacité économique et sûreté du paysage financier. Cela passe par la commercialisation, la titrisation et de nouvelles formules telles que la finance participative (crowdfunding) ; au-delà des normes comptables, je plaide pour qu'on adapte les règles aux entreprises moyennes et intermédiaires au lieu de les gêner en les durcissant. Cela peut aussi passer par l'évolution de la place financière et de l'entreprise de marché, à travers l'opportunité historique qui se présente de former à nouveau une bourse dédiée aux entreprises d'une partie de la zone euro.
Une régulation européenne forte avec des règles qui s'appliquent de la même manière dans tous les pays, une action déterminée au service de la protection des épargnants, un souci d'allier celle-ci avec le rétablissement des équilibres de financement, voilà notre état d'esprit.
Nous assistons depuis les années 70 à la construction de normes nationales et européennes pour les offres publiques. Compte tenu du niveau des cours, certaines sociétés, dont le capital est très dispersé, pourraient faire l'objet d'offres publiques si l'inquiétude qui prévaut n'expliquait pas une atonie des opérations de rapprochement d'entreprises en Europe. Des propositions sont sur la table. Longtemps fixé au tiers du capital, notre seuil de déclenchement d'une offre publique d'achat a été abaissé à 30 %. Aller jusqu'à 25 % aurait plus d'inconvénients que d'avantages. Il y a toujours des effets de seuil ; lors du dernier abaissement, il a ainsi fallu prévoir une clause de grand père, pour que les personnes détenant une part de capital comprise entre les deux seuils puissent la conserver sans être tenues de faire une offre. Une telle clause serait nécessaire pour un nouvel abaissement. Non seulement la protection n'en serait pas sensiblement améliorée, mais encore ce seuil de 25 % singulariserait la France en Europe, puisqu'un seul autre pays le pratique.
Contre le contrôle rampant, qui consiste à prendre le contrôle d'une entreprise sans en payer le prix, nous préférons deux mesures techniques. La première est, à l'instar de ce que font les Britanniques, de ne déclarer une offre publique close que lorsque l'initiateur parvient à 50 % et d'obliger celui-ci à rendre les titres dans le cas contraire : de cette manière, l'acquéreur est tenu de formuler une offre assez attrayante pour y parvenir. La seconde consiste à modifier la règle traditionnelle, qui veut que si l'on dépasse le seuil sans aller jusqu'à 50 % du capital, on ne puisse en acheter que 2 % par an ; on pourrait ramener ce pourcentage à 1 %. Enfin, bien qu'importante, la proposition de loi, qui concerne surtout le droit social, ne devrait pas bloquer toute offre.
Vos moyens suffisent-ils à vos nouvelles missions ? Bénéficiez-vous des capacités d'analyse, de l'expertise ou des investissements informatiques nécessaires au contrôle des opérations sur matières premières et du trading à haute fréquence ?
Quel bilan tirez-vous de votre activité de sanction. Le relèvement des plafonds a-t-il été suffisamment dissuasif ? Les procédures de transaction sont-elles efficaces ? Vous avez rédigé un rapport sur l'accès des PME au marché financier. Comment peuvent-elles avoir confiance dans le nouveau marché Enternext, qui doit concrétiser l'opportunité dont vous nous avez parlé ?
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit que l'Autorité de contrôle prudentiel devra communiquer au fisc toute information en cas de soupçon de fraude. Voyez-vous des obstacles à ce que cela s'applique à l'AMF ? Le Sénat pourrait en effet examiner un amendement dans ce sens.
Quelle est votre opinion sur la réforme du LIBOR ? Que proposez-vous sur la finance participative, dans laquelle la levée de fonds sur Internet se fait sans cadre légal ; à cet égard, que pensez-vous du JOBS Act américain ? La titrisation est-elle dangereuse en soi, ou faut-il, tout en éliminant les produits les plus dangereux, procéder à une labellisation, dont les critères restent à préciser ? Les fonds monétaires ne sont pas épargnés par les paniques et nous avons pu voir, aux Etats-Unis, combien il était difficile de les encadrer ; qu'en est-il en Europe ?
La loi a récemment étendu nos attributions à la tenue de marché, aux marchés des dérivés et des matières premières, ce qui nous confronte à des marchés très éclatés. Nous cherchons à faire face sous la contrainte, commune à toutes les administrations, du bon emploi des fonds publics, et sous celle, spécifique à l'AMF, de recettes assises sur les opérations et qui évoluent lentement. Nous essayons de ne pas alourdir la parafiscalité que nous exerçons sur la place.
Les effectifs des instances de régulation ont augmenté. Pour l'ACP, cela s'est fait à un rythme plus soutenu que pour nous, qui avons vu nos effectifs augmenter de 18 % dans l'exécution du plan stratégique précédent. Nous employons 450 personnes contre 310 en 2003. Ce nombre reste raisonnable, car les tâches ont augmenté plus vite. Nous sommes bien positionnés pour répondre aux défis techniques qui se posent à nous. Les équipes de surveillance ont progressé ; elles sont prêtes pour la surveillance du marché des matières premières, des produits dérivés et des opérations de tenue de marché. Cependant, pour mieux y faire face, nous aurons besoin d'une coopération plus efficace en Europe, notamment par des opérations mutualisées entre l'AEMF et les vingt-sept régulateurs nationaux. Le plafond des effectifs fixé par le législateur est de 469 agents. Avec des redéploiements et les recrutements de bonne qualité que nous avons opérés ces dernières années, il ne devrait pas être nécessaire de le modifier. En revanche, si les recettes stagnaient, nous ne pourrions pas continuer à puiser dans le fonds de roulement, heureusement assez important - elles sont traditionnellement sinusoïdales.
Le plafond des sanctions financières a connu trois relèvements successifs. La Commission des opérations de bourse (COB) n'avait droit qu'à dix millions de francs ; ce plafond a été porté à dix millions d'euros, puis à cent millions d'euros ou le décuple du profit. En pratique, les sanctions sont généralement de trois fois le profit dans le cas d'information privilégiée. La sanction imposée il y a peu à LVMH est la plus importante en montant nominal : huit millions d'euros, alors que le plafond était de dix millions d'euros. Par la jurisprudence, nous cherchons à fixer une norme pour assurer une prévisibilité aux sanctions.
J'ai toujours été un avocat de la transaction, sous réserve de rendre publics les faits constatés et la pénalité. Elle représente en effet un gain en temps et en efficacité, à condition bien sûr d'en user avec discernement. Comme elle ne peut intervenir en cours d'enquête, le début de la procédure est identique et la publicité est totale. L'année dernière a été la première année pleine d'application de ce système, qui a bien marché quoique notre pays n'ait pas la culture de la transaction. Une transaction a été offerte à dix professionnels : dans sept cas, elle a été agréée et homologuée ; dans un cas, la commission des sanctions a refusé la transaction pour des questions juridiques ; dans les autres cas, nous n'avons pu conclure de transaction en raison d'un désaccord sur le niveau de la pénalité. Nous souhaiterions qu'un projet ou une proposition de loi étende ce dispositif aux manquements autres que les abus de marchés, de manière à couvrir des manquements à l'obligation d'information financière ne constituant pas des délits de fausse information.
Les entreprises de taille moyenne se sont senties orphelines de la bourse ; elles pâtissent de règles lourdes, d'une entreprise de marché lointaine et de cours défavorables. Or, avec Bâle III, leur modèle de financement, qui reposait exclusivement sur les banques, va devoir évoluer. Les mesures prises par NYSE-Euronext, si elles viennent un peu tard, constituent un signe clair d'une approche plus attentive au terrain. Il semblerait en outre que le London Stock Exchange envisage de concrétiser des propositions déjà anciennes pour tenter de concurrencer Euronext sur le marché français. Mais cela ne suffit pas. Il faut des circonstances économiques particulières, avec un plus grand nombre d'investisseurs s'intéressant à ce type de titres. Certains remarquent que le cours des valeurs moyennes et intermédiaires a été récemment plus favorable que celui des grandes entreprises.
Le mouvement d'ouverture vers les entreprises moyennes constaté sur le segment obligataire reste embryonnaire. Pour le marché des actions, les fonds levés par introduction en 2012 ont été inférieurs à 300 millions d'euros, contre 6 milliards pour le capital-développement.
Je suis plutôt réservé sur la proposition relative à la fraude fiscale. L'expérience m'a appris la grande spécificité du terrain fiscal. Sur les cent rapports d'enquêtes que j'ai vus depuis dix ans, peu ont des aspects fiscaux, et quand c'est le cas, il y a, neuf fois sur dix, signalement au parquet. En revanche, une telle disposition aurait un effet gênant en termes d'affichage. La plupart des enquêtes bénéficient de coopérations internationales, qui passent par des accords avec nos homologues dans lesquels les renseignements ne sont utilisés que pour la régulation financière. Il faudrait demander l'autorisation de diffuser des informations au fisc, ce qui accroîtrait encore les hésitations de nos partenaires les plus réticents.
Sur le LIBOR, nous n'avons pas de procédure autonome pour des raisons juridiques mais nous avons mené des investigations pour répondre à des homologues. Nous avons participé au groupe de travail qu'ont dirigé le britannique Martin Wheatley et Gary Gensler, président de la CFTC américaine (Commodity Futures Trading Commission), sur ce sujet mais aussi sur d'autres indices reposant sur une base élaborée, pour laquelle on peut craindre des conflits d'intérêts et un manque de transparence. Nous avons demandé à l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) un durcissement dans l'application des principes et nous espérons que l'Union européenne agira de sorte que les conflits d'intérêts soient évalués et traités et les procédures de recueil de données deviennent plus solides. Sur ce sujet, je suis en parfaite sympathie avec Richard Yung qui a rédigé un rapport sur ce sujet. La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne. S'agissant du LIBOR, Martin Wheatley préconise de conserver le système britannique en réformant les procédures, alors que, pour Gary Gensler, on ne peut pas accepter un indice que ne repose pas sur des transactions vérifiables.
L'accès au financement des entreprises moyennes connaît un succès mitigé, avez-vous dit. Quelles propositions avez-vous en stock pour ouvrir le marché aux PME ? S'agit-il de mesures fiscales, concernant les fonds propres, de mesures administratives ?
La France donne l'impression d'être un peu en arrière sur les sanctions. Celles de l'AMF sont assez modestes par rapport à ce qui se fait outre-Atlantique ou de l'autre côté de la Manche. Est-il dans notre tradition de ne pas être trop méchant ?
Enfin, vous semblez critique à l'égard de la taxe sur les transactions financières, qui existe déjà en France et fait l'objet d'une coopération renforcée. Pourriez-vous être plus explicite ?
La sanction pour les franchissements de seuils camouflés est ridicule en regard des enjeux prononcés. Le retour pour l'actionnaire qui a 20 % du capital est largement supérieur à l'amende. Les huit millions d'euros qu'on lui demande sont le dernier souci de LVMH. Le conflit demeure, l'affaire reste pendante : la sanction ne règle rien. Ne serait-il pas plus astucieux d'obliger les contrevenants à revenir au pourcentage qu'ils détenaient avant la fraude ? Ce serait bien plus efficace.
Il y avait naguère régulièrement des introductions de PME sur les bourses régionales. Il est dommage que ces entreprises ne puissent plus se financer ainsi.
Actuellement, la bourse apparaît peu attractive pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire. Elles la perçoivent comme un univers compliqué, coûteux, peu intéressant. Il faut que l'entreprise de marché soit plus attentive à l'égard de ces entreprises. Des initiatives sont en cours. Il faudrait ensuite que ces marchés mobilisent plus d'argent de manière à être plus liquides, que les analystes puis les investisseurs s'y intéressent. Thierry Giami, co-auteur du rapport sur le financement des PME et entreprises de taille intermédiaire par le marché financier, a travaillé avec la Caisse des dépôts et les assureurs. Deux fonds de plusieurs centaines millions d'euros ont été lancés. Un projet de PEA-PME est à l'étude pour inciter les particuliers à investir.
Il serait d'ailleurs souhaitable que la règlementation soit adaptée à la taille des entreprises au lieu de viser uniformément les entreprises dès lors qu'elles sont cotées sur le marché réglementé, parce que l'on touche des entreprises qui viennent juste d'être introduites tandis que les grandes sociétés non cotées y échappent. L'effet est dissuasif pour les entreprises familiales qui souhaiteraient s'introduire en bourse.
Avec les autorités françaises, je plaide auprès de l'AEMF pour que les instances de régulation européennes ne se concentrent pas uniquement sur le durcissement des règles mais sachent les assouplir en dessous d'une certaine taille. Le climat actuel ne s'y prête guère, mais je ne désespère pas d'être entendu. La Commission européenne a publié récemment un rapport sur le financement à long terme des entreprises qui va dans ce sens. En outre, si le financement reste majoritairement bancaire, n'oublions pas le marché obligataire. Enfin, des banques peuvent céder leurs créances à des assureurs ou à des fonds qui émettent des parts d'OPCVM. Tout cela peut contribuer à améliorer le financement à moyen et long terme.
Toutefois le défaut de croissance des petites et moyennes entreprises n'est pas dû à des difficultés de financement. Il relève plutôt d'un manque de compétitivité dans une conjoncture maussade. Mais ces sujets méritent d'être traités car, lorsque la reprise sera là, ces entreprises auront besoin de financement.
Les sanctions prononcées par l'AMF ne sont pas si faibles. Les autorités britanniques, qui sanctionnaient peu il y a quelques années, coopèrent désormais avec la police et ont prononcé des sanctions importantes dans quelques cas. Quant à l'affaire LVMH, à l'époque des faits, le plafond des amendes s'établissait à dix millions d'euros. Comme le franchissement de seuil n'a pas entraîné de profit direct, la sanction représente 80 % du plafond - je ne peux vous dire à combien elle se serait montée avec le nouveau plafond de 100 millions d'euros. La loi n'obligeait pas à l'époque à déclarer les franchissements de seuil lors d'un equity swap dès lors que l'opération se dénouait en espèces. La loi ayant changé, une telle affaire ne se produirait plus. Pourquoi ne pas obliger LVMH à repasser sous le seuil réglementaire ? Parce que la loi ne prévoit pas une revente forcée des titres. En revanche, un franchissement indu du seuil de 5 %, par exemple, entraîne aujourd'hui une perte des droits de vote pendant deux ans.
Oui, je suis réservé sur les modalités de la taxe sur les transactions financières. Il n'est pas anormal que les flux financiers contribuent au redressement des finances publiques. En revanche, le système englobe seulement onze pays et la Commission européenne a retenu une assiette large. Aussi est-il à craindre une délocalisation au profit de nos principaux concurrents que sont l'Irlande, le Luxembourg ou la Grande-Bretagne. Or 15 % des actifs gérés en France sont étrangers. Nous en perdrions une partie. En outre la taxe cible les instruments financiers les plus liquides, ce qui est absurde d'un point de vue économique. Même les opérations de refinancement bancaire, dites « repo », seront taxées, ce qui finira par les rendra fort onéreuses. Nous travaillons avec Bercy pour lever ces objections techniques.
Que pensez-vous du say on pay ? La consultation a posteriori de l'assemblée générale sur les rémunérations est-elle suffisante ?
Je suis plutôt favorable au code de gouvernance publié par l'AFEP et le MEDEF. Nous avions échangé avec ses auteurs et le code reprend plusieurs de nos propositions. Le say on pay, qui constitue une première étape, est devenu une norme internationale. Est-ce suffisant pour éviter toute interrogation de nos concitoyens sur le caractère parfois importants des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées ? La réponse est plutôt non.
Je me réjouis de renouer avec la coutume, excellente, des auditions annuelles du président de l'Autorité des marchés financiers.
MM. Philippe Marini, Richard Yung, Jean-Pierre Caffet, Thani Mohamed Soilihi, Eric Bocquet, Albéric de Montgolfier et Vincent Delahaye sont ensuite désignés comme candidats titulaires, et M. Yannick Vaugrenard, Mme Michèle André, MM. Claude Haut, François Fortassin, Francis Delattre, Philippe Dallier et François Trucy sont désignés comme candidats suppléants, pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
Puis la commission procède à l'examen, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement du Sénat, du rapport de M. François Marc, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 624 (2012-2013) présentée par M. Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, sur la réforme européenne des indices de taux.
Le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) vient de nous parler de la réforme des indices de taux et nous avons l'occasion d'examiner plus avant ce sujet grâce à une proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Richard Yung.
En effet, la commission des affaires européennes a adopté une PPRE sur la réforme européenne des indices de taux, c'est-à-dire l'EURIBOR et le LIBOR, suite à la découverte de fraudes massives sur ce dernier.
Avant de rentrer plus avant dans le détail, je crois utile de rappeler quelques éléments de contexte.
Chaque jour, les banques prêtent et empruntent des fonds les unes aux autres. Que les banques cherchent à emprunter ou à placer, le marché interbancaire offre des conditions plus attractives que celles de la banque centrale.
Il s'agit d'un marché de court terme qui peut aller d'une journée à quinze mois. Il est organisé de gré à gré, c'est-à-dire que chaque banque se tourne vers sa consoeur pour lui demander ses disponibilités et ses prix. Il n'est donc pas possible de connaître le taux d'intérêt moyen pour les différentes devises aux différentes maturités.
Or, de nombreux acteurs financiers souhaitent disposer de cette information - qui reflète le « vrai coût de l'argent » - afin d'établir la rémunération de contrats financiers, comme par exemple les contrats à taux variable. Ces indices peuvent d'ailleurs aussi servir de référence aux prêts à taux variables consentis à des particuliers.
Pour répondre à ce besoin, la British Bankers Association, l'équivalent britannique de la Fédération bancaire française, a créé, au début des années 1980, le LIBOR (London interbank offered rate).
Il permet d'établir un taux d'intérêt moyen pour 10 devises et 15 maturités différentes, soit 150 taux de référence, qui sont calculés chaque jour.
Concrètement, chaque jour, un panel d'une quinzaine de banques doit répondre à la question suivante : « Dans l'hypothèse d'un marché interbancaire de taille raisonnable, à quel taux pourriez-vous emprunter des fonds si vous deviez le faire avant 11h » ?
Les moyennes résultant de ces réponses sont rendues publiques à midi.
J'insiste sur le fait que les taux LIBOR sont des taux de référence, qui leur vaut la qualification d'indices. Plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de contrats financiers sont basés sur ces taux, pour des montants notionnels de l'ordre de plusieurs centaines de milliers de milliards de dollars et au minimum 360 000 milliards de dollars.
L'EURIBOR est l'équivalent du LIBOR dans la zone euro. Il établit la moyenne quotidienne des prêteurs en euros pour 15 maturités.
Il est calculé sous la responsabilité de la Fédération européenne des banques, qui est installée à Bruxelles.
En tout état de cause, ces indices font l'objet d'une attention accrue depuis que des fraudes de grande ampleur ont été découvertes.
Le premier type de type de fraude date des années 2006-2007. Il consistait, pour les banques du panel, à orienter à la hausse ou à la baisse le LIBOR en fonction de leurs positions sur contrats dérivés. Dans plusieurs cas, il y aurait pu y avoir des collusions entre banques afin de représenter un poids suffisant pour orienter le taux dans le sens qui les avantageait.
Les banques, à la fois contributrices et utilisatrices du LIBOR, étaient donc dans une situation de conflits d'intérêts. Le préjudice de cette fraude est potentiellement énorme mais compte tenu du nombre de contrats concernés, il est impossible de calculer le manque à gagner pour les différents acteurs.
La seconde fraude découverte est intervenue en 2008, après la chute de la banque Lehman Brothers. A l'époque, le marché interbancaire s'est totalement arrêté car les banques ne se faisaient plus confiance. Lorsque ce marché a redémarré, les taux auxquels certaines banques pouvaient emprunter étaient devenus très élevés, signe d'une profonde défiance. C'est ainsi que la banque Barclays a volontairement sous-évalué ses taux car elle ne voulait pas révéler la méfiance des autres banques à son égard.
Le LIBOR et l'EURIBOR sont des indices gérés par des structures privées qui ne font l'objet d'aucune régulation particulière. Toutefois, leur mode de calcul diffère.
Dans le cas du LIBOR, la banque déclare le montant auquel elle peut emprunter ; autrement dit, elle dévoile la position du marché à son encontre. Cette information peut être lourde de conséquence, comme on l'a vu pour Barclays. Et la tentation de la manipulation peut donc être très forte.
En revanche, dans le cas de l'EURIBOR, la banque déclare le montant auquel elle accepterait de prêter. Fondamentalement, cela limite les manipulations destinées à éviter un risque de réputation, mais pas les potentiels conflits d'intérêts.
Il faut aussi souligner que le panel des banques contributrices est presque deux fois moins grand pour le LIBOR que pour l'EURIBOR, rendant les manipulations encore plus aisées.
Pour ces raisons, il semblerait - mais cela doit encore être confirmé par les enquêtes - que l'EURIBOR n'ait pas fait l'objet de manipulations de grande ampleur.
En tout état de cause, le scandale du LIBOR a conduit à une profonde remise en question de la régulation de ces indices. Il a permis une prise de conscience : le LIBOR et l'EURIBOR sont de véritables « biens publics », si je me permets de paraphraser Richard Yung.
Les pouvoirs publics ne peuvent donc plus se contenter d'un regard distant sur ces indices essentiels pour le fonctionnement des marchés financiers et auxquels la planète entière se réfère ; ils doivent faire l'objet d'une régulation adéquate par des autorités de supervision publiques et indépendantes en lieu et place d'entités privées.
Les sanctions de la manipulation d'un indice seront durcies. Dans le cadre de la réforme de la directive européenne sur les « abus de marché », la Commission européenne a proposé d'introduire un article prévoyant la sanction administrative et pénale de la manipulation d'un indice.
Le Sénat a adopté un amendement de notre rapporteur Richard Yung au projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui a d'ores et déjà permis de transposer cette disposition dans notre droit national.
Il faut tout de même rappeler que les banques fautives ont acquitté des amendes cumulées de plusieurs milliards de dollars aux différents régulateurs britannique, américain ou encore suisse. Ces amendes ont permis de mettre fin aux poursuites.
Le corpus juridique existant en matière de sanctions n'est donc pas absolument vide, mais il n'est pas non plus vraiment adapté. Le volet « sanctions » reste de loin le plus simple car il fait consensus au niveau européen.
Pour le reste, on relève une divergence d'approche entre Londres et Bruxelles sur la gouvernance des indices. Des questions plus épineuses demeurent en suspens. Elles portent sur les modalités de calcul des indices, sur la composition du panel des banques, sur la gouvernance des organismes responsables du calcul et, enfin, sur les autorités chargées de la supervision de ces opérations.
A cela s'ajoute une considération juridique sur les contrats en cours : une réforme du LIBOR et de l'EURIBOR ne doit pas perturber excessivement les indices dès lors que des milliers de contrats, partout dans le monde, y font référence. Le risque de contentieux serait très important.
La mainmise de la City sur le LIBOR est considérée comme un élément stratégique pour Londres. En conséquence, toute régulation européenne est mal perçue.
Du coté de Londres, on entend « laver son linge sale en famille ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la City a réagi très rapidement et a demandé à Martin Wheatley, le directeur de la Financial Services Authority, de préparer un rapport sur la réforme du LIBOR.
Ce rapport a été publié en septembre 2012 et a déjà fait l'objet d'une transcription législative qui est partiellement entrée en vigueur au 1er juillet 2013. En particulier, les compartiments de marché pour lesquels les transactions étaient trop faibles ont été abandonnés (couronne suédoise, dollar néo-zélandais, etc.).
Bien que le LIBOR devienne juridiquement une « activité financière régulée », son calcul et sa gestion restent confiés à une entité privée, qui ne devrait plus être la British Bankers Association.
Aucune autorité publique n'est engagée directement dans la gouvernance de l'indice. Londres semble ainsi revenir à la régulation « light touch » préconisée au début des années 2000 et qui fut si durement critiquée lorsque la crise a éclaté.
De son côté, l'Union européenne entend aller plus loin, mais peut-être trop loin justement. A la fin 2012, la Commission européenne a lancé une procédure de consultation sur la réforme de l'ensemble des indices - et pas seulement les indices financiers.
La consultation est close mais aucune proposition législative n'a, à ce jour, été publiée. On peut donc se demander dans quelle mesure l'ambition affichée n'est pas une entrave à l'avancement des travaux.
La PPRE que nous examinons aujourd'hui nous permet de nous prononcer en amont de la future législation. Le travail de notre collègue Richard Yung se limite - je crois avec raison - aux indices financiers.
La PPRE s'articule autour de six propositions clefs.
Il faut promouvoir une action dédiée à l'EURIBOR. Celui-ci doit être régulé dans un cadre spécifique et non dans le cadre d'une réforme trop large, dont les contours sont encore mal définis. Il faut de surcroît agir vite avant que la session du Parlement européen ne soit close.
Il faut faire de la production d'indices systémiques comme l'EURIBOR une activité régulée au niveau européen. L'autorégulation, source de conflits d'intérêts, ne doit plus avoir cours en Europe.
Notre collègue Richard Yung suggère que cette supervision soit intégrée dans le mécanisme unique de supervision, qui est la première pierre de l'Union bancaire. L'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) pourrait également intervenir dans le processus de supervision.
Il faut intégrer le LIBOR, au moins en partie, dans la supervision européenne. Il n'est pas concevable que, dans un marché financier unique, il existe deux modes de régulation des indices financiers : la régulation doit être, si ce n'est identique, du moins cohérente entre l'EURIBOR et le LIBOR.
Il faut associer une autorité publique européenne à la gouvernance de l'EURIBOR. Nous ne parlons plus là de supervision mais bien de l'élaboration quotidienne de l'indice. Compte tenu du rôle qu'il joue sur les marchés monétaires, la proposition de faire intervenir la Banque centrale européenne dans l'élaboration de l'EURIBOR me paraît bienvenue.
Il faut établir un cadre européen de sanctions en cas de manipulation des indices. Cette proposition est déjà quasi-satisfaite, bien que la nouvelle directive sur les abus de marché ne soit pas encore formellement adoptée.
Il faut enfin assurer une meilleure connaissance des transactions du marché interbancaire. En effet, jusqu'à présent, les banques contributrices du panel ne mettaient pas à disposition les éléments sous-jacents à leur déclaration quotidienne. Il faut que ces données, tout en restant confidentielles, puissent être accessibles aux autorités de régulation. C'est une exigence de transparence.
Mes chers collègues, je crois pouvoir dire que notre collègue Richard Yung a excellemment travaillé. Je vous proposerai par conséquent d'adopter sans réserve sa proposition de résolution européenne, qui deviendra - à moins qu'un débat en séance publique ne soit demandé - la résolution du Sénat.
Le rapporteur a bien expliqué et explicité notre démarche. Je suis parti de la réflexion que le scandale du LIBOR était totalement occulté en France, alors que la presse anglo-saxonne s'en faisait largement écho. Il me semblait donc important d'en parler.
L'idée essentielle, pour l'élaboration des indices, est de ne pas traiter de la même manière le LIBOR et l'EURIBOR. La zone euro doit préserver sa spécificité.
Surtout, le LIBOR, et vous l'avez dit, est largement un taux deviné : on demande aux banques de faire une supposition sur le taux auquel elles pourraient emprunter. C'est d'ailleurs la critique adressée par les Américains à ce système. Gary Gensler, que nous avons évoqué avec le président de l'AMF, voudrait créer un indice différent qui soit moins « anglo-centré ». Les Américains ne veulent pas dépendre de la place financière de Londres.
Ce qui va peut-être faire débat, c'est de mettre la Banque centrale européenne (BCE) dans la gouvernance du dispositif EURIBOR. J'imagine les critiques qui seront adressées à cette proposition. La BCE elle-même est assez prudente et ne manifeste pas un enthousiasme débordant. Je considère qu'elle fixe déjà l'EONIA, le taux du marché monétaire à 24 heures. Elle pourrait très bien le faire pour d'autres taux. On évite les conflits d'intérêts et toute attitude morale discutable.
Alors, est-ce que l'Autorité européenne des marchés financiers devrait intervenir ? Je crois que la BCE a plus de poids.
Cette proposition permettrait de remettre des compétences dans la gouvernance de la zone euro : l'EURIBOR, c'est un outil de la zone euro.
En effet, on ne demande pas : « à quel taux pensez-vous être en mesure d'emprunter ? » mais « à quel taux pensez-vous être de mesure de prêter ? ». Cette information est tout de même beaucoup mieux maîtrisée par les banques.
Dans votre esprit, vous demandez que la supervision européenne porte également sur le LIBOR. Quel serait le rôle de la BCE vis-à-vis de LIBOR ?
Sur le fond, il importe que le mode de gouvernance, de régulation et de surveillance des deux taux ne soit pas éloigné.
Mais vous agitez le chiffon rouge devant les Britanniques ! Ils refusent l'intervention de toute autorité et encore moins une autorité européenne. Quelle horreur !
La proposition de résolution européenne est adoptée sans modification.
La commission entend enfin une communication de M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Régimes sociaux et de retraites », sur le régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins (ENIM).
Nous allons entendre une communication de Francis Delattre sur le régime spécial de retraite et de sécurité sociale des marins, qui fait référence à l'Etablissement national des invalides de la marine (ENIM).
Merci, Monsieur le Président. Comme vous le savez, je suis rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et de la mission budgétaire « Régimes sociaux et de retraite ». Parmi les régimes spéciaux de retraite, ceux des transports terrestres, en particulier de la société nationale des chemins de fer (SNCF) et de la régie autonome des transports parisiens (RATP), sont souvent évoqués dans l'actualité. Le régime de retraite et sécurité sociale des marins est le régime spécial qui reçoit la troisième dotation de l'Etat la plus élevée.
Ce régime présente une double spécificité. D'une part, il ne s'agit pas d'un régime en extinction, contrairement au régime de retraite de la société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (SEITA). Le régime des marins est encore ouvert et dispose de ressources propres, provenant des cotisations salariales et des contributions employeurs. D'autre part, il reçoit une dotation de l'Etat, en raison de son déséquilibre démographique.
Une réforme importante a été conduite en 2010 : l'Etablissement national des invalides de la marine (ENIM), auparavant direction d'administration centrale, a été transformé en établissement public de plein exercice. Les fonctions de gestion des prestations et d'élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs au régime ont ainsi pu être séparées.
Avant de revenir sur ce point, je souhaiterais rappeler les principales caractéristiques du régime. Tout d'abord, le régime des marins est l'un des plus anciens régimes de protection sociale. Il trouve son origine dans l'institution par Colbert, en 1673, du fonds des invalides de la marine.
Aujourd'hui, le régime spécial des marins est un régime multi-risques : il couvre toutes les assurances sociales, à l'exception des prestations familiales. L'assurance vieillesse est l'activité la plus importante en termes de montants de prestations servies : elle représente environ 1,2 milliard d'euros sur un budget total de 1,6 milliard, toutes assurances confondues. Elle est gérée par la caisse de retraite des marins (CRM), qui est intégrée à l'ENIM. Par ailleurs, l'ENIM a développé une action sanitaire et sociale spécifique et reçoit pour ces dépenses une subvention de 6 milliards d'euros de l'Etat.
Qui sont les affiliés à ce régime ? Il s'agit de l'ensemble des « gens de mer », c'est-à-dire les professionnels des secteurs maritimes : la pêche, les cultures marines, le commerce ainsi que la plaisance professionnelle. Sur les quelques 30 000 affiliés à l'ENIM, on compte environ 55 % de marins des secteurs de la pêche et des cultures marines et 45 % d'affiliés issus du commerce et de la plaisance professionnelle.
Les conditions de travail peuvent varier fortement d'un secteur à l'autre. La pénibilité est particulièrement importante dans les métiers de la pêche. Il s'agit, de plus, du secteur le plus accidentogène en France, devant le bâtiment et les travaux publics.
Enfin, le régime spécial est qualifié de « régime de passage ». Cela signifie que peu de personnes sont affiliées à l'ENIM durant toute leur carrière. Fin décembre 2012, la part de polypensionnés s'élevait ainsi à 80 % des pensionnés de droits directs.
J'en viens maintenant à un point important : la situation démographique du régime de retraite. Celui-ci compte un peu moins de 30 000 cotisants, pour environ 117 000 bénéficiaires. Le ratio cotisants / retraités est donc particulièrement faible, avec 0,25 cotisant pour un retraité. A titre de comparaison, ce ratio est de 1,39 pour le régime général, 0,68 pour la SNCF et 0,95 pour la RATP.
Il s'agit donc du plus mauvais taux de couverture des régimes spéciaux ?
Oui, il s'agit du taux de couverture le plus faible parmi les régimes spéciaux ouverts, qu'il convient de distinguer des régimes des mines ou de la SEITA, qui sont en extinction.
Le ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités n'a cessé de se dégrader en raison de la forte baisse des effectifs de marins. Ce recul de l'emploi maritime en France s'explique en partie par l'apparition de pavillons de complaisance. Les armateurs utilisant ces pavillons préfèrent alors recourir à des assurances privées, d'autant plus que les formalités d'immatriculation et d'affiliation prennent souvent entre un et deux mois.
Le déficit démographique explique le versement par l'Etat d'une subvention au régime de retraite des marins, afin d'assurer son équilibre. Pour l'année 2013, l'Etat verse une subvention de 834 millions d'euros à l'ENIM, qui sert à financer les pensions de retraite des marins. En outre, une subvention de 6 millions d'euros est versée au titre de l'action sanitaire et sociale de l'établissement. La dotation de l'Etat à l'ENIM représente donc plus de la moitié des ressources de l'établissement, toutes prestations confondues. A cette subvention totale de 840 millions d'euros de l'Etat s'ajoutent 169 millions d'euros versés au titre du mécanisme de transfert de compensation démographique entre régimes. Afin de financer les prestations maladie, l'ENIM reçoit en outre une subvention de 284 millions d'euros de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Comme vous pouvez le constater, le régime se trouve sous perfusion massive de l'Etat et des autres régimes.
Au final, les contributions patronales et les cotisations salariales ne représentent que 10 % des ressources de l'ENIM, toutes prestations confondues. Il faut également souligner que l'Etat prend en charge, à hauteur de 69 millions d'euros, les exonérations de charges sociales dont bénéficient les secteurs maritimes, notamment celui de la pêche, qui constitue un secteur en difficulté.
Je souhaiterais maintenant aborder le bilan de la réforme de l'ENIM. Comme je l'ai indiqué précédemment, une réforme importante a eu lieu en 2010. L'ENIM, qui était jusqu'ici une direction d'administration centrale, a été transformé en établissement public administratif. Ceci est une bonne solution pour séparer les tâches de gestion et de réglementation du régime.
S'agissant des effectifs de l'établissement - question à laquelle je suis toujours attentif - leur évolution est maîtrisée. A l'occasion du déménagement du siège de l'établissement à La Rochelle, les 110 fonctionnaires travaillant dans les locaux parisiens de l'ENIM, ont été pour la plupart reclassés dans d'autres directions du ministère de l'écologie. Un recrutement important de personnels sur place a donc été nécessaire, dont certains sont issus de caisses primaires d'assurance maladie. Malgré tout, le nombre d'équivalents temps plein travaillés (ETPT) de l'ENIM est en baisse : entre 2010 et 2012, 34 ETPT ont été supprimés, sur un total de 425 agents en 2012. Cette baisse a notamment été rendue possible par la fermeture du centre de prestations de Bordeaux. Le recrutement de personnel extérieur, à l'occasion de la réforme de l'établissement, a été particulièrement bénéfique et a participé à la modernisation de ce système vieillissant.
L'une des conséquences de la transformation de l'ENIM en opérateur de l'Etat est la signature d'une convention d'objectifs et de gestion (COG) avec les trois directions de tutelle (affaires maritimes, budget et sécurité sociale). Couvrant la période 2013 à 2015, elle s'articule autour de trois axes : l'amélioration du service rendu à l'assuré, le développement de partenariats avec d'autres acteurs du secteur social et la mise en oeuvre des politiques générales de l'Etat, telles que la lutte contre la fraude ou la réduction des dépenses de fonctionnement.
Lors de mes travaux, j'ai toutefois relevé deux points problématiques dans la gestion du régime. Le premier concerne le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat. En vertu d'une convention, les directions départementales des territoires et de la mer effectuent un certain nombre de missions importantes pour le compte de l'ENIM : instruction des demandes d'affiliation des marins, enregistrement des entreprises d'armement, constitution des dossiers de demande d'aide sociale ou encore préparation des dossiers de pension d'invalidité. De facto, les services des affaires maritimes demeurent le lieu principal d'information et de contact pour les marins et les armateurs en matière de protection sociale. Or, lors de mon déplacement à Saint-Malo, j'ai pu constater que les agents sur place ne peuvent pas toujours répondre aux demandes d'information qui leur sont faites. C'est un vrai problème pour l'ensemble du système. Il s'agit certainement de l'une des raisons pour lesquelles le régime ne parvient pas à attirer certains nouveaux professionnels. Il conviendrait d'avoir un référent sérieux dans les principaux ports.
Le second domaine où des difficultés persistent est la coopération avec les autres organismes de protection sociale. La mise en oeuvre de l'adossement informatique à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a apporté quelques améliorations, mais la coopération avec les autres régimes spéciaux, notamment pour mutualiser certains outils, est encore insuffisante. Ceci étant, je note la volonté du nouveau directeur de l'ENIM d'avancer dans ce sens. Un véritable travail de fond est mené pour moderniser la gestion du régime mais, malheureusement, certaines structures sont un peu dépassées.
Le régime est resté à l'écart des principales réformes des retraites, dont la réforme des régimes spéciaux de 2008. A première vue, les règles du régime apparaissent favorables. L'âge légal de départ à la retraite pour les marins est fixé à cinquante-cinq ans, avec une possibilité de départ anticipé à cinquante ans. Il n'existe pas de mécanisme de décote en cas de durée de cotisation insuffisante et la pension est calculée sur les trois dernières années de service, contre les vingt-cinq années les plus avantageuses dans le régime général. Malgré ces conditions plus avantageuses que le droit commun, le régime de retraite des marins apparaît peu attractif. Ceci est principalement dû à sa très grande complexité et à la rigidité d'un certain nombre de règles.
Tout d'abord, il existe plus d'une trentaine de taux de contributions patronales et de cotisations salariales différents. Ces derniers varient notamment en fonction du secteur maritime, du poste occupé par le salarié ou de la taille du navire. Ensuite, le calcul des pensions, des contributions des armateurs et des cotisations salariales s'effectue sur la base d'une grille de salaires forfaitaires, organisée en vingt catégories. Enfin, différents dispositifs d'allègement et d'exonération de charges sociales se sont empilés au fil des années. La multiplication des « niches sociales » tend à fragiliser le régime, qui souffre déjà d'un déficit structurel important. Le système est donc peu lisible à la fois pour les employeurs, les usagers et les services chargés de la gestion du régime. Lors des auditions, j'ai constaté qu'il y a unanimité pour considérer le régime de retraite des marins comme le plus complexe des régimes spéciaux. Il convient donc de profiter de la prochaine réforme des retraites pour poursuivre la modernisation et la simplification de ce régime spécial.
Ainsi, je m'essaie là à quelques audaces en formulant dix recommandations. En premier lieu, il convient de remettre à plat le partage des tâches entre l'ENIM et les services déconcentrés de l'Etat.
Il s'agit de donner plus ou moins de missions aux services déconcentrés ?
Il s'agit de transférer davantage de tâches à l'ENIM, afin qu'il ait la responsabilité pleine et entière du régime. Par ailleurs, il conviendrait d'avoir des renforts dans les services de l'Etat des principales villes maritimes, afin de disposer de référents compétents et en capacité de réagir face aux demandes des armateurs.
S'agissant des règles applicables au régime, comme je l'ai indiqué précédemment, une simplification est nécessaire. Celle-ci pourrait passer par la réduction du nombre de catégories des grilles de salaires forfaitaires et par la rationalisation des dispositifs d'exonération, qui se sont ajoutés au fil des crises.
Enfin, lors du contrôle mon attention a été attirée sur le cas des femmes marins enceintes. Le droit du travail maritime prévoit en effet que les femmes marins ne peuvent travailler dès que la grossesse est constatée. Leur contrat de travail est alors suspendu et elles se trouvent privées de revenus jusqu'au versement des indemnités journalières maternité - qui ne sont servies que six semaines avant l'accouchement. Le fonds d'action sanitaire et sociale de l'ENIM a mis en place une indemnité pour combler cette période sans rémunération. Toutefois, ce problème pourrait être réglé de façon plus satisfaisante en rendant applicable l'obligation de reclassement des femmes marins enceintes sur un emploi à terre.
Enfin, la grande variété des conditions de travail selon les secteurs et les professions, et leur évolution grâce aux progrès technologiques, m'amènent à penser que le départ à la retraite à 55 ans n'est pas toujours justifié. Une analyse de la pénibilité par secteur pourrait permettre de mettre en place une modulation de l'âge de départ à la retraite selon le critère de pénibilité.
En conclusion, ces travaux ont permis de constater que le bilan de la réforme de l'ENIM est globalement satisfaisant. Les principales difficultés sont liées aux règles du régime lui-même, qui sont complexes et rigides. Je propose que dans le cadre d'un prochain débat sur les régimes spéciaux, la question du régime des marins soit également traitée.
Cher collègue, je vous remercie donc pour cette approche à la fois précise et équitable.
C'est Kafka, ce régime ! Ma première question est la suivante : y a-t-il beaucoup de régimes spéciaux qui sont aussi déséquilibrés ? Ma seconde question concerne la position de la Commission européenne sur ces régimes spéciaux subventionnés par l'Etat. S'est-elle manifestée sur ce sujet, alors qu'elle est souvent très sourcilleuse sur les aides d'Etat ?
Je partage l'opinion du rapporteur spécial sur l'appréciation de la pénibilité. Entre la bête humaine sur les trains d'autrefois et le conducteur de train à grande vitesse (TGV) d'aujourd'hui, je pense qu'il y a une grosse différence. La situation est la même chez les marins, le rapporteur spécial a eu raison de la souligner. Les marins qui sont dans de gros bâtiments ultra-perfectionnés ont une vie tout à fait différente de celle qu'avaient auparavant les marins de la marine à voile. Si nous ne sommes pas rigoureux sur cette question, nous ne parviendrons plus à gérer ces régimes de retraite, qu'ils soient spéciaux ou non.
J'ai trouvé que ce sujet était traité par le rapporteur spécial de façon humaine et compréhensive. Je pense, tout de même, que le travail en mer est toujours difficile, que l'on soit sur un bateau de pêche ou sur un pétrolier.
Concernant la situation démographique du régime, on constate en effet une diminution de la flotte française d'année en année. Ceci est assez incompréhensible, compte tenu de la position géographique de la France. Cette situation démographique dégradée est notamment due, Francis Delattre l'a souligné, à la concurrence des pavillons de complaisance. Sur ces navires, de nombreux équipages sont presque entièrement composés de marins étrangers.
Pour revenir à la pénibilité, je pense qu'il convient de protéger le statut des marins pêcheurs. Ceci est important, à la fois pour conserver ce métier mais aussi pour protéger la ressource halieutique. Car les petits bateaux, notamment en Bretagne ou sur la côté du Pas-de-Calais, pêchent en moins grandes quantités et exercent dans des conditions particulièrement pénibles.
Je suis d'accord sur le fait qu'il convient de cibler les métiers les plus pénibles.
S'agissant de la composition des équipages, il y a en général un grand nombre de marins étrangers mais souvent l'encadrement demeure français. Nous avons toujours une bonne école d'officiers.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce rapport, il se trouve que le plus grand paquebot d'Europe, accueillant près de 1 400 membres d'équipages, est parti de Saint-Nazaire. J'ai tenté de me renseigner pour savoir combien d'entre eux étaient affiliés à l'ENIM. En réalité, il semble y en avoir moins de 200, ce qui correspond au personnel d'encadrement. Dans le secteur de la plaisance en général, on trouve très peu d'affiliés à l'ENIM.
Peut-on comparer les garanties offertes par l'ENIM et les assurances privées ? Ceci serait intéressant.
C'est difficile. Et dans la plupart des cas, les marins étrangers n'ont pas le choix ; l'armateur décide. Il conviendrait d'être plus « agressif » commercialement, dans les ports de taille importante. Mais les services déconcentrés des affaires maritimes sont maintenant réduits à la portion congrue.
La proposition du rapporteur serait donc que l'ENIM s'implique davantage, ce qui irait dans le sens d'une responsabilisation plus grande.
Tout à fait. L'ENIM devrait s'impliquer davantage, commercialement, afin de gagner de nouveaux affiliés.
A l'issue de ce débat, la commission donne acte de sa communication à M. Francis Delattre, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.