Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 4 juillet 2013 à 15h00
Orientation des finances publiques — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Pierre Moscovici :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver ce soir pour ce débat d’orientation des finances publiques, qui est, pour nous tous, un moment important.

Nous avons eu dans cette enceinte, il y a un peu plus de deux mois, une discussion sur le programme de stabilité et le programme national de réforme de la France. Ces échanges sont, je n’en doute pas, encore frais dans vos mémoires, et vous venez d’évoquer nos orientations futures dans le cadre du débat sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012.

Lors du débat sur le programme de stabilité, nous avons pris acte collectivement – je dis bien « collectivement » – d’une réalité qui nous marque, qui marque l’ensemble des économies européennes et qui marque la France : la dégradation rapide et généralisée du contexte économique dans la zone euro.

La zone euro connaîtra en 2013 une nouvelle année de récession, dont la France subit bien sûr les conséquences. Chacun sait en effet ici, quelle que soit son appartenance politique, que notre pays n’est pas un isolat : nos principaux clients et fournisseurs se trouvent dans la zone euro. Notre économie en dépend donc étroitement. Cela m’avait conduit à réviser à la baisse la prévision de croissance à 0, 1 % et la prévision de déficit public à 3, 7 % pour l’année 2013. Je le dis à tous ceux qui pourraient être un peu amnésiques à ce sujet – je partage à cet égard les propos de Bernard Cazeneuve –, comme si nous n’avions pas évolué depuis le vote du projet de loi de finances ! J’aurai d’ailleurs l’occasion d’y revenir et de préciser les aléas qui entourent ces prévisions, et ce en toute transparence.

Au cours de la séance consacrée au programme de stabilité, nous avons eu une discussion franche, animée même, au-delà des questions de chiffres et de décimales, sur les conséquences à tirer de ces évolutions conjoncturelles pour la conduite de la politique budgétaire. Je voudrais rappeler aujourd’hui que l’opposition avait alors pris position en faveur de l’adoption de mesures de redressement supplémentaires pour tenir, coûte que coûte, l’objectif de 3 % de déficit du PIB en 2013. Chacun conviendra que ces observations, relatives à un débat passé, sont factuelles.

Le Gouvernement, soutenu par la majorité, avait jugé que, dans le contexte économique actuel de récession, la voie du plan de rigueur ou du plan d’austérité – appelons les choses par leur nom ! – aurait supposé d’adopter dès cette année des mesures, soit de hausse d’impôts, soit de coupe dans les dépenses de près de 15 milliards d’euros. En clair, cette voie aurait conduit à enfoncer notre économie dans la récession, à aggraver le chômage et, in fine, à ne réduire que très marginalement le déficit. En effet, ce que nous aurions gagné par ce plan de rigueur ou d’austérité supplémentaire, nous l’aurions perdu, en grande partie, par l’effet induit de ces décisions sur les rentrées fiscales, dans une logique fondamentalement récessive.

Le Gouvernement a donc fait le choix de refuser cette logique, qui, je le crois, est vouée à l’échec et que j’appellerai le « nominalisme », pour privilégier à la place un pilotage structurel des comptes publics.

Nous avons choisi le sérieux, ce qui suppose de faire des ajustements structurels et de conduire les réformes nécessaires. Nous refusons donc l’austérité – je le dis avec force en me tournant vers la majorité –, qui aggraverait encore la situation économique et précipiterait notre économie dans la récession. C’est pourquoi je répète à l’opposition qu’elle se trompe en réclamant un collectif budgétaire au nom de la vérité.

La vérité, qui est la même pour tous, nous la disons sur les comptes publics au fur et à mesure qu’elle se dévoile, compte tenu de la situation dans la zone euro et dans notre pays. Ce qui nous sépare, ce n’est donc pas le prétendu rapport à la vérité. C’est un désaccord profond, qui n’est pas illogique, sur la politique économique qu’il convient de mener dans cette circonstance.

Vous privilégiez, selon moi de manière erronée, les cibles nominales à la croissance. Nous voulons, quant à nous, que l’économie française se redresse et crée des emplois. C’est pourquoi nous acceptons, et nous le revendiquons, de laisser jouer les stabilisateurs automatiques dans la conjoncture dégradée que nous connaissons. L’une des leçons que nous pouvons tirer des années écoulées – chacun devrait le faire ! – est que la multiplication des collectifs budgétaires ne garantit en rien le redressement des comptes publics. L’opposition reste sourde à cette leçon, peut-être pour avoir usé, voire abusé de cette mauvaise méthode.

Avec Bernard Cazeneuve, nous avons donc plutôt défendu une gouvernance rénovée, qui s’appuie sur deux principes.

Le premier, c’est une gestion sérieuse et scrupuleuse des dépenses publiques. Je regrette à cet égard, à la place qui est la mienne, le vote qui vient d’intervenir sur le projet de loi de règlement du budget. Nous sommes ou avons été, pour la plupart d’entre nous, élus locaux et, parfois, responsables d’exécutifs de collectivités locales. Pour ma part, je n’ai jamais voté, même lorsque j’étais dans l’opposition, contre un compte administratif, ce qui est la transposition au plan local, toutes choses étant égales par ailleurs, de la loi de règlement. Le rejet du projet de loi de règlement est donc l’expression d’une démarche politique que je ne saurais approuver.

Le second principe est que nous voulons laisser les recettes fiscales s’ajuster en fonction de l’évolution de la conjoncture et ne pas prendre de mesures d’austérité quand l’économie est en difficulté. C’est pourquoi nous n’avons pas accédé à la demande de ceux qui réclamaient un collectif budgétaire.

Je voudrais profiter de ce propos liminaire pour prendre un peu de recul et vous rappeler d’où nous venons. Je serai bref, car Bernard Cazeneuve a dit l’essentiel lors du débat précédent.

Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, en mai 2012, l’enjeu était de parer à l’urgence, c’est-à-dire de répondre aux risques les plus pressants, qui étaient, pour l’essentiel, d’ordre financier, à la fois au niveau européen et au niveau national.

Au niveau européen, la priorité absolue qui s’est immédiatement, presque « physiquement », imposée à nous, c’était d’assurer la survie de l’euro. Je me souviens des premières réunions, européennes ou internationales, auxquelles j’ai participé, comme le G20 de Los Cabos. Nos partenaires étaient inquiets et nous demandaient si l’euro allait survivre encore six mois ou un an. Cette question était légitime : il y avait des raisons de douter.

Pour assurer la survie de l’euro, il fallait prévenir l’instabilité des pays en difficulté financière et éviter la propagation des chocs ainsi que le décrochage d’une partie des membres de la zone euro, ce qui fut fait.

J’ai consacré beaucoup de mon temps et de mon énergie – il m’en reste ! – à chercher, dans le cadre du Conseil Ecofin, des solutions pour la Grèce, pour Chypre, pour les banques espagnoles, et à faire avancer l’union bancaire. Cette volonté de sauvetage de la zone euro n’est pas éloignée des préoccupations des Français. J’ai en effet une conviction profonde : il n’y aura pas de sortie de crise pour la France si nous ne trouvons pas en Europe, et d’abord dans la zone euro, une issue convaincante. Ces deux agendas sont liés.

Au niveau national, les risques les plus immédiats étaient aussi financiers. Il fallait desserrer l’étau qui nous menaçait, éviter une hausse des taux d’intérêt à long terme, c’est-à-dire un scénario à l’italienne ou à l’espagnole, qui n’était pas une vue de l’esprit, tant les comptes publics étaient dégradés. C’est pourquoi nous avons adopté, en 2012, cette trajectoire exigeante et demandé aux Français les efforts rudes qui ont permis la réduction des déficits. Bernard Cazeneuve l’a dit, si nous n’avions pas agi, le déficit aurait été nettement supérieur à 5, 3 % ; il aurait peut-être atteint 5, 5 %.

Nous avons dû faire face à cette crise et conduire cet effort de grande ampleur dans un contexte de dégradation des perspectives de croissance.

Pour l’année 2012, le consensus sur la croissance de la zone euro était de 1 % en janvier 2012. La zone euro a finalement connu une récession de 0, 6 %.

Pour l’année 2013, les conjoncturistes prévoyaient en juin 2012 une croissance de 0, 7 % dans la zone euro. Aujourd’hui, les mêmes anticipent une récession de 0, 6 % pour 2013, et, pour la France, quelque part entre – 0, 1 % et + 0, 1 %.

Ce contexte européen défavorable a pesé assurément sur les perspectives de la France. De même, les hausses d’impôts votées depuis 2011 pèsent sur l’activité et sur le pouvoir d’achat des ménages. Je dis bien depuis 2011, et j’y insiste ! Je ne demande pas à l’opposition d’adhérer à nos choix, mais n’oublions pas qu’aux responsabilités elle n’a pas hésité à recourir à des hausses d’impôts massives. Sur les deux dernières années, 2011 et 2012, la précédente majorité a en effet voté 35 milliards d’euros de hausse des prélèvements obligatoires. Ce sont les mêmes qui nous reprochent aujourd’hui le matraquage fiscal !

Nous n’avons d’ailleurs pas procédé de la même façon puisque nous avons fait en sorte, pour notre part, d’orienter les efforts vers les catégories ayant la propension à consommer le moins, autrement dit de préserver les couches populaires et moyennes.

La baisse du pouvoir d’achat est d’abord la conséquence de la poussée du chômage, à laquelle nous résistons. Le Gouvernement mobilise sur ce sujet à la fois les ressources de la politique économique et celles de la politique de l’emploi.

Dégradation de la situation européenne, déficit de compétitivité, poussée du chômage : c’est bien cette situation que nous avons trouvée.

L’économie française reste une grande économie. Je le rappelle à tous ceux qui se complaisent dans le french bashing, qui pensent que tout va mal en France et qui se font parfois les faux prophètes de notre déclassement. Jouer contre son camp et dénigrer son pays n’est jamais de bonne politique !

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