Intervention de Jean-Vincent Placé

Réunion du 4 juillet 2013 à 15h00
Orientation des finances publiques — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le protagoniste de notre débat, tel qu’il a été posé, c’est incontestablement la croissance.

C’est la croissance qui réduira le déficit et résorbera la dette ; c’est la croissance qui endiguera le chômage ; c’est la croissance qui vaincra les inégalités ; c’est la croissance qui sauvera l’Europe. La croissance est aujourd’hui notre unique horizon. L’horizon, cette ligne qui recule à mesure que l’on s’avance ! Comment croire encore que nous pourrons l’atteindre ? L’effleurer peut-être, mais l’atteindre ? Et durablement ?

La croissance se déprécie sans discontinuer, en moyenne décennale, depuis quarante ans. Le pays est même en récession. Nous, les écologistes, n’avons pas la foi qui nous permettrait de croire à un retour de la fille prodigue.

Au premier rang des causes de cette progressive mais inexorable atonie de la croissance figure l’épuisement des ressources naturelles dont la croissance s’est repue sans limite ni conscience. Le cycle insensé de l’économie de la quantité, du volume, du « toujours plus » trouve là une intangible limite physique qui se traduit tout simplement par un prix de l’énergie et des matières premières progressivement rédhibitoire.

L’agriculture, notamment, illustre bien cette dérive, ses illusions et son déclin. La révolution productiviste consiste à produire aujourd’hui le même kilo de blé qu’hier, mais en remplaçant les hommes par des machines dispendieuses en pétrole et en substituant à l’agronomie raisonnée une utilisation massive d’intrants chimiques, qui polluent les nappes phréatiques, annihilent les insectes et stérilisent les sols. Les paysans d’hier qui ne sont pas au chômage réclament aujourd’hui des exonérations de taxes sur le carburant pour leurs tracteurs et se découvrent une prévalence de cancers très supérieure à la moyenne.

Revenir sur ce modèle absurde ne consiste pas à retourner au Moyen Âge. Cela revient simplement à retrouver le bon sens. Développer enfin une agriculture nourricière qui préserve l’environnement et la santé des hommes, c’est possible, et c’est là que réside le vrai progrès. Nous devons aujourd’hui substituer à la production de quantité, c’est-à-dire au productivisme, une production de qualité.

C’est vrai de la production de biens matériels, artificiellement alimentée par la publicité et malhonnêtement soutenue par l’obsolescence programmée, mais c’est également vrai de tous les emplois tertiaires : pour un enseignant, pour un garde-malade, pour un policier, le productivisme, la croissance, le « toujours plus » n’ont aucun sens. Leur métier n’est pas de faire du chiffre !

C’est précisément cela l’écologie politique. Constatant à la fois l’échec et l’impossibilité du modèle productiviste, elle consiste à encourager, à favoriser, à accompagner la transition de la société vers un modèle de la mesure et de la tempérance, qui respecte les hommes et préserve le milieu qui les fait vivre.

Vous comprendrez, monsieur le ministre de l’économie, que cette analyse et les mesures qu’elle implique s’accommodent mal de la vision que vous avez décrite. Le chemin, l’orientation que vous nous proposez, puisque tel est le titre de notre débat, se fonde sur le double dogme que la seule faille de notre modèle est l’excès de dépenses publiques et que la croissance nous attend au coin de la rue. Dans ce schéma, l’écologie n’est qu’un coûteux supplément d’âme, si ce n’est une simple concession agaçante à un allié prétendument agité.

Le budget que vous esquissez comprend environ 13 milliards d’euros de coupes dans les dépenses de l’État et les prestations sociales. Qu’il n’y ait pas de malentendu : nous ne considérons pas que toute coupe serait par essence à bannir. Je l’ai dit à l’instant, l’efficacité des politiques publiques doit être sans cesse questionnée. Pour autant, les coupes que vous nous proposez ne nous convainquent pas. Certes, vous avez transmuté la révision générale des politiques publiques, la RGPP, en modernisation de l’action publique, ou MAP. J’imagine que l’on trouvera dans quelques années un autre acronyme du même type. Certes, vous avez à la rigueur substitué le sérieux, ou le sérieux à la rigueur... Comment toutefois cela pourrait-il suffire à nous faire admettre que, sur vingt-huit missions, l’écologie soit servie en vingt-septième position, alors que, dans le même temps, vous sanctuarisez le budget militaire, qui plus est en lui affectant des ressources exceptionnelles, provenant notamment de la vente du patrimoine public que constituent les fréquences hertziennes ? Assurément, d’autres choix étaient possibles. Car si l’on accepte de prendre un peu de recul, on s’aperçoit que les marges de manœuvre existent.

Le déficit de la balance commerciale française tourne autour de 70 milliards d’euros, soit exactement le même ordre de grandeur que la facture énergétique de notre pays. La France, qui investit trois fois moins que l’Allemagne dans les énergies renouvelables, se voit contrainte d’importer une énergie de plus en plus chère. N’y aurait-il pas là un gisement d’économies plus sérieux que dans le budget de l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ?

Dans le même genre d’idée, une étude récente a montré la gabegie que représente le remboursement des médicaments en France, notamment du fait de l’absence de recours systématique aux génériques et de la politique, pour le moins discutable, de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui distribue avec largesse ses autorisations de mise sur le marché. Ma collègue du Parlement européen, Michèle Rivasi, propose à ce sujet une réforme simple, qui permettrait de dégager la bagatelle de 10 milliards d’euros par an à très court terme. Prendre en considération ce genre d’initiative avant d’élaguer les prestations sociales ne pourrait-il pas également relever d’une forme de sérieux ?

De la même manière, on sait aujourd’hui que les polluants de l’air déclenchent nombre de pathologies respiratoires et cardio-vasculaires. Sans même parler des vies emportées ou abîmées, ces maladies occasionnent évidemment des coûts pour la société. Il s’avère que ces coûts, monsieur le ministre, peuvent être estimés, a minima, entre 20 milliards et 30 milliards d’euros par an pour la France métropolitaine. Ces chiffres n’ont pas été fomentés dans le secret du laboratoire d’un lanceur d’alerte exalté : ils émanent d’un rapport de 2012 du Commissariat général au développement durable. Si une politique de prévention sérieuse était mise en place, en plus de sauver des vies, nous économiserions à terme de quoi couvrir le déficit des quatre branches de la sécurité sociale et rembourser allègrement sa dette.

Enfin, pour terminer cette liste loin d’être exhaustive, je manquerais à mon devoir si je ne vous rappelais pas ici les quelques milliards d’euros que nous pourrions économiser en supprimant la composante aérienne de la force de frappe nucléaire. Entendons-nous bien, les écologistes sont évidemment favorables à l’abandon complet de la dissuasion nucléaire, dont je ne suis pas sûr qu’elle nous ait beaucoup aidés au Mali ou ailleurs. Mais ce n’est pas à ce changement de doctrine que je vous invite. Il s’agirait seulement, par pragmatisme, de supprimer le volet aérien de la force, dont les experts militaires eux-mêmes s’accordent à considérer qu’il est dépourvu d’intérêt stratégique, pour ne conserver que la composante sous-marine.

Voilà, messieurs les ministres, brossées à grands traits quelques propositions d’économies substantielles, qui présentent pour les écologistes l’intérêt de s’inscrire dans le cadre de la transition sociétale qu’ils appellent de leurs vœux. Les marges de manœuvre qui seraient ainsi dégagées devraient, à notre sens, être réinvesties pour accompagner la transition et en amortir les effets collatéraux. Une fraction pourrait être affectée à la réduction de la dette. J’ai déjà eu l’occasion de dire à cette tribune à quel point les écologistes déplorent que les rudes efforts demandés aux ménages français servent aujourd’hui à financer un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, consenti sans conditions aux entreprises, …

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