La connaissance lacunaire de l’impact réel des dispositifs est également imputable à l’incurie de l’administration fiscale : le dernier rapport du bureau des agréments date de 2010, alors même que la loi prescrit une communication annuelle au Parlement. L’administration fiscale ignore par ailleurs la défiscalisation dite « de plein droit », c’est-à-dire non soumise à agrément, et ce sont les organisations syndicales qui nous ont délivré l’information sur les quelque 16 000 dossiers émanant de PME et de TPE.
Le zèle des administrations fiscales est également contestable du strict point de vue budgétaire : en effet, le montant de la dépense fiscale pour l’investissement outre-mer, soit 1, 1 milliard d’euros pour 2013, est inférieur à celui d’au moins une quinzaine d’autres dépenses fiscales, bien plus coûteuses et bien moins stigmatisées !
En outre, au cours des dernières années, les outre-mer ont largement contribué à la politique de réduction des niches fiscales, avec les fameux « coups de rabot ».
Il est aujourd’hui impératif de stopper l’hémorragie : la commission des affaires économiques et la délégation à l’outre-mer appellent à l’adoption d’un dispositif rénové et durable, conservant une aide fiscale à l’investissement qui maintienne l’effort consenti et offre une véritable visibilité, une stabilité indispensable aux acteurs économiques, conformément aux engagements pris par le Président de la République.
Comme le martelait le Premier ministre lors de son récent déplacement aux Antilles, il y a, pour se lancer et investir, nécessité de clarté, de prévisibilité, de stabilité. Contre les vents fiscaux dominants, le chef du Gouvernement a fixé le cap en annonçant le maintien de la défiscalisation, notamment pour le logement social et les PME. Je m’en félicite, et nous devons nous en féliciter. Il a également indiqué la création, à titre expérimental, d’un nouveau crédit d’impôt, dont les contours n’ont pas encore été dévoilés.
Nous sommes bien sûr partisans de toute évolution de nature à améliorer l’efficacité de l’aide fiscale ; nous sommes également soucieux des deniers publics et partisans de la modération budgétaire, dès lors que les mesures d’économie ne risquent pas de créer une onde de choc dont le coût, y compris et surtout au plan social, serait bien supérieur au gain attendu.
L’affirmation du principe de maintien des dispositifs de défiscalisation appelle, dans les meilleurs délais, des précisions concrètes sans lesquelles la visibilité n’est pas assurée pour les acteurs économiques. N’oublions pas, en outre, que l’aide fiscale actuelle n’est autorisée par Bruxelles que jusqu’au 31 décembre 2013 : il y a donc urgence à décider.
À notre sens, et conformément aux propositions formulées par le rapport sénatorial, le maintien de l’effort consenti en faveur de l’investissement outre-mer passe par la restauration des conditions de collecte mises à mal par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2013 : on constate en effet une chute de 35 % du montant de la collecte en juin 2013 par rapport à juin 2012, une complexification et donc un renchérissement des plans de financement. Certains projets risquent même de ne pas réunir les financements nécessaires. Il faut lutter contre ce tarissement des flux défiscalisés en réservant le plafond de 18 000 euros aux seuls investissements outre-mer.
Monsieur le ministre, le développement économique et social des outre-mer serait-il moins important que la préservation du patrimoine architectural français, qui bénéficie d’un plafond spécifique dans le cadre du dispositif Malraux ?
Les critères d’éligibilité aux dispositifs de défiscalisation devront être fixés avec la plus grande prudence : le seul critère de la taille de l’entreprise n’est pas pertinent. Si les TPE et les PME doivent bien sûr être prioritaires, elles sont souvent tributaires des investissements réalisés par des entreprises plus importantes, qui constituent des locomotives et, parfois, le point de départ de toute une filière. Ils doivent se référer essentiellement à la capacité d’accéder au crédit bancaire, qui est la clef de l’investissement.
Le maintien effectif de la défiscalisation passe aussi par la conservation d’un régime de plein droit, moralisé par un renforcement des obligations déclaratives, des contrôles et des sanctions. Généraliser la procédure d’agrément ou même en abaisser les seuils reviendrait à consacrer l’asphyxie administrative de la défiscalisation et, du même coup, du processus d’investissement outre-mer.
En revanche, il serait pertinent de déconcentrer davantage la procédure d’agrément et d’en faire bénéficier les collectivités d’outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, en vue d’une appréciation plus pertinente de l’intérêt économique, qui doit se mesurer en fonction des priorités territoriales et du contexte régional, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, loin s’en faut !
Concernant le logement social, qui constitue une priorité pour nos outre-mer, les dispositifs de défiscalisation réorientés par la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer, ont permis un important rattrapage. Il ne faut pas casser ce mouvement vertueux, les procédures étant désormais bien maîtrisées par les acteurs du logement social.
Le rapport de notre groupe de travail sénatorial sur la défiscalisation, en concertation avec ces acteurs et moyennant des simulations probantes, a formulé des propositions pour réduire les frais de gestion liés aux montages en défiscalisation et a préconisé l’expérimentation d’un prêt bonifié servi par la Caisse des dépôts et consignations, qui pourrait progressivement se substituer aux aides fiscales et permettre des économies substantielles. Nous espérons vivement que le Gouvernement explorera ces pistes de réforme prometteuses.
Concernant, enfin, le projet expérimental de crédit d’impôt annoncé par le Premier ministre, je tiens à souligner qu’il devra répondre à de nombreuses conditions pour pouvoir atteindre une efficacité comparable à celle de l’aide fiscale actuelle. Il ne pourra constituer une aide à l’investissement que si la question de l’accès au crédit bancaire est résolue au préalable : cela suppose de mettre en place des mécanismes de préfinancement. Aucun acteur actuellement ne peut assumer ce rôle, qui reviendra à la Banque publique d’investissement, la BPI, dont l’ordonnance d’adaptation à l’outre-mer devrait prochainement être publiée.
Je tiens à préciser – ce point est très important – que le crédit d’impôt, s’il permet d’économiser l’avantage fiscal servi au contribuable investisseur dans les procédures de défiscalisation, n’évitera pas les frais d’intermédiation : le montage des dossiers d’investissement et l’ingénierie des plans de financement ne sont pas à la portée de la plupart des chefs d’entreprise désireux d’investir, et il leur faudra en assumer la charge financière, alors que, avec la défiscalisation, cette charge pèse sur le contribuable.
Enfin, je veux rappeler que le crédit d’impôt ne peut bénéficier aux collectivités, comme la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie, qui disposent de l’autonomie fiscale et, au surplus, ont mis en place des dispositifs locaux de défiscalisation adossés aux mécanismes nationaux. Il faut donc prendre garde d’éviter toute déstabilisation de leurs économies.
Je conclurai en soulignant que la déclaration du Premier ministre a ravivé des espoirs, alors que les signaux délivrés par l’administration fiscale étaient ceux d’une mort annoncée de la défiscalisation. Puissent les dispositifs à venir honorer ces espoirs en aménageant un soutien adapté aux spécificités ultramarines. Progressivité, lisibilité et stabilité doivent gouverner le nouveau schéma de soutien à l’investissement outre-mer !