Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 3 juillet 2013 à 14h30
Conseil supérieur de la magistrature. – attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle et d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle et le projet de loi ordinaire que Mme Taubira vient de nous présenter en détail sont porteurs d’une même ambition : conduire à son terme le mouvement, engagé il y a vingt ans, pour garantir l’indépendance de la justice et lever les soupçons de corporatisme ou de mainmise politique qui pèsent sur elle.

« Se défier de la magistrature est un commencement de dissolution sociale », écrivait fort justement Balzac au XIXe siècle. Même s’il est infondé, le soupçon atteint la justice dans ce qu’elle a de plus précieux : la confiance que les citoyens lui portent et le respect qu’elle doit leur inspirer.

À ceux qui croiraient que la question n’est pas urgente et que, après tout, elle peut bien attendre vingt ans de plus, je réponds qu’il n’est jamais trop tôt pour travailler à garantir l’indépendance et l’impartialité de l’institution judiciaire. La défiance prospérant sur la moindre aspérité laissée par la loi, on blâmerait à raison le législateur négligent qui, conscient d’une difficulté, aurait remis à plus tard le moment de la traiter.

En apportant, enfin, au parquet les garanties qui lui manquent et au CSM les pouvoirs qui lui font défaut, le projet de loi constitutionnelle vise à asseoir l’indépendance de la justice.

En clarifiant les relations entre la chancellerie et le parquet, le projet de loi ordinaire concilie le principe de la soumission hiérarchique du parquet au pouvoir exécutif avec la nécessaire indépendance statutaire du ministère public. Il convient en effet de toujours bien distinguer le statut du parquet et sa fonction.

Pour plus de clarté, je vous présenterai d’abord le projet de loi constitutionnelle, puis le projet de loi ordinaire.

Il y a vingt ans, nous débattions déjà de l’indépendance des juges et de celle du ministère public. Le constituant avait alors eu l’audace de soumettre la nomination des magistrats du siège à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Auparavant, aux termes de la Constitution de 1958, le CSM, dont les membres étaient nommés uniquement par le Président de la République, donnait simplement des avis, comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux. Pour la nomination des magistrats du parquet, on s’en était tenu à une procédure d’avis simple, qui est aujourd’hui toujours en vigueur.

Seulement cinq ans plus tard, en 1998, sur l’initiative conjointe du Président de la République Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin, une réforme du CSM était adoptée par nos deux assemblées, visant à renforcer les prérogatives du CSM et à soumettre les nominations des parquetiers à son avis conforme, comme pour les magistrats du siège. Malheureusement, pour des raisons dont tout le monde se souviendra ici, le Président de la République renonça à convoquer le Congrès.

Dix ans plus tard, en 2008, à l’occasion de la vaste révision constitutionnelle engagée par le Président de la République Nicolas Sarkozy, une importante réforme du CSM a eu lieu. Elle a permis deux avancées majeures : d’une part, elle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et y a substitué celle des chefs de la Cour de cassation ; d’autre part, elle a rendu possible la saisine du CSM par les justiciables. Ces avancées ne sont pas aujourd’hui contestées. Tel n’est pas le cas, en revanche, de la troisième modification prévue à l’époque : rompant avec un principe constamment respecté depuis 1958, et en contradiction totale avec les standards européens, la réforme plaçait pour la première fois les magistrats en minorité au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, comment ne pas regretter que la réforme de 2008 ait manqué, elle aussi, l’occasion de conforter l’indépendance du parquet, alors même que, sous l’impulsion de son président et rapporteur, Jean-Jacques Hyest, votre commission des lois avait proposé de confier au CSM le pouvoir disciplinaire qui appartient toujours, aujourd’hui, au garde des sceaux ?

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