Et je ne parle même pas de l’affaire d’Outreau ! Soit dit en passant, au Sénat, jamais nous n’aurions créé une commission d’enquête sur cette affaire ! Je le dis clairement, cela n’a pas grandi la magistrature ni amélioré la confiance de l’opinion publique dans cette dernière.
Madame le garde des sceaux, je cite toujours un grave cas de dysfonctionnement de la justice : l’affaire dite « des disparues de l’Yonne », où le parquet, l’instruction, le tribunal avaient failli. Des dossiers avaient été perdus ! Mais aucune sanction n’avait été prononcée. C’est finalement le Conseil supérieur de la magistrature qui, courageusement, a pris des sanctions. Cependant, on omet toujours de dire que le vrai pouvoir disciplinaire, concernant les magistrats, c’est le Conseil d’État qui le détient. Or, en l’espèce, il a annulé pratiquement toutes les décisions, toutes les sanctions !
Quand on parle de réforme, d’indépendance, mieux vaut donc en revenir aux réalités !
Nous espérions que la possibilité donnée à tout justiciable de saisir le Conseil supérieur de la magistrature produirait des effets. On s’aperçoit que cela va venir, mais les choses ne se passent pas aussi simplement que nous l’avions pensé. Les statistiques qui ont été fournies montrent que l’on est encore un peu loin du but. Pourquoi ? Parce que, au nom de l’indépendance, il ne faut jamais sanctionner un magistrat… Cela m’a toujours paru un peu curieux !
Je rappelle aussi que la Révolution trouve largement ses origines dans les remontrances adressées au roi par les parlements. Si, pour notre part, nous accordons beaucoup de pouvoir en matière de nomination des magistrats, comme le disait Jacques Mézard, notre manière de légiférer suscitera des remontrances permanentes. Au demeurant, les syndicats de magistrats ne se privent pas de critiquer la loi dès qu’elle est votée ! J’espère au moins qu’ils l’appliquent après !
Et quand des membres du Conseil supérieur de la magistrature qui ne sont pas magistrats se permettent de dire ce qu’ils pensent, on leur demande de se taire, en invoquant la déontologie ! À certaines époques, des membres du CSM s’exprimaient largement dans les médias, et sans encourir le moindre reproche. C’est la preuve que les mœurs évoluent…
Peut-être nous-mêmes, parlementaires, courons-nous un risque à trop nous exprimer sur ces sujets-là. On ne sait jamais ! Heureusement, nous avons notre immunité, qui nous permet de dire ce que nous voulons ici ! Sinon, nous pourrions être poursuivis pour atteinte à l’indépendance de la justice !
Honnêtement, madame le garde des sceaux, cette réforme n’est ni urgente ni indispensable. Comme l’ont dit François Zocchetto et Jacques Mézard, nous pourrions nous entendre sur un seul point : l’obligation, pour le garde des sceaux, de suivre les avis du Conseil supérieur de la magistrature lors de la nomination des magistrats du parquet.
Quant au comité Théodule que vous avez inventé, puis un peu arrangé, quelle en est la justification ? Il faut éloigner la justice du pouvoir politique... C’est quand même extraordinaire ! Les juges rendent la justice au nom du peuple français et, pourtant, les politiques ne devraient surtout pas s’en occuper !
Les membres non-magistrats du CSM se sont parfaitement intégrés. Ils font parfaitement leur travail. Et c’est un travail à temps plein. Comme l’a dit le rapporteur, il va falloir trouver des solutions pour permettre aux magistrats en exercice de remplir leur tâche dans de bonnes conditions. Quoi qu’il en soit, le CSM fonctionne. Ses membres, sans aucun clivage entre magistrats et non-magistrats, accomplissent leur travail, qui est d’ailleurs ingrat. Car ce n’est pas toujours facile d’effectuer en toute transparence des choix entre plusieurs personnes. Heureusement, madame le garde des sceaux, que vous faites des propositions de nomination !
En 2008, le CSM a déjà subi une profonde réforme, mise en œuvre en 2011. Pourquoi le modifier une nouvelle fois, si ce n’est pour des symboles ? Mais, madame le garde des sceaux, quelle est la réalité judiciaire au quotidien ? Fort heureusement, les parquetiers, les procureurs généraux mènent une vraie politique pénale, sous votre contrôle.
Franchement, s’il s’agit uniquement de symboles, s’il s’agit de nous dire que l’indépendance réside dans le processus de nomination, nous sommes d’accord pour vous suivre en ce qui concerne les parquetiers. Mais ce qui compte, c’est l’indépendance dans l’exercice quotidien des fonctions, pas au jour de la nomination ! Toute la question est de savoir si le magistrat fait preuve, dans cet exercice quotidien, de l’impartialité que l’on peut attendre de lui.
Permettez-moi maintenant, mes chers collègues, de me livrer à quelques comparaisons européennes.
Lors de différentes visites, nous avons pu étudier le système allemand. Il interdit totalement à un magistrat d’être syndiqué : cela change beaucoup de choses !
Un ancien procureur général, plutôt séduit, lui, par le système britannique, avait proposé l’institution d’un procureur général de la Nation. Pour ma part, je ne crois pas beaucoup à cet attorney general à la française…
Bien sûr, je n’oublie pas les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. J’observe simplement que, à tel ou tel moment, des organisations internationales veulent nous imposer un modèle. Pourquoi ce modèle-là plutôt qu’un autre ? Parce que c’est leur choix ! En l’occurrence, s’il ne s’agissait que de la nomination des magistrats du parquet, nous pourrions trouver des accommodements… Mais il semble bien que certains entendent contester le parquet à la française au-delà de la question des nominations.
Il est vrai que, dans d’autres systèmes, le parquet n’est pas composé de magistrats.
En tout cas, il y a une spécificité française que nous devons absolument conserver, c’est le principe de l’opportunité des poursuites. Sinon, on tombera dans un système de légalité des poursuites. Là, il n’y aura même plus besoin de magistrats ! C’est le système italien. Les Italiens ont tellement réformé leur système judiciaire – ils l’ont fait deux ou trois fois en vingt ans – qu’il ne fonctionne plus du tout ! Heureusement, le nôtre fonctionne encore. Alors, ne le détruisons pas complètement !
Madame la garde des sceaux, je n’ai jamais cru qu’on faisait forcément le bien parce qu’on respectait des promesses électorales.