Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 3 juillet 2013 à 14h30
Conseil supérieur de la magistrature. – attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle et d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, dans un premier temps, un projet de loi constitutionnelle visant à réformer cette institution qu’est le Conseil supérieur de la magistrature ; c’est le quatrième depuis l’instauration de la Ve République. Il devrait s’agir également de la première révision du quinquennat de François Hollande.

Un sondage réalisé par l’institut IFOP en 2011, quelques années après la crise de l’institution judiciaire provoquée par l’affaire d’Outreau, révélait que la confiance des citoyens envers la justice était rompue : 72 % d’entre eux considéraient qu’elle fonctionnait mal !

Les données recueillies traduisaient toutes une attente très forte des Français en faveur d’une réforme urgente de la justice, qu’ils souhaitaient notamment plus indépendante.

Lors de la campagne présidentielle, afin de redonner aux Français cette confiance dans l’institution judiciaire, le candidat François Hollande s’était engagé à « mettre le Conseil supérieur de la magistrature à l’abri de toute intervention politique » et à assurer aux décisions de justice une « impartialité insoupçonnable ». Ces engagements ont été renouvelés lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 18 janvier dernier.

Le texte dont nous débattrons dans un premier temps, ainsi que celui relatif aux attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, que nous examinerons dans un second temps, permettront d’atteindre ces objectifs.

Le CSM, dont la création remonte à 1883, est l’organe chargé par la Constitution d’aider le chef de l’État dans sa fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Les révisions constitutionnelles successives dont il a fait l’objet ont toutes été marquées par le même souci : renforcer l’indépendance de cette institution à l’égard du pouvoir exécutif et la soustraire au corporatisme en lui octroyant de nouvelles compétences et en diversifiant les autorités de nomination et la composition de ses membres.

Aussi, depuis la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la formation plénière du CSM se subdivise en deux formations : l’une compétente pour les magistrats du siège et l’autre pour les magistrats du parquet. Cette révision a accru les attributions du Conseil à l’égard des magistrats du siège par l’extension de son pouvoir de proposition aux présidents de tribunaux de grande instance et l’attribution d’un pouvoir consultatif s’exprimant par des avis conformes pour toutes les autres nominations. Elle lui a également reconnu une compétence nouvelle à l’égard des magistrats du parquet par l’attribution à la formation compétente d’un pouvoir consultatif s’exprimant par avis simple.

La réforme du 23 juillet 2008 a permis des avancées substantielles sur trois points : la présidence du Conseil et sa composition, la nomination des magistrats du ministère public, la possibilité pour les citoyens de déposer une plainte contre un magistrat.

Le présent projet de loi constitutionnelle ne fait pas exception à la règle. S’il s’est fixé une ambition mesurée, il n’en comporte pas moins des avancées remarquables : il ne s’agit pas, comme j’ai pu l’entendre, de convoquer le Congrès pour n’ajouter qu’un seul membre au CSM !

Certes, ce texte modifie la composition du Conseil, en instaurant le principe de la double parité. Tout d’abord, il met en place une parité entre membres magistrats et non magistrats, qui, tout en répondant au minimum exigé par le Conseil de l’Europe, permet d’éviter deux écueils majeurs : le corporatisme et la politisation.

Ensuite, il pose le principe d’une parité hommes-femmes pour les personnalités qualifiées. Certains peuvent considérer cette règle comme négligeable, mais elle s’inscrit dans une tendance que les socialistes ont toujours eu à cœur d’encourager.

Si la question de la composition est importante sur le plan symbolique, l’essence même de cette révision porte sur le mode de nomination des membres du parquet, son pouvoir disciplinaire à leur égard et sur son rôle de protecteur de l’indépendance de la justice.

Avec cette réforme, le Gouvernement aura aussi et surtout l’obligation de suivre les avis que le Conseil lui donnera pour la nomination des magistrats du parquet. Cette pratique, qui avait été très justement instaurée par Mme Guigou, et que M. Mercier et Mme Taubira ont suivie, sera enfin constitutionnalisée, car usage ne vaut pas obligation de faire. Elle constitue une indéniable avancée, que vous aviez réclamée en 2008, mesdames, messieurs de l’opposition, et que vous aviez même votée !

Ce texte confère également au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de décider des sanctions disciplinaires à l’égard des magistrats du parquet, compétence qui revenait auparavant au garde des sceaux. Cet apport ne saurait être considéré comme secondaire, car, ce que le parquet aurait gagné en indépendance grâce aux dispositions relatives aux nominations, il aurait aisément pu le perdre en étant toujours soumis aux sanctions disciplinaires décidées par le ministre.

En outre, la présente réforme permet au CSM de s’autosaisir des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. La possibilité accordée à tout magistrat de saisir directement le CSM sur des questions déontologiques, auxquelles nous proposerons d’adjoindre les questions « particulières d’indépendance » le concernant, constitue aussi une avancée majeure. Les récentes et inadmissibles attaques dont a fait l’objet l’autorité judiciaire illustrent bien l’importance de cette nouvelle faculté dévolue au Conseil.

Je voudrais saluer ici l’ouverture d’esprit du Gouvernement, toujours prompt au dialogue, qui a su mener cette réforme dans la concertation. Les professionnels de la justice ont été auditionnés et les députés ont pu procéder à des modifications, substantielles pour certaines.

Notre rapporteur, que je tiens à féliciter pour son excellent travail, ayant présenté les amendements qu’il compte soumettre à notre assemblée, je n’y reviendrai pas.

La nouvelle rédaction qui est présentée aujourd’hui, s’inscrit pleinement dans la lignée des réformes de 1993 et de 2008, et devrait donc être de nature à dépasser certains blocages politiques. Par ailleurs, eu égard aux nombreuses avancées contenues dans ce projet de loi, les explications qui ont été données par les représentants de plusieurs groupes parlementaires à l’Assemblée nationale pour justifier leur opposition à un projet qualifié de trop modeste ne sauraient tenir.

Le renforcement de l’indépendance de la magistrature devrait susciter l’adhésion sur toutes les travées de notre hémicycle. Des divisions purement politiciennes risqueraient de compromettre les perspectives d’adoption de cette réforme par le Congrès et d’entraîner son abandon.

Or cette réforme est une revendication constante des organisations de magistrats et semble indispensable pour changer le regard que les Français portent sur l’institution judiciaire.

J’espère sincèrement, nonobstant ce que je viens de dire, que nous saurons dépasser les clivages partisans stériles pour mettre un terme à cette ère du soupçon, de la défiance systématique et aller dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice, voulue, je n’en doute pas, par tous les groupes de notre assemblée.

Ce projet de loi constitutionnelle s’articule avec un projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique. Ces deux textes sont la traduction que nous propose le Gouvernement de l’annonce faite par François Hollande durant sa campagne quant à l’élaboration d’une réforme attendue par les Français. Ils sont porteurs d’une vision différente de la justice, celle d’une justice indépendante, efficace et respectueuse des droits et de la dignité de chacun.

Le second texte ouvre la voie à de nouveaux rapports entre parquet et Chancellerie en clarifiant les attributions qui reviennent à chacun. Il réaffirme qu’il appartient au garde des sceaux de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et d’en préciser les grandes orientations par le biais d’instructions générales. Le parquet, quant à lui, se voit confier le plein exercice de l’action publique en déclinant ces orientations générales dans son ressort. De cette façon, le Gouvernement entend assurer la cohérence de la politique pénale sur l’ensemble du territoire de la République, afin que la loi soit la même partout et pour tous.

De récents sondages ont montré que les citoyens ont le sentiment qu’il existe une justice « à deux vitesses », plus clémente à l’égard de certaines personnalités. Ce sentiment est très largement répandu en France, mais il n’est pas exagéré de dire qu’il est particulièrement fort dans les territoires éloignés.

À Mayotte, de récents scandales politico-financiers, et de graves dysfonctionnements judiciaires ont accentué la défiance de la population envers la justice. L’affaire des « fadettes », notamment, a provoqué un véritable séisme au sein de l’institution judiciaire, et je crois très sincèrement que le présent texte offrira les moyens de rétablir le lien de confiance entre les Français et la justice.

Le projet de loi ordinaire qui nous est présenté vise également à empêcher une immixtion de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales, en prohibant la possibilité donnée au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du parquet des instructions dans des affaires individuelles.

Madame la garde des sceaux, par une circulaire générale du 19 septembre 2012, vous avez mis fin aux instructions individuelles. Cette pratique vertueuse du gouvernement actuel, respectueuse de l’indépendance de la justice et soucieuse de son efficacité, tranche avec l’ère précédente, marquée par l’ingérence quasi systématique du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires. Cette mesure a pour objectif d’assurer aux justiciables que le gouvernement en place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger des amis et permettra au parquet de ne pas être suspecté d’agir sur instruction de l’exécutif.

Évidemment, la suppression des instructions individuelles ne pourra pas, à elle seule, prévenir ces ingérences dans le suivi des affaires judiciaires : nous savons tous qu’il sera toujours possible de donner des instructions orales, mais, combinée au projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ce projet de loi donnera aux magistrats la faculté de s’y opposer sans craindre pour leur carrière puisque le texte constitutionnel qui nous est soumis attribue désormais le pouvoir disciplinaire, qui appartenait au ministre de la justice, au Conseil supérieur de la magistrature.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’étonne de la position de nos collègues députés de l’UDI, qui ont voté contre le projet de loi constitutionnelle, mais pour le projet de loi ordinaire. Cette opposition partielle ne peut que traduire une incompréhension de l’articulation des deux textes.

Quant au rejet total de ces deux textes par d’autres députés de l’opposition, il ne saurait cacher une certaine méfiance – j’irai même jusqu’à dire : un certain mépris – pour l’indépendance de la justice !

Par ailleurs, et pour répondre à une crainte exprimée lors des débats à l’Assemblée nationale, si, dans une affaire particulière, des poursuites ne sont pas engagées alors qu’elles devraient l’être, le parquet décidant de l’opportunité des poursuites en France, le garde des sceaux pourra donner des instructions générales thématiques, visant éventuellement des contentieux particuliers. Avec cette mesure, le Gouvernement ne renonce pas à assumer sa responsabilité.

Ce texte marque donc une rupture avec la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du ministre de la justice en maintenant les instructions individuelles et en étendant ses prérogatives à la conduite de l’action publique, jusqu’alors réservée aux magistrats du parquet.

Il permet enfin de mettre le « parquet à la française » en conformité avec les exigences européennes issues de la jurisprudence européenne, symbolisée notamment par la décision Medvedyev du 10 juillet 2008 de la Cour européenne des droits de l’homme, réaffirmée dans la décision Moulin c. France du 23 novembre 2010. Cette juridiction considère que les membres du ministère public en France, en vertu de leur statut, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif.

Voilà l’ensemble des raisons pour lesquelles, madame la ministre, nous voterons en faveur de ce texte qui a fait l’objet de discussions et d’échanges nourris au sein de la commission des lois. J’espère donc que certains groupes se raviseront et que tous adopteront ce texte majeur pour notre justice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion