Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 3 juillet 2013 à 22h30
Conseil supérieur de la magistrature. – attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public — Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle et d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre assemblée examine deux textes majeurs qui confirment les engagements pris, le 18 janvier dernier, à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, par le Président de la République, garant constitutionnel de l’indépendance de la justice.

Le Président de la République citait d’abord Montesquieu : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps [...], exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

Et le Président d’ajouter : « Il n’y a pas de justice sans indépendance des juges. Il ne suffit pas d’être une femme ou un homme libre pour rendre la justice. Il faut apparaître comme tel aux yeux de tous. »

Tel est le sens de la réforme qui nous est proposée.

Je concentrerai mon propos sur le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Mme la garde des sceaux et notre rapporteur nous ont présenté tout à la fois la philosophie et les enjeux de cette réforme, mais également son contenu technique.

Depuis son apparition, avec la loi du 30 août 1883, le Conseil supérieur de la magistrature n’a connu que de très rares réformes. La révision constitutionnelle importante de 1993 a mis fin au rôle exclusif de nomination du Président de la République. Celle de 2008 a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République.

Souvenons-nous de l’enterrement de la réforme de 1998-1999 ! Alors même que les conclusions de la commission ad hoc présidée par le premier président de la Cour de cassationd’alors, M. Pierre Truche, avaient été reprises dans un projetde loi constitutionnelle sur lequel les deux chambres, alors pourtant de couleurs politiquesdifférentes, étaient parvenues à un texte commun quiprévoyait un avis conforme pour les nominations de tous lesmagistrats du parquet, le président Chirac avait annulé laconvocation du Congrès prévue en janvier 2000.

La réforme de 2008, quant à elle, ne s’inscrivait pas tout à fait dans la logique de la réforme avortée de 1998 et n’en reprenait pas toutes les ambitions, même si notre assemblée et celui qui présidait à l’époque sa commission des lois s’étaient efforcés de lui en redonner quelques-unes.

Elle fut aussi accomplie dans une période où le pouvoir exécutif n’hésitait pas à exprimer sa défiance envers les magistrats, présentés non pas comme des acteurs de la justice, mais comme un obstacle à la défense des droits des victimes. Chacun garde en mémoire la phrase du président de la République d’alors comparant les magistrats à des « petits pois ayant la même couleur, le même gabarit et la même absence de saveur ».

La nomination, quelques années plus tard, de M. Michel Mercier comme garde des sceaux a certes détendu l’ambiance, mais nous n’en sommes jamais revenus à l’esprit de l’ambitieuse réforme de 1999.

L’indépendance de la justice est pourtant au cœur du pacte républicain.

Cette indépendance ne doit pas seulement être le fruit d’un comportement vertueux du pouvoir exécutif ; elle doit aussi bénéficier de garanties constitutionnelles. C’est à cette condition que le soupçon de collusion sera écarté et que la confiance en la justice sera maximale.

L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales rappelle l’exigence de garantir le droit fondamental pour chaque citoyen de voir son cas jugé équitablement sur le seul fondement de l’application du droit. Cette même exigence fonde le principe selon lequel les magistrats doivent être indépendants.

L’essentiel de la réforme qui nous est soumise réside dans deux propositions majeures : d’une part, le renforcement des compétences du CSM, qui témoignera fortement de l’indépendance de la justice et offre des garanties constitutionnelles nouvelles en la matière ; d’autre part, le nouveau mode de désignation du CSM.

S’agissant du renforcement des compétences, la nomination des procureurs par le Gouvernement se fera désormais sur l’avis conforme du CSM. Cette disposition permettra de protéger leur indépendance.

Ainsi, les critiques qui avaient été émises sur le procureur Courroye – le bien nommé ! – n’auront plus lieu d’être. L’image de la justice et la confiance que les citoyens ont en elle se verront réhabilitées.

Cette indépendance de la justice, c’est d’abord en raison de l’étendue nouvelle des pouvoirs du CSM en matière de nomination qu’elle est garantie, avec la suppression de l’avis simple pour la nomination des parquetiers, mais aussi en matière disciplinaire, puisque ce sont les décisions, et non plus les propositions de résolution, qui seront rédigées par le CSM.

Avec ces nouvelles garanties sur les nominations des magistrats, et donc sur leurs carrières, les compétences disciplinaires à l’égard de ces mêmes magistrats, la fin des instructions individuelles, inscrite dans la loi, et la transparence des instructions générales, c’est l’ensemble des relations entre le pouvoir exécutif et les parquets qui sont revisitées. Cela permet d’offrir des garanties robustes pour l’indépendance de la justice, tout en affirmant la capacité d’orientation politique du garde des sceaux en matière pénale.

J’en viens à la composition du CSM.

La parité des membres entre les magistrats, d’une part, et les personnalités qualifiées dites « laïques », de l’autre, adoptée par nos collègues de l’Assemblée nationale, doit être saluée, car elle assure enfin une conformité du droit français avec celui de la plupart des pays européens, tout en maintenant un juste équilibre.

Robert Badinter disait, à l’occasion de la précédente réforme constitutionnelle du CSM, celle de 2008 : « Depuis des décennies, nous sommes à la recherche de formules permettant d’éviter deux écueils, le corporatisme et la politisation. La réponse tient en un mot : parité. Il convient d’assurer, au sein de chaque formation du Conseil supérieur de la magistrature, la parité entre magistrats et personnalités extérieures. »

Cette parité entre magistrats et personnalités extérieures sera d’ailleurs conjuguée à la parité homme-femme prévue au sein du collège des personnalités qualifiées, grâce à un amendement de notre collègue député Sergio Coronado.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte pour saluer le travail de Jean-Pierre Michel, qui, au travers des propositions adoptées en commission, a essayé de réunir autour du mouvement de « décorporatisation », de dépolitisation et de renforcement des compétences du CSM, un consensus permettant de témoigner que la justice est rendue « au nom du peuple français ».

C’est également au nom du peuple français qu’il faut soutenir l’idée que le collège qui aura la responsabilité de la nomination des personnalités qualifiées, non magistrats, siégeant au CSM comporte des représentants du Président de la République, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale.

Cependant, pour être validées, ces nominations devront être approuvées par trois cinquièmes des voix dans les commissions des lois des deux assemblées parlementaires. Cette proposition constitue une avancée significative, qui va beaucoup plus loin que le rôle qui a été dévolu aux commissions parlementaires à l’occasion des validations de nominations importantes par la réforme constitutionnelle de 2008. Jusqu’à présent en effet, pour une nomination, il fallait non pas réunir trois cinquièmes des voix, mais éviter de recueillir trois cinquièmes des voix contre. Pour le CSM, une exception sera faite, qui, je l’espère, sera suivie de beaucoup d’autres.

Cette avancée dans le rôle du Parlement pour la ratification de nomination est significative. Elle souligne l’exigence de qualité pour chaque personne proposée à une nomination au CSM. Le passage de chaque nomination de manière individuelle permet d’échapper à un partage des postes, issu d’un quelconque marchandage.

Certains ont souligné le risque de blocage que pourrait engendrer cette exigence d’une majorité des trois cinquièmes. Certes, ce risque existe en partie, mais il faut d'abord croire dans la maturité de nos institutions.

En outre, le rapporteur proposera un certain nombre de dispositions visant à éviter tout blocage éventuel dans les nominations, susceptible d’invalider la capacité d’un CSM incomplet à rendre des décisions.

L’indépendance de la justice est avant tout une valeur européenne. La Cour européenne des droits de l’homme a plusieurs fois signifié que les procureurs, trop dépendants du pouvoir exécutif, comme en France jusqu’à présent, ne pouvaient être considérés comme une autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a ainsi émis récemment quelques réserves sur certaines capacités d'action des procureurs.

Disons-le clairement : si nous ne revoyons pas notre architecture juridique, nous nous trouverons un jour ou l’autre devant des contraintes juridiques qui bloqueront la capacité de la justice à enquêter et à prendre des décisions. Nous ne pouvons pas nous permettre d’entrer dans une telle impasse. Nous avons impérativement besoin de cette réforme. Il y va de l’autorité de l’État et de celle de la justice.

L’indépendance de la justice est aussi de plus en plus indispensable dans le monde moderne, où l’information circule à la vitesse de la lumière et où, face aux menaces qui se lèvent – le terrorisme met en péril la sécurité de chacun ; la délinquance financière attaque la viabilité des opérateurs économiques respectant les règles du jeu, remet en cause la souveraineté des États et attaque leur cohésion sociale –, il nous faut de nouveaux outils pour mener les investigations et les enquêtes qui s’imposent.

S’ils ne s’accompagnent pas du respect toujours accru de l’indépendance de la justice, ces nouveaux outils risquent rapidement de menacer les libertés et la démocratie et d’être le ferment de nouveaux totalitarismes.

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